Le business du vélo trace sa route dans les Hauts-de-France
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Le business du vélo trace sa route dans les Hauts-de-France

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Sur les pistes cyclables, les bouchons ne sont pas loin... Depuis 2017, la petite reine fait son grand retour et les Hauts-de-France n'échappent pas à la règle. Ce phénomène, accéléré par la crise sanitaire, entraîne des croissances à deux chiffres chez les acteurs régionaux du cycle. Mais le vélo peut-il peser dans une région qui est le bastion de l'automobile ?

Dans Hauts-de-France, de nombreux acteurs veulent se positionner sur le marché du vélo, en plein essor : depuis les industriels assembleurs, comme Origine Cycles, jusqu'aux start-up, en passant par les acteurs de l'automobile eux-mêmes — Photo : Arthur CHAMBRE

Le célèbre Paris-Roubaix, la randonnée cyclo Lille-Hardelot ou encore Les 4 jours de Dunkerque : les courses cyclistes ont fait l’objet d’annulation en cascade début 2021. Mais la silhouette de la petite reine n’a pas pour autant disparu des routes régionales. Bien au contraire : la crise sanitaire est venue accélérer le retour en grâce de cette mobilité douce. "Le boom du vélo est réel. C’est un constat global que nous faisons depuis le début de l’année 2020. De manière générale, l’engouement pour le vélo est visible et en progression depuis 2017", commente le groupe nordiste Decathlon (11,4 Md€ de CA), qui se positionne comme le premier vendeur de vélos en France.

Milieu urbain ou rural, le deux-roues se décline sur toutes les routes. Au guidon, des cyclistes de 7 à 77 ans, aux profils variés : sportif amateur, salarié, étudiant, livreur, vacancier… "L’engouement est toujours exceptionnel et ce, sur tous les vélos", poursuit Decathlon. Un emballement qui se traduit par un beau potentiel économique : les acteurs régionaux sont nombreux à vouloir s’en saisir, y compris certains acteurs historiques de l’automobile. Petit à petit, le vélo fait son chemin dans l’économie des Hauts-de-France, au point qu’une question se pose : est-il en passe de devenir une filière de poids dans une région qui est avant tout le bastion de l’automobile ?

Des croissances à deux chiffres

Si les Hauts-de-France constituent la première région automobile française en termes de production, elle n’échappe pas à l’essor de la mobilité douce. Et c’est le vélo qui occupe le peloton de tête, devant les trottinettes ou les scooters électriques. Le marché français a en effet bondi de 25 % en 2020, selon l’Union Sport & Cycle, la principale fédération professionnelle du secteur. Le chiffre d’affaires a même atteint un record, en dépassant les 3 milliards d’euros. Il faut dire que le vélo répond à de nombreux besoins, renforcés par cette crise sanitaire. Polluer moins, d’abord, mais aussi "gagner du temps sur certains trajets en ville, faire du sport ou s’évader après les périodes de confinement et enfin, éviter les transports en commun en raison de la situation sanitaire", note Grégoire Brunet, codirigeant de l’entreprise O2feel (27 M€ de CA, 50 salariés), un concepteur et assembleur de vélos électriques basé à Wambrechies (Nord).

Pour les acteurs qui gravitent depuis quelques années autour du vélo, cet engouement entraîne des croissances folles, inenvisageables quelques années plus tôt. Le distributeur de vélos électriques E-bikes Gallery (CA : NC), installé à La Madeleine (Nord), a ainsi enregistré 76 % de croissance en 2020, malgré les mois de fermeture liée au premier confinement. "Il est certain que nous n’étions pas à ce niveau de croissance avant la crise", souligne Benoît Liagre, fondateur et dirigeant. Un sentiment partagé par Grégoire Brunet, d’O2feel : "Durant les trois mois qui ont suivi le premier confinement, nous avons réalisé le même chiffre d’affaires que sur l’année N-1".

Et cette montée en puissance n’est pas un phénomène cantonné à l’année 2020, mais une tendance de fond. Le dirigeant d’O2feel mise ainsi sur une croissance de 80 % en 2021. Un autre acteur régional, la société Origine Cycles (conception, assemblage et distribution en ligne de vélos musculaires) vise de son côté les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2026, avec 200 salariés, contre 8,6 millions d’euros en 2020. Une année marquée par une croissance de l’ordre de 90 %. "Dès 2021, nous allons atteindre les 15 millions d’euros et notre objectif est de devenir l'un des leaders en France et en Europe", annonce Pierre-Henri Morel, président de cette société nordiste, basée à Somain (Nord).

Sur les plates-bandes de l’automobile

Les chiffres en attestent : la forte culture automobile des Hauts-de-France ne freine désormais plus l’essor de la mobilité douce. Le vélo s’impose, et c’est souvent en roulant sur les plates-bandes de l’automobile. En particulier dans les centres-villes, où le trafic auto devrait encore chuter ces prochaines années, avec le déploiement des ZFE (Zones à faibles émissions). Un phénomène qui profite à la petite reine : au cœur des villes, les particuliers comme les entreprises troquent volontiers leurs voitures contre des vélos. Alexandre Brysbaert compte parmi eux. Ce passionné a lancé fin 2020 Vert Céleste (CA : NC), une société lilloise de logistique, avec un vélo cargo. "Beaucoup de déplacements dans la métropole peuvent être faits avec un vélo cargo plutôt qu’avec une camionnette. Cela me permet d’aller plus vite, avec une capacité de 250 à 350 kg".

Ces taux de croissance et ces changements de mœurs n’ont pas manqué d’interpeller les acteurs de l’automobile. Pour ne pas perdre une partie de leur clientèle, voire en conquérir une nouvelle, ils n’hésitent pas à mettre le cap sur le marché du vélo. Ainsi, le groupe familial Verbaere Automobiles (CA : 122 M€, 200 salariés), un acteur lillois de la distribution de voitures depuis 1950, a lancé début mai une nouvelle structure, Unripe (4 salariés), pour commercialiser de la mobilité douce auprès des entreprises. "Nous avons constitué une force commerciale qui va faire tout un travail d’évangélisation. Par exemple, sur les difficultés que les ZFE vont engendrer auprès des salariés qui n’ont pas les moyens d’acquérir un vélo électrique. Nous allons également démarcher les promoteurs immobiliers, qui pourraient mettre en place des parcs de mobilité douce, en autopartage entre des locataires. Les usages changent, nous préférons anticiper plutôt que subir", indique Jean-Charles Verbaere, le dirigeant.

Une position partagée par Norauto, détenu par le groupe nordiste Mobivia (3,2 Md€ de CA). Cet acteur de l’entretien et de la réparation automobile vend des vélos depuis plus de dix ans maintenant. Durant la crise, il a vu ses chiffres s’envoler, avec des ventes multipliées par deux entre mai et septembre 2020, par rapport à la même période en 2019. De quoi l’inciter à lancer, dès la fin du premier confinement, un espace dédié à l’entretien et à la réparation de vélos électriques dans son centre de Villeneuve-d’Ascq. "Face au succès rencontré, nous avons dupliqué ce concept dans 70 autres magasins, commente Antoine Duroy, responsable commerce mobilité chez Norauto France. Si nous vendons des vélos de la marque Wayscral (groupe Mobivia), l’objectif est de devenir réparateur multimarque. Notre ADN, c’est l’entretien réparation des moyens de mobilité. Donc quand la mobilité douce explose, nous y allons".

Un nouveau souffle pour l’économie régionale

D’après les acteurs interrogés, il est toutefois trop tôt pour parler d’une filière vélo dans la région. En cause ? Certains maillons de la chaîne manquent à l’appel et pas des moindres : les fournisseurs, essentiellement situés en Asie. Une donnée qui n’est pas anodine dans ce contexte de crise sanitaire : l’arrêt des usines asiatiques durant plusieurs mois, couplé à une demande forte sur le vélo dès le premier déconfinement, a créé des tensions sur l’approvisionnement. "Chez certains fournisseurs, une commande de pièces passée aujourd’hui sera livrée en 2023", constate Pierre-Henri Morel (Origine Cycles). Par ailleurs, il n’y a pas d’organismes de formations techniques dédiées au vélo dans les Hauts-de-France. Si le secteur attire sans difficultés les talents, les entreprises doivent former elles-mêmes les recrues.

Mais en attendant de voir une filière complète du vélo s'établir dans la région, un constat s'impose : son essor crée un nouveau souffle économique. Et ce n'est qu'un début. En pleine croissance, les industriels assembleurs O2feel et Origine Cycles portent respectivement un projet de relocalisation et d'extension d'unités d'assemblage dans la région. Sans oublier toutes ces idées business qui naissent dans le sillage du vélo. Parmi celles-ci : des cafés ateliers de réparations en libre-service, comme Les Mains dans le guidon, à Lille, qui emploie déjà trois salariés et compte ouvrir un deuxième établissement dans la métropole. "Nous étions un peu inquiets par rapport à la fin du Coup de pouce vélo (forfait de 50 euros qui était octroyé par l'État pour la réparation d'un vélo NDLR), intervenue le 31 mars. Mais, depuis, l'atelier est toujours plein : il y a un vrai engouement. Côté réparations, pour compenser les difficultés d'approvisionnement sur certaines pièces, nous réalisons un important travail d'achat et de gestion des stocks. Nous proposons aussi des pièces d'occasion, ce qui permet de réparer en attendant la disponibilité de la pièce neuve", explique Grégoire Sénéclauze, un des dirigeants.

Les start-up s'emparent, elles aussi, du sujet, à l'image de TrackAp. La jeune entreprise lilloise commercialise depuis le début de l'année des traceurs GPS afin de limiter les vols de vélos, en particulier électriques. "Les vols augmentent, car un vélo c'est facile à déplacer et à revendre. Pour le moment, il y a peu d'acteurs sur ce marché et donc une place à prendre", affirme Alexandre Luternauer, cofondateur de TrackAp. Ainsi, même s'il relève de la mobilité dite douce, le vélo s'avère un sacré moteur.

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