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Bart Gruyaert (Altifort) : « Nous sommes sûrs de notre projet pour Ascoval »
Interview Nord # Industrie # Reprise

Bart Gruyaert cofondateur et directeur général d'Altifort Bart Gruyaert (Altifort) : « Nous sommes sûrs de notre projet pour Ascoval »

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Bart Gruyaert est le cofondateur d’Altifort, le jeune groupe franco-belge (1 500 salariés, 200 M€ de CA) qui a repris l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve, dans le Nord, à l’issue d’un long feuilleton judiciaire. Le dirigeant détaille sa stratégie pour la relance du site, qui emploie 281 salariés.

Bart Gruyaert a cofondé Altifort avec Stanislas Vigier en 2013. Depuis, le groupe franco-belge a racheté des unités industrielles tous azimuts, avec comme prise majeure, l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve (Nord) — Photo : Altifort

Altifort est pleinement propriétaire d’Ascoval depuis le 1er février. Où en est l’activité sur le site ?

Bart Gruyaert : Pour le moment, nous démarchons des clients, qui doivent homologuer nos produits. C’est un processus qui prend du temps mais, en quelques semaines, nous avons établi plus de 300 devis, et coulé 10 000 tonnes d’acier pour ces échantillonnages, alors que nous avions prévu 5 000 tonnes. Ce sont des signes encourageants, mais il faut que tout cela se concrétise. Pour le moment, nous restons sur nos prévisions, de 200 000 tonnes d’acier coulées la première année ; sachant que nous visons, à terme, une production de 500 000 tonnes annuelles.

L’un des axes forts de votre projet est la diversification du site, grâce à l’installation d’un train à fil. Quand sera-t-il opérationnel ?

B.G. : Deux constructeurs potentiels vont nous faire des propositions techniques et financières. Ce n’est pas une décision à prendre à la légère, puisque, outre l’investissement (85 M€ prévus dans le plan de reprise, NDLR), notre choix aura des conséquences. Selon les options choisies et les spécifications du train à fil, nous n’adresserons pas les mêmes marchés. À nous de choisir les plus prometteurs, sans nous enfermer dans une monoproduction dangereuse en cas de retournement. Nous ne voulons pas retomber dans les erreurs du passé. J’espère qu’à la fin de l’été, la phase d’étude sera terminée, et que d’ici à deux ans, nous aurons notre train à fil.

Quels sont les principaux marchés visés ?

B.G. : En l’état, nous adressons deux marchés. Nos tubes intéressent l’industrie et la pétrochimie, et nos aciers spéciaux sont, eux, destinés à des applications critiques dans l’aéronautique, pour les trains et véhicules lourds, ou l’industrie militaire et nucléaire.

Avec le train à fil, nous produirons des filins, utilisés dans les pneumatiques, pour les ponts suspendus, ou pour les câbles sous-marins, par exemple. Mais aussi des barres, utilisées en mécanique, ou pour la fabrication de machines spéciales pour l’industrie. Avec la diversification, nous espérons ne pas être impactés au-delà de 20 % de notre CA si l’un de nos marchés ralentit.

Comment cela se traduit-il en termes de clientèle ?

B.G. : Nous devons changer radicalement de modèle, et passer d’un client unique, Vallourec, à plusieurs. Dans l’idéal, j’aimerais avoir entre quarante et cinquante clients : un ou deux gros, quatre ou cinq moyens, et beaucoup de petits. Là encore, c’est une stratégie pour réduire notre dépendance à certains clients. C’est aussi le meilleur moyen de garantir nos marges.

« Nous n’avons jamais caché que les premiers mois allaient être compliqués. (...) Nous essayons de voir le verre à moitié plein, mais certains préfèrent le voir à moitié vide. »

Certaines entités d’Altifort seront bien sûr clientes du site, pour un volume annuel de 20 à 30 000 tonnes, ce qui nous place parmi les clients « moyens ». L’aciérie offrira un avantage compétitif au groupe, notamment du point de vue des délais de livraison.

Avez-vous noué des contacts commerciaux avec des entreprises régionales ?

B.G. : Non, aucun dans les Hauts-de-France. Mais pour le moment notre production est très spécifique, il n’y a pas grand monde dans la région avec qui nous pourrions travailler. En revanche, quand nous produirons des barres et du fil, nous aurons sans doute beaucoup plus de contacts en local. D’ici à deux ans et demi, nous pouvons espérer écouler 80 000 tonnes d’acier par an auprès de partenaires régionaux. Enfin, nous sommes, comme l’était Vallourec, de grands consommateurs de ferraille. Beaucoup d’anciens fournisseurs du site, et des nouveaux, nous ont contactés.

Tout au long de la procédure judiciaire, vous avez été beaucoup soutenus par les salariés. Comment ça se passe désormais ?

B.G. : Nous continuons à nous montrer le plus transparent possible avec les salariés. La décision du tribunal de Strasbourg était très attendue, et a été accueillie avec beaucoup de joie. Mais nous n’avons jamais caché que les premiers mois allaient être compliqués. D’ailleurs, si depuis un mois nous avons eu un certain nombre de commandes pour homologation, elles ont été rassemblées sur 15 jours. Ce qui veut dire que nous avons eu 15 jours de chômage. C’est une réalité que nous exposons, en essayant de voir le verre à moitié plein. Mais certains préfèrent le voir à moitié vide.

Et comment vivent-ils les évolutions qui s’annoncent ?

B.G. : Un vrai changement de culture attend les salariés. Ils ne travaillaient que pour Vallourec, en interne, protégés de la réalité du marché. Ils n’ont pas l’habitude de traiter avec différents clients, de s’adapter à leurs exigences.

« Nous sommes sûrs de notre projet, il ne reste qu’à travailler dur pour que cela fonctionne. »

Au niveau de la communication, il faut aussi revoir beaucoup de choses, pour passer d’une unité de production à une unité commerciale. L’Allemagne est notre premier marché, et personne ne parle allemand sur le site – pas plus qu’anglais d’ailleurs. Il va falloir que cela change rapidement, et nous avons mis en place des ateliers pour reconnecter le site au marché. Il y a du travail, mais nous pouvons compter sur beaucoup de bonnes volontés.

Votre décision de reprendre Ascoval a pu paraître osée… Qu’est-ce qui vous a convaincu du potentiel du projet ?

B.G. : L’intégration d’Ascoval est une grande étape pour un jeune groupe, mais tous les éléments sont réunis pour rendre l’aciérie compétitive. Avant tout, elle est l’une des plus modernes d’Europe. Ensuite, le coût de l’électricité est bas en France, comme celui des matières premières, alors que la main d’œuvre est au même prix qu’en Allemagne.

Du point de vue du marché, celui des aciers spéciaux est à 90 % européen, il est protégé. Et même si l’industrie automobile ralentit à l’avenir, la demande en aciers spéciaux, allégés par exemple, va augmenter. Nous faisons tout ce qui est possible pour démarcher des clients, et trouver de nouveaux débouchés. Nous sommes sûrs de notre projet, il ne reste qu’à travailler dur pour que cela fonctionne.

Altifort a été créé en 2013, et compte déjà 14 usines et 15 centres de service. Le dossier Ascoval réglé, repartez-vous sur un nouveau projet ?

B.G. : Après Ascoval, tout le monde, des juges de Strasbourg à mes équipes en passant par Bercy et mes clients, m’ont demandé de me calmer. Donc j’essaye de me calmer ! Même si on me propose régulièrement de nouveaux dossiers de reprise, je me force à ne pas les regarder… en tout cas, jusqu’à ce qu’Ascoval tourne à plein régime !

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