Coronavirus - Medef Grand Lille : « Nous pouvons nous attendre à un redéploiement industriel après la crise »
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Yann Orpin président du Medef Grand Lille Coronavirus - Medef Grand Lille : « Nous pouvons nous attendre à un redéploiement industriel après la crise »

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Soutien psychologique, crédit interentreprises, monde d’après… Yann Orpin, président du Medef Grand Lille et gérant du groupe Cleaning Bio, revient sur les enjeux liés à la crise pour les entreprises du territoire.

Yann Orpin est le président du Medef Grand Lille — Photo : CCI Grand Lille

Le Journal des Entreprises : Depuis le confinement, le Medef Grand Lille a-t-il été très sollicité par les entreprises du territoire ? Quelles ont été les questions récurrentes et les réponses apportées ?

Yann Orpin : Au Medef Grand Lille, nous comptons environ 2 000 adhérents, surtout des PME. Nous avons une équipe de 15 juristes qui tiennent une permanence depuis le début de la crise, ils répondent à environ 250 questions par jour, épluchent les textes au fil de leur publication… 80 % des questions des entrepreneurs portent sur la mise en place du chômage partiel, et les 20 % restants, surtout sur la gestion des salariés, droit de retrait, garde d’enfants, quatorzaine… Nos équipes sont au maximum de leur temps pour répondre aux inquiétudes des entrepreneurs, qui n’ont jamais connu un arrêt aussi brutal de leur activité. C’est un changement radical par rapport à leur rythme quotidien, et dans la plupart des cas, ils le vivent très mal. Outre les angoisses concernant leur activité et les emplois qui en découlent, viennent bien sûr des interrogations sur la vie personnelle, l’avenir de leur famille… beaucoup de choses reposent sur leurs épaules, la pression est énorme. Pour gérer ce type de problèmes, en toute confidentialité, nous avons ouvert une cellule psychologique, en partenariat avec un organisme indépendant. Les entrepreneurs qui le souhaitent peuvent s’entretenir en visioconférence avec un psychologue, autant de fois que nécessaire. Il y a eu de nombreux appels. Nous essayons aussi de créer des lieux de partage virtuels, pour rompre l’isolement des chefs d’entreprise, qui est problématique d'ordinaire et prend en ce moment une dimension dramatique.

Quels sont les principaux conseils que vous donnez au niveau du Medef ?

Yann Orpin : Nous militons beaucoup pour le respect du crédit interentreprises, et pour que toutes les entreprises fassent leur part ! L’État joue le jeu, les Régions et les collectivités jouent le jeu, il faut que les entreprises soient au rendez-vous ! 90 % des entreprises vont pouvoir être accompagnées par l’un ou l’autre des dispositifs mis en place. Il faut qu’elles prennent leurs responsabilités et qu’elles payent leurs prestataires et fournisseurs. Je sais bien que c’est compliqué en ce moment, il faut payer les salaires, s’endetter ou puiser dans ses fonds propres pour le faire, mais on ne peut pas demander aux collectivités de payer les entreprises, et vite, si elles-mêmes ne font pas preuve de solidarité. Les banques indiquent que les flux de paiement entre les entreprises ont baissé de 50 % en mars. Cela semble repartir un peu mais il y a urgence : dans les Hauts-de-France, le crédit interentreprises représente entre 50 et 70 milliards d’euros, quand le crédit bancaire aux entreprises, c’est 70 milliards. Aujourd’hui, seules 8 % des entreprises se considèrent proches de la cessation de paiements. Il faut que les autres continuent de payer les fournisseurs, sinon il y a un risque de gripper l’économie. Il faut se rappeler qu’on est tous le fournisseur de quelqu’un.

Et à titre personnel ?

Yann Orpin : En tant qu’entrepreneur qui a traversé trois crises en 20 ans, le conseil que je donne, c’est d’écrire des scénarii. Il faut prendre le temps de se poser, avec son codir, pour imaginer tout ce qui pourrait se passer, le pire comme le meilleur, et la réponse à adopter pour chaque situation. Il faut bien sûr actualiser ces scénarii au fil du temps, mais cela permet de remettre les choses en perspective, de se projeter dans l’après, même si c’est difficile. Et d’être prêt à réagir vite si l’une ou l’autre des éventualités se présente.

Comment envisagez-vous cet « après » ?

Yann Orpin : Je pense que l’important, c’est de ne pas nous replier sur nous-mêmes. Ce ne serait pas la bonne réponse. Il faut modifier certains aspects de notre consommation, et je pense notamment aux magasins alimentaires qui désormais se fournissent localement, c’est très bien et même, il était temps ! On peut recréer le même mouvement dans nos entreprises, en privilégiant le travail en local, mais il faut faire attention à la tentation du nationalisme. Il y a des sujets, comme la sécurité ou la santé, pour lesquels il est important de ne plus être dépendants de pays tiers, c’est ce qu’a montré cette crise. Mais nous restons inscrits dans une économie mondialisée, dans laquelle le repli n’a pas de sens. Au point de vue local, on peut s’attendre à un redéploiement de l’outil industriel. On a vu ces dernières semaines la formidable capacité d’adaptation de nos industries régionales, qui se sont mises à produire des masques, du gel hydroalcoolique, des respirateurs… Il n’y a pas de raison pour que cela ne persiste pas après la crise ! Et la RSE va de plus en plus s’imposer comme une évidence pour nos entreprises, avec une attention accrue pour les questions climatiques et sanitaires. En revanche, il faudra attendre au moins la fin de 2020, voire le début de 2021, pour vraiment pouvoir tirer un bilan de cette période. Si les entreprises les plus fragiles seront sans doute nombreuses à ne pas survivre au confinement, pour les autres, c’est, une fois disparus les différents dispositifs de soutien, que l’on verra les effets de la crise.

Alors que l’on s’achemine vers un déconfinement, comment limiter le risque d’une deuxième vague de contaminations ?

Yann Orpin : Il est bien sûr fondamental de prendre soin de tous, mais il est important aussi de ne pas briser l’activité économique. Pour trouver un équilibre, il faut tout faire pour garantir la sécurité des salariés, et mettre en œuvre les mesures barrières. La communication a été brouillée dès le départ : on se confine, mais on doit continuer à travailler. Ça alimente une confusion, un flou, qui se ressent aujourd’hui. Pour moi, l’équation est simple : si la sécurisation des espaces de travail n’est pas possible, on ne reprend pas, c’est tout. Ça vaut pour les chantiers, et pour tous les domaines. L’essentiel, c’est de ne pas propager le virus. Il faut aussi tenir compte de la peur des salariés, qui font face à une menace invisible. Pour certains, c’est psychologiquement très compliqué de vaincre cette peur du virus, même avec les mesures barrières et les protections. C’est une question de bon sens, de relation humaine, d’entendre cette peur et de trouver une solution pour ces salariés. Il va aussi falloir organiser intelligemment ce déconfinement, en augmentant par exemple les cadences dans les transports, pour limiter les effets d’engorgement, et les risques.

Vous appelez depuis longtemps de vos vœux la transition numérique des entreprises de la région. Aujourd’hui mises devant le fait accompli, comment s’en sortent-elles ?

Yann Orpin : Je suis épaté par la capacité des entreprises régionales à avoir organisé, en moins d’une semaine, le travail à distance. Je n’en connais aucune qui n’ait pas réussi ! Avec plus ou moins de difficultés, toutes ont pris à bras-le-corps les outils à disposition, et même les plus réfractaires ont pu expérimenter le télétravail à grande échelle. Je pense que ce sont des modes d’organisation qui vont perdurer au-delà du confinement, de façon moins systématique bien sûr ! Ce sera sans doute l’une des nouvelles donnes du monde « d’après », qui pourrait, au niveau métropolitain, nous permettre de vraiment faire avancer les dossiers liés au transport, à la thrombose routière et à la pollution…

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