Coronavirus : « La crise sanitaire a mis un coup de projecteur sur les entreprises de santé »
Interview # Santé # Innovation

Etienne Vervaecke directeur général d'Eurasanté Coronavirus : « La crise sanitaire a mis un coup de projecteur sur les entreprises de santé »

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La crise sanitaire a fait porter une lumière crue sur la nécessité d'avoir une industrie de santé solide. De quoi changer le regard des investisseurs et du grand public sur un secteur encore peu connu, se réjouit Etienne Vervaecke, le directeur général d'Eurasanté, l'agence de développement économique des activités de santé, nutrition et biotech de la région Hauts-de-France.

Les entreprises de la filière santé ont bénéficié d'un coup de projecteur appréciable, selon Etienne Vervaecke, le directeur général du pôle d'excellence Eurasanté. — Photo : Maxime Dufour Photographies

Le Journal des Entreprises : La filière santé compte environ 1 000 entreprises dans les Hauts-de-France. Comment traversent-elles la crise du coronavirus ?

Étienne Vervaecke : La mobilisation de tout l’écosystème de santé de la région a été très forte et rapide, pour apporter des réponses concrètes aux besoins en masques, en gel hydroalcoolique, et en outils de diagnostic. Parmi les plus emblématiques, il y a Roquette, qui s’est mis à produire 5 000 litres de gel hydroalcoolique par semaine, ou Anios, dont c’est le cœur de métier, qui a augmenté de 25 % sa production, pour arriver à 35 tonnes de désinfectants produites par jour. Surtout, dans la région, nous avons l'exemple de Macopharma, qui illustre bien à mon avis ce qui s’est passé en France depuis une dizaine d’années : au moment de l’épidémie de H1N1, l’entreprise comptait une ligne de production de masques FFP2 qui employait 60 personnes. Faute de réassort de la part de l’État, la chaîne s’est progressivement arrêtée vers 2012-2013. Mais les savoir-faire étaient toujours là, et en quelques semaines, une ligne a pu être remontée, qui a permis de recréer dix emplois d’un coup, au début de la crise. Ce qui me paraît surtout très parlant, c’est l’exemple de Carelide, l’ex-branche perfusion de Macopharma, qui a été reprise en 2019 par le fonds Verdoso, alors qu’elle était fortement déficitaire. C’est la dernière unité de production de poches à soluté en France, des produits qui n’intéressaient plus grand monde il y a encore quelques mois. Ils s’apprêtent aujourd’hui à lever 12 millions pour continuer à réinvestir ce secteur stratégique, le tour de table est en train d’être bouclé. C’est évident que sans la crise actuelle, on aurait eu beaucoup plus de difficultés à trouver des investisseurs intéressés par ce type d’activité et de produits. La crise a fait prendre conscience aux investisseurs de l’intérêt et de l’urgence de réinvestir la production de produits de santé en France, à la fois du point de vue du développement économique et de l’emploi, et de celui de la souveraineté du pays.

C’est fort de ces exemples que vous lancez un appel pour changer en profondeur les modes d’attribution des marchés pour l’hôpital public ?

Étienne Vervaecke : Il faut en effet tirer les leçons de la crise, et faire en sorte que le principal critère pour les achats hospitaliers ne soit plus le prix. Il y a bien d’autres aspects à prendre en compte, que la situation actuelle met en lumière. La proximité du sourcing doit peser plus que le prix d’achat, car cela pousse inévitablement à aller chercher au moins cher, et donc en Asie, avec les conséquences que l’on a pu mesurer ces dernières semaines sur notre tissu industriel, et sur notre indépendance en matière sanitaire. On s’est vu imposer un confinement très long, alors que les Allemands, qui ont conservé leur outil, ont pu poursuivre leur activité. Il ne faut pas qu’à l’issue de la crise on retourne à une politique de pressurisation permanente sur l’hôpital public, qui ne mène qu’à rogner sur les investissements, et à faire effectuer tous les achats en Chine. On voit le résultat. Nous avons commencé à alerter plusieurs élus à ce sujet, et nous appelons à faire en sorte qu’il y ait aussi des répercussions positives de la crise, pour l’emploi, pour l’environnement, et pour l’indépendance du pays. Mais c’est une bataille qui va être longue.

Comment la crise actuelle a-t-elle fait évoluer le regard porté sur les entreprises de santé ?

Étienne Vervaecke : Le grand public a été très exposé, d’un coup, à quantité d’informations sur l’industrie de santé, les problématiques de production, de recherche, de développement de médicaments et de vaccins. Il s’est créé une nouvelle culture générale sur ces sujets ces derniers mois, qui va sans aucun doute à l’avenir faciliter l’orientation des jeunes vers les emplois dans la santé. Jusqu’à présent, il y avait une forte méconnaissance des industries de santé et des parcours qu’elles offrent, ce qui pose des problèmes récurrents de recrutement. On peut se dire que désormais, l’offre de formation et les métiers du secteur paraîtront plus séduisants. Et en parallèle, on constate que les titres en Bourse des industries de santé ont retrouvé une nouvelle vigueur ces derniers temps. Beaucoup de Français ont boursicoté pendant le confinement, et leur intérêt s’est porté, naturellement vu les circonstances, sur les entreprises de santé, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour le secteur.

Les entreprises de santé sortent donc renforcées de la crise ?

Étienne Vervaecke : Globalement, oui ! Il ne s’agit pas de se réjouir de la survenue de cette épidémie évidemment, mais on mesure dans le secteur de la santé une bien plus faible sinistralité qu’ailleurs. Et ce coup de projecteur sur un secteur d’excellence est plus que bienvenu. On peut espérer que la France suive par exemple le chemin des Etats-Unis, où les entreprises de santé sont bien identifiées, et ont quatre à cinq fois plus de chance de capter des fonds qu’en Europe ou en France, où le domaine reste très peu connu.

Dans la région, des entreprises de santé sont en première ligne dans la recherche contre le Covid-19 ?

Étienne Vervaecke : Oui, elles sont nombreuses, et elles sont motifs d’espoir. Il y a par exemple Vaxinano, qui propose des solutions de vaccination par voie nasale grâce aux nanoparticules, qui travaille sur une solution vaccinale et cherche un partenaire après des premiers résultats probants. Il y a aussi Apteeus, qui a mis à disposition de l’Institut Pasteur de Lille sa bibliothèque de quelque 2 000 substances actives déjà sur le marché, pour en tester les effets sur le Covid-19. Les exemples sont nombreux d’entreprises qui, au-delà de la recherche sur un vaccin, tentent de trouver une solution pour banaliser le Covid-19, neutraliser le risque d’entrée en épisode critique pour les patients, et en faire véritablement la « grosse grippette » dont on nous parlait au début. Une telle solution pourrait bien sûr changer la donne.

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