Comment Dunkerque fait de la décarbonation son moteur
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Comment Dunkerque fait de la décarbonation son moteur

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Le territoire dunkerquois est engagé depuis 2015 dans une démarche de décarbonation, qui lui donne une longueur d’avance sur les autres territoires industriels, en France et en Europe. Visant le zéro carbone à 2050, cette démarche n’est pas sans intérêt du point de vue du marketing territorial.

Plus gros émetteur de CO2 du Dunkerquois, le site nordiste d’ArcelorMittal est l’une des têtes de pont industrielles de la démarche décarbonation — Photo : ArcelorMittal

D’ici 2050, Dunkerque sera un territoire zéro carbone. Une gageure, au vu des émissions actuelles de la zone industrialo-portuaire. Le Dunkerquois c’est, pour 460 entreprises industrielles, 13,7 millions de tonnes de C02 émises par an. Soit, 72 % des émissions de CO2 régionales, et 21 % des émissions françaises. Autant dire que le territoire part de loin. Mais la dynamique, portée par un engagement commun de la part des collectivités locales et des entreprises, est déjà bien engagée. Avec la promesse de belles avancées, dès la fin de la décennie.

Territoire d’innovations

Lauréat, en 2019, de l’appel à projets TIGA (Territoire d’Innovation – Grande Ambition) du Programme Investissement d’Avenir (PIA), et d’une enveloppe de 38 millions de subventions, Dunkerque a su fédérer les acteurs locaux autour de sa candidature, portée dès 2015 par la Communauté Urbaine, la CCI, et le Port. L’occasion pour les grands sites industriels du territoire, aiguillonnés par la mise en place de la taxe carbone, de s’emparer du sujet de la décarbonation. Ainsi, ArcelorMittal, principal émetteur sur la zone, sort les grands moyens. L’aciériste, qui a annoncé une enveloppe d’investissement d’1,7 milliards d’euros pour décarboner ses sites de Fos et de Dunkerque, mise sur l’innovation. Le groupe prévoit ainsi de doter son site nordiste, à partir de 2027, d’une unité dite "de réduction directe" (DRI), un équipement permettant de transformer le minerai de fer grâce à de l’hydrogène, sans recourir au charbon. Par ailleurs, ArcelorMittal a inauguré, en mars 2022, 3D, son démonstrateur de captage de CO2. Fruit d’un investissement de 19,2 millions d’euros, dont 14,7 millions de fonds européens, cette tour de 22 mètres traite les fumées du site, et en isole le CO2 grâce à un solvant. Si le processus est validé, une unité industrielle, première du genre, sera construite d’ici 2025 sur le site de Dunkerque. Cette unité devrait capter plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Mais si le captage est une piste pour réduire les émissions, reste à trouver des débouchés aux gaz capturés, pointe de son côté Amélie Hennion, directrice générale d’Aluminium Dunkerque (590 salariés, 560 M€ de CA), autre site industriel phare du Dunkerquois.

"La décarbonation, c’est un travail que nous avons entamé il y a trois ans, en visant la neutralité carbone à 2050. La première étape, c’est bien sûr la question de l’énergie. Nous dépendons énormément de l’électricité pour l’électrolyse, et nous travaillons à réduire notre consommation de gaz. En revanche, nous n’avons que peu de marge pour réduire les émissions dues au process. La meilleure solution nous concernant, c’est le captage du CO2. Mais cela implique, d’avoir des partenaires et des débouchés, localement, pour ce CO2. Seuls, nous ne pouvons pas tout faire", souligne la dirigeante.

H2 et CO2, les " Hub " comme bases d’un écosystème

Créer un écosystème propice aux synergies industrielles, c’est justement l’objectif des collectivités locales. Pour "faire de la contrainte, une opportunité", il faut créer les conditions de création d’une nouvelle économie du carbone, parient-elles. Un espace où la chaleur fatale des uns alimente les process des autres. Où le CO2 est capté et mutualisé, pour être utilisé dans un process industriel, transformé en kérosène "bas carbone " (projet Reuze, porté par Engie), ou liquéfié et séquestré (projet Northern Lights, porté par Equinor, Shell et Total). En parallèle, un "Hub" hydrogène vert (H2) est en train de voir le jour. Produit grâce aux sources d’énergie "propres" du territoire, et notamment, du futur champ éolien offshore (d’une puissance de 600 MwH, prévu pour 2029), il sera amené directement, des sites de production, aux entreprises consommatrices. Complété par "l’autoroute de la chaleur", réseau de vapeur d’une trentaine de kilomètres, ce maillage souterrain constitue la colonne vertébrale du futur territoire "zéro carbone", foisonnant d’innovations et de projets. Au prix d’un investissement de 4 à 5 milliards d’euros sur la période, porté avant tout par les industriels, avec le soutien des pouvoirs publics. Mais avec des retombées très directes en perspective.

1 200 emplois directs, 2 000 indirects et 12 000 induits

"La décarbonation, ce sont 16 000 créations d’emplois prévues sur le Dunkerquois ", pointe Rafael Ponce, le président d’Euraenergie, l’organisme qui chapeaute l’ensemble de la démarche. Et la revitalisation est déjà en marche, après un "trou" dans les implantations industrielles, entre 2008 et 2014. Ces dernières années, l’annonce d’importants investissements industriels, comme ceux de SNF, de Clarebout Potatoes, ou d’EcoCem, montre que le Dunkerquois attire de nouveau. Sans compter, l’arrivée prochaine du fabricant de cellules de batteries grenoblois Verkor, qui va investir 1,5 milliard d’euros dans une gigafactory, et créer "1 200 emplois directs, 2 000 indirects et 12 000 induits" sur le territoire, présente-t-il. De quoi impulser, espère-t-on localement, une spécialisation du territoire dans la mobilité décarbonée. En attendant "six à sept très gros projets d’implantation sont en cours sur le port", lâche Rafael Ponce, qui l’assure : "depuis l’annonce de l’arrivée de Verkor, toute la filière mobilité, amont et aval, s’est manifestée".

Des zones "clés en main"

L’arrivée de cet acteur vient valider à la fois les efforts réalisés depuis 2019, et la feuille de route pour les années à venir : parmi les éléments qui ont décidé l’industriel, très courtisé, à choisir Dunkerque, a joué la possibilité de s’installer sur l’une des zones "clés en mains" créées par le Port. "Ce sont des zones où toutes les études préalables ont été réalisées. Verkor va s’installer sur une vaste surface, déjà prête à accueillir la gigafactory, et avec la possibilité, à terme, de se connecter à l’autoroute de la chaleur, qui va contribuer à décarboner leur activité", présente David Lefranc, le directeur de l’Aménagement du Grand Port Maritime de Dunkerque (GPMD). Sans compter, la présence du port et du terminal ferroviaire, indispensables au vu des ambitions à l’export de la start-up industrielle. La preuve que Dunkerque a "une longueur d’avance sur les autres territoires", résume David Lefranc. "C’est l’Ademe elle-même qui le dit, Dunkerque a été le premier territoire à candidater pour l’appel à projets Zibac (lire par ailleurs). Avec une feuille de route CO2 solide, lancée depuis plusieurs années, des investissements structurants à soumettre, et une gouvernance déjà établie".

Les PME dans la danse

Derrière les locomotives que sont les grands groupes et les collectivités, les PME et ETI s’emparent aussi de la décarbonation. Comme Daudruy (340 M€ de CA, 193 salariés), ETI bientôt bicentenaire, qui se veut déjà "zéro carbone". Et met en œuvre, à son échelle, les synergies pour y parvenir. Installé sur la zone de Petite-Synthe, à Dunkerque, ce spécialiste des huiles végétales et de poissons est désormais connecté au réseau de chaleur, en lien direct avec le Centre de Valorisation Energétique (CVE) tout proche, géré par Dalkia. "Notre process produit beaucoup de vapeur, que l’on injecte en hiver dans le réseau, pour compléter l’apport du CVE au réseau de chaleur urbain. Et en été, quand le CVE est en surproduction, il nous fournit en vapeur", résume Pierre-Louis Daudruy, manager de Business Unit au sein de l’entreprise familiale. Surtout, l’ETI s’apprête à investir 15 millions d’euros pour se doter d’une unité de biométhanisation. Appelée à être "la plus grande au nord de Paris", cette unité d’une capacité de 750 nm3 valorisera certains co-produits de Daudruy, comme ses terres de filtration, et différents résidus gras. La coopérative Agriopale, spécialiste de la valorisation des biodéchets et partenaire de Daudruy, fournira des matériaux solides pour compléter le mix. "Nous injecterons du biogaz dès la fin mars, et nous capterons le CO2 issu de la méthanisation. Nous serons en mesure de le liquéfier, mais nous cherchons encore le partenariat qui nous permettra de lui trouver un débouché. Pourquoi pas dans l’alimentaire ? Après tout, l’usine Coca-Cola n’est pas très loin…", glisse Pierre-Louis Daudruy. L’entreprise ne communique pas le chiffre d’affaires estimé, mais prévoit un retour sur investissement d’une dizaine d’années pour le dispositif.

Des synergies à venir

Conceptrice de Terrao, un dispositif permettant de laver les fumées industrielles et d’en récupérer les calories, Starklab (5 M€ de CA 2021, 35 salariés), basée à Nomain, compte bien mettre son inventivité au service des industriels dunkerquois. Elle a mis au point un nouveau dispositif qui consiste à alimenter des chaudières en circuit fermé, en recréant de l’air synthétique. Un système qui, en plus de capter et rebrûler indéfiniment le CO2, pourrait être un débouché pour l’oxygène pur, produit à perte par les industries utilisant l’électrolyse. "Nous captons le CO2 issu de la combustion pour recréer, à l’entrée des chaudières, un air synthétique sans azote, combinant CO2 et oxygène pur. Ce dispositif peut s’adapter à n’importe quelle installation industrielle", décrit Jaouad Zemmouri, co-fondateur de Starklab. Faisant déjà l’objet d’un démonstrateur à Coudekerque-Branche, près de Dunkerque, cette innovation n’attend qu’un test grandeur nature. "Le système fonctionne sur une chaudière de 250 kW, correspondant à une vingtaine de logements. Nous sommes à la recherche d’un partenaire pour l’implémenter, en 2023, sur une chaudière industrielle, soit dix fois plus grosse". L’enjeu pour Starklab : être au diapason de la décarbonation du territoire. "Nous réfléchissons à monter une structure spécifique pour ce dispositif CO2, et à lever des fonds, pour aller au plus vite. Le marché du CO2 est très important, nous voudrions lancer la commercialiser dès 2024", présente Jaouad Zemmouri. De nouvelles synergies en perspective…

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