Karine Charbonnier, présidente de Beck Industries : «La situation des entreprises est anormale en France»
# Politique économique

Karine Charbonnier, présidente de Beck Industries : «La situation des entreprises est anormale en France»

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Lors d'une émission de télévision, il y a deux ans, elle avait tenu tête au président de la République François Hollande. Chef d'entreprise et engagée en politique auprès des Républicains, Karine Charbonnier dresse un diagnostic, sans langue de bois, des complexités du monde de l'entreprise français dans un livre : Patrons, tenez bon !. Rencontre.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Vous êtes la présidente de Beck Industries, une ETI nordiste qui fabrique des boulons et des outils de serrage. Vous avez publié un livre, Patrons, tenez bon !, dans lequel vous dressez le portrait d'une France en décrochage. Vous y parlez d'« anormalité française » et d'un système fiscal qui n'aime pas ses entreprises. Pourquoi ce livre ?

Karine Charbonnier : Ce livre est une prise de conscience. Moi-même, je n'avais pas conscience de l'anormalité française, avant de faire mes allers-retours à l'étranger et de voir une autre manière de faire les choses. C'est là que j'ai compris la situation absolument radicale et anormale que nous vivons ici. Ça m'a réveillée. J'aimerais bien que notre pays se réveille et prenne conscience qu'on peut construire des relations de confiance et encourager le développement économique plutôt que de le brider en permanence. L'administration française, plutôt que d'être malveillante à l'égard d'entreprises qui ne peuvent pas être au fait de tous les changements de réglementations, de toutes les jurisprudences, pourrait au contraire les aider et se positionner dans le conseil.

La loi El Khomri ou le CICE sont pourtant des actions gouvernementales qui vont dans le sens du chef d'entreprise, non ?

K.C. : Il ne reste pas grand-chose de la loi El Khomri. C'est quand même difficile de pouvoir développer l'emploi en France sans écouter les employeurs. J'utilise toujours l'image du coureur de 400 mètres qui prend le départ avec un sac à dos de 100 kilos sur les épaules. Si ses concurrents n'ont pas la même charge sur le dos, il ne pourra pas gagner la course. Le CICE a retiré 10 kilos sur ce sac à dos. Ça va dans le bon sens, mais ce n'est pas pour autant que le coureur pourra gagner la course. La grosse anomalie française, et c'est un point que confirme l'étude annuelle " Paying Tax " de PwC, est que 80 % des impôts payés par les entreprises sont des charges sociales.

Lors d'une émission politique sur TF1, il y a deux ans, vous avez tenu tête à François Hollande. À l'époque, vous lui disiez pouvoir faire trois millions d'euros d'économies en déplaçant votre usine d'Armentières, dans le Nord, vers l'Angleterre ou l'Allemagne. Pourquoi ?

K.C. : La France a délibérément choisi, comme base d'imposition principale dans les entreprises, l'emploi et la masse salariale plutôt que les bénéfices. C'est contre-productif. Nos charges sociales sont largement supérieures à ce que connaissent l'Allemagne ou l'Angleterre. Pourquoi ? Parce qu'il y a beaucoup d'impôts déguisés : taxes sur le logement, le transport, la construction, la formation, etc. Dans tous les autres pays du monde, ce ne sont pas les entreprises qui paient cela. Il faudrait donc embaucher moins pour s'exonérer de participer aux politiques nationales.

Beck Industries dispose de sites en Angleterre et en Allemagne. Le dialogue social y est-il meilleur qu'en France ?

K.C. : Sur la question du dialogue social, on a fort à envier à nos voisins. Le monopole d'élection et de signature des syndicats français est un noeud de la culture anti-entreprises en France. Je pense que les salariés anglais ou allemands s'opposeraient au système français, qui est tellement intégré dans notre société qu'on ne cherche plus à le remettre en cause. Je voudrais ouvrir le débat sur le fait qu'on peut avoir une culture du dialogue social beaucoup plus démocratique, que les salariés seraient mieux représentés et auraient plus de chance de pouvoir participer et que, de ce fait, les syndicats y gagneraient une légitimité qu'ils ont perdue. Au lieu de cela, on se retrouve avec des blocages syndicaux qui motivent des départs à l'étranger.

Selon vous, le Code du travail tel qu'il est rédigé serait un frein à l'embauche ?

K.C. : Je crois plus à la flexi-sécurité qu'à la complexi-sécurité que connaît notre pays en matière de droit du travail. Je crois que le plus important n'est pas de garder un job toute sa vie, mais de pouvoir en retrouver un autre rapidement. Ce qui compte c'est de protéger les personnes et la capacité d'investissement des entreprises, pas les emplois. C'est une révolution culturelle à faire. Qui se marierait si le divorce était impossible ? Aujourd'hui, quand on doit se séparer de quelqu'un, on n'est jamais sûr de pouvoir le faire et on ne sait jamais ce que ça va coûter. Cette incertitude crée les conditions de l'absence de recrutements en France. Il y a beaucoup de mauvaises expériences, en cas de procès ça peut prendre des années. En réaction, certains préfèrent réduire leurs activités, freiner leur chiffre d'affaires ou délocaliser. Ça crée une forme de grève inconsciente du recrutement.

Avec près de 390 000 nouvelles sociétés en 2013, d'après Eurostat, la France est championne d'Europe de la création d'entreprise, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni. À quoi attribuez-vous, alors, les difficultés d'entreprendre ?

K.C. : On est bon sur le soutien aux petites entreprises. C'est après que ça se corse. Le tout est de réussir à faire grandir ces entreprises pour les pérenniser et créer de l'emploi. C'est là que l'effet des seuils, en France, est dévastateur. Au fur et à mesure qu'une entreprise grandit, elle est freinée dans son développement. On a un nombre très faible d'ETI par rapport aux pays du plein-emploi. On a de sérieux atouts pour la création, mais on devrait aimer avec la même force les entreprises qui grandissent que celles qui se créent.

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