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La région Hauts-de-France bâtit ses ambitions dans l'écoconstruction
Enquête Hauts-de-France # BTP # Innovation

La région Hauts-de-France bâtit ses ambitions dans l'écoconstruction

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Secteur clé dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la transition énergétique, la construction est engagée dans une mutation pour limiter son impact environnemental. Une des solutions pour y parvenir : opter pour des matériaux plus vertueux, produits localement. Un challenge que les Hauts-de-France espèrent relever sur le long terme, en levant les blocages que rencontre la filière.

Longtemps malmenée par le conte des Trois petits cochons, la construction paille a désormais un bel avenir dans les Hauts-de-France, une région qui veut jouer la carte de l’écoconstruction — Photo : © Jean-François Michel

Septembre 2021. Au pied des terrils, à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), les acteurs régionaux du bâtiment se pressent. Pour ses vingt ans, l’association CD2e qui accompagne entreprises, collectivités, bailleurs et porteurs de projets dans la transformation de leur modèle économique afin de généraliser la transition écologique, a inauguré BatiCité, une exposition permanente dédiée au bâtiment durable et aux écomatériaux. Chanvre, paille, construction passive, performance, "BatiCité est un lieu de référence qui va devenir incontournable pour réussir à massifier les bonnes pratiques", se félicite alors Benoît Loison, président du CD2e. Un outil significatif pour les Hauts-de-France, qui affichent de grands besoins en matière de rénovation et constituent un terreau fertile pour l’écoconstruction. Reste à savoir si cette filière naissante sur le territoire saura prendre son envol.

Une région dans les starting-blocks

Avec 40 % des logements estampillés passoires thermiques - deux fois plus qu’ailleurs en France -, l’habitat dans les Hauts-de-France caracole en tête des parcs de logements à rénover d’urgence. Rien que dans l’ex-bassin minier, État, collectivités et bailleurs s’engageaient en 2016 à réhabiliter 23 000 logements en 10 ans. Au-delà de ces besoins, le contexte réglementaire pousse à verdir la construction pour mieux la décarboner. Depuis le 1er janvier 2022, la réglementation environnementale 2020 (RE2020), incite les professionnels du bâtiment à user "de modes constructifs qui émettent peu de gaz à effet de serre ou qui permettent d’en stocker, tels que le recours aux matériaux biosourcés".

Face à ces enjeux, les acteurs régionaux de l’écoconstruction sont mobilisés de longue date. Après deux décennies de travail, "nous sommes prêts à accélérer", se réjouit Frédérique Seels, nouvelle directrice générale du CD2e, après un parcours dans la construction bois. Au terme d’expérimentations de terrain, à l’image de la rénovation avec des matériaux biosourcés d’une maison minière à Loos-en-Gohelle, le pôle d’excellence régional se positionne en site ressource pour qui veut se mettre aux écomatériaux. Surtout, il œuvre à la structuration de filières avec l’appui du conseil régional. Avec le bailleur nordiste Maisons et Cités (800 salariés, 309 M€ de CA 2020), ils mènent l’expérimentation Pecquen’Chanvre. Au menu : la rénovation de 115 maisons minières en béton de chanvre à Pecquencourt (Nord). "Après plusieurs expériences avec l’association CD2e, le chanvre, déjà utilisé dans d’autres régions et dans l’industrie automobile, nous est apparu comme l’alternative la plus aboutie", détaille Franck MacFarlane, responsable recherche et expertise du bailleur social.

D’ici 3 ou 4 ans, l’idée est de lancer la rénovation d’un millier de logements avec du chanvre. Soit un signal fort : "créer une locomotive, pour baisser les surcoûts mais aussi pousser au développement des autres écomatériaux". Certes, le maître d’ouvrage, deuxième bailleur régional, dispose d’un effet levier pour doper l’écoconstruction, mais "il est nécessaire de travailler de manière globale avec tous les acteurs de la construction". Notamment les entreprises, accompagnées pour monter en compétences (lire par ailleurs) et leur donner de la visibilité.

Des atouts indéniables

Côté chanvre, il manque toutefois la matière première locale, la filière étant en cours de structuration. Contrairement à la paille, qui couvre les plaines nordistes et offre ainsi un gisement de taille. De quoi susciter un intérêt grandissant. La région Hauts-de-France fait figure de pionnière en ce qui concerne son exploitation, puisqu’elle se place en tête des régions françaises par le nombre de constructions et de nombre de professionnels formés à la construction paille. Du champ au chantier, il n’y a parfois qu’un pas. C’est tout l’objet de la start-up Activ’Paille (12 salariés) portée par Arnaud Delobel. D’abord fournisseur de ballots de paille, il vient d’investir dans une ligne de fabrication de panneaux en bois, isolés en paille, pour la construction. Installé depuis avril 2020 sur l’ancien site Nestlé d’Itancourt (Aisne), il envisage déjà d’ouvrir une nouvelle ligne de fabrication pour faire passer de 20 000 à 70 000 m² sa capacité de production à l’été 2022. De quoi générer quelque 25 emplois au terme d’un investissement d’environ 1 million d’euros. "Avec la RE2020, on sent une hausse de la demande en matériaux biosourcés. Notre carnet de commandes se remplit fortement avec de beaux projets à l’étude", se félicite le jeune patron accompagné par le FRATI, fonds régional dédié à la Troisième Révolution Industrielle. Ce volontarisme régional se traduit selon lui en "une vraie dynamique, avec une offre plus structurée qu’ailleurs qui permet de répondre à des projets" qui font boule de neige. Même les privés s’y mettent ! À l’instar de l’Oréal qui vient d’inaugurer à Caudry (Nord) un entrepôt de produits inflammables, isolé en bois et en paille.

Un réseau local de lin

Le lin représente également une belle alternative. Là encore, la filière se structure. "Avec la Normandie, nous sommes dans un croissant fertile européen qui produit les trois cinquièmes de la production mondiale. Pour ce produit ultra-local, peu valorisé, nous avons développé un réseau local", se félicite Frédérique Seels. Reste à passer le cap de l’industrialisation. À l’instar de Batilin. Ce bloc isolant à maçonner, à base d’anas de lin, est le fruit de la coopération de trois acteurs nordistes : la coopérative La Linière (450 adhérents, 70 salariés), le fabricant Vermeulen (11 M€ de CA) et le constructeur Sylvagreg (80 M€ de CA, 320 collaborateurs). Ensemble, avec le concours du centre de R & D du Codem à Amiens (Somme), ils ont mis au point ce matériau éco-performant. "2022 sera une année charnière, explique Julien Gilliot, ingénieur produit Batilin. Nous menons un chantier pilote avec deux bailleurs et allons chercher des certifications techniques". Objectif : investir dans une ligne de production à proximité de la coopérative en 2023. "Batilin représente une réponse biosourcée et 100 % locale pour décarboner la construction", expose Augustin Outters. Le président de Sylvagreg, ETI de la construction, y voit une "démarche porteuse de sens" avec un produit de demain aisément utilisable par ses maçons. Enfin, la filière "bois local" monte aussi en puissance, avec le développement de constructions en peuplier nordiste.

Des expérimentations autour des déchets

Outre des produits biosourcés, les écomatériaux ont parfois des sources plus inattendues. Le Métisse, isolant issu des fibres textiles recyclées par l’entreprise Le Relais (110 M€ de CA, 3 200 salariés), basée dans le Pas-de-Calais, a largement fait ses preuves sur les chantiers. Depuis 2007, cet isolant solidaire et circulaire est fabriqué dans l’usine de Billy-Berclau (62) qui en a produit 588 000 m² en 2020, valorisant ainsi 2,5 millions de jeans usagés. Réutiliser la matière devenue déchet, c’est aussi toute l’ambition de Néo-Eco. L’entreprise fondée par Christophe Deboffe, à Hallennes-lez-Haubourdin (Nord), développe des boucles d’économie circulaire en valorisant en écomatériaux les déchets de chantiers. Gravats de déconstruction de bâtiments ou encore de voiries sont, après caractérisation et transformation, réemployés localement, à nouveau au service de la construction. Et les opportunités d’affaires sont exponentielles : travaux du Grand Paris, du Canal Seine-Nord-Europe, des JO ou encore à l’étranger pour traiter les décombres du port de Beyrouth, l’expertise de Néo-Eco (43 salariés, 5 M€ de CA), est de plus en plus plébiscitée. "Il y a un vrai frémissement sur les matériaux alternatifs", estime l’entrepreneur, qui voit par ailleurs un nouvel intérêt du monde bancaire. "Les banques s’installent sur le marché des entreprises à impact positif, elles modifient leur grille de lecture. Les feux sont au vert pour qui veut se lancer sur ce type de produits !", se réjouit-il.

Des freins à lever pour accélérer

S’il est indéniable qu’il s’opère une vraie émergence de nouveaux matériaux sur le territoire des Hauts-de-France, restent des freins à lever. Pour accélérer et déployer leur utilisation, il conviendra de faire tomber la barrière psychologique, bercée par le conte des Trois petits cochons. Bonne nouvelle, les choses évoluent ! "Il y a de moins en moins de réticences et un vrai intérêt pour ce type de produits, y compris chez les artisans", selon Julien Gilliot (Batilin). De l’avis d’Arnaud Delobel (Activ’Paille), il reste encore "des blocages" quant à l’utilisation de la paille mais "un virage s’opère petit à petit. Ce n’est plus un sujet réservé à quelques élus écolos. Les acteurs classiques, constructeurs, majors, promoteurs, bailleurs s’y intéressent". "Depuis 2-3 ans, il y a une prise de conscience sur le réchauffement climatique. Les écomatériaux deviennent un vrai argument commercial, ce n’est plus du greenwashing", affirme Franck MacFarlane (Maisons et Cités).

Reste cependant à régler la question du coût, le nerf de la guerre. Difficile encore de rivaliser avec les matériaux classiques sans véritable industrialisation. "Sur les écomatériaux, nous sommes leaders et avons envie de le rester ! Il faut maintenant atteler le deuxième étage de la fusée pour les déployer à plus grande échelle. Nous allons poursuivre notre accompagnement pour créer l’environnement propice au développement de ces entreprises", affirme Frédéric Motte, président de la mission REV3. En prenant à sa charge une partie des surcoûts de chantiers vitrines, la Région Hauts-de-France participe activement à la démocratisation des filières. Le Fratri est par exemple intervenu sur Pecquen’Chanvre, pour absorber une partie des surcoûts.

Benoît Boulnois, président de Toerana Habitat, Scop régionale regroupant 80 artisans spécialistes de l’écoconstruction, plaide, lui, pour "une conditionnalité des aides vers l’usage des biosourcés". Une façon d’être plus incitatif pour doper le marché de la rénovation des particuliers. Une commande publique volontariste et l’industrialisation de produits locaux permettront de booster le marché et de tendre vers cette généralisation tant attendue. En acceptant peut-être aussi une augmentation du coût de la construction… "Autant faire de cette transition énergétique, une transition écologique avec une vision de long terme, créatrice d’emplois locaux", conclut Frédérique Seels. Le territoire se positionne en tout cas, pour jouer sa carte.

Hauts-de-France # BTP # Innovation # Investissement # RSE