Conflit Boeing-Airbus : ce que changent les taxes américaines pour l'aéronautique et la viticulture françaises
# Culture # International

Conflit Boeing-Airbus : ce que changent les taxes américaines pour l'aéronautique et la viticulture françaises

S'abonner

Les entreprises françaises de vin et d’aéronautique se retrouvent en première ligne de la politique protectionniste du président américain Donald Trump. Mi-octobre, Washington a annoncé une hausse des droits de douane sur 150 produits européens. Si l’aéronautique échappe au pire, la filière viticole française cherche des solutions pour absorber les 25 % de taxe supplémentaire à l’entrée des États-Unis, son premier marché à l’export.

Les États-Unis viennent d’augmenter les droits de douane sur 150 produits européens. En France, la viticulture fait partie des principaux secteurs impactés, avec l’aéronautique et l’industrie laitière — Photo : Philippe Marchand

Avec sa politique tonitruante de protectionnisme, le président américain Donald Trump a relancé la guerre commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). Le 18 octobre 2019, le pays de l’Oncle Sam a appliqué une augmentation des droits de douane sur 150 produits de l’UE. Une décision en forme de sanction, autorisée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans l’affaire qui oppose, depuis deux décennies, Airbus et Boeing. Les deux avionneurs s’accusent mutuellement de faire subventionner illégalement leur activité.

Un milliard d’euros de pertes pour la France

En dédommagement, les États-Unis ont donc été autorisés à ponctionner l’équivalent de 7,5 milliards de dollars par an (6,9 Md€) à l’entrée de leur territoire, sur une liste des produits incluant des denrées comme le parmesan italien, le whisky écossais, le textile britannique, ou encore les micro-ondes allemands. Pour ce qui est de la France, le vin et l’aéronautique sont en première ligne, avec des augmentations respectives des droits de douane de 10 % et de 25 % ad valorem.

Conséquences pour les entreprises tricolores ? Un milliard d’euros de pertes pour les exportateurs français, selon l’assureur-crédit Eurl Hermès, dont 370 millions pour le vin, 50 millions pour le lait et 530 millions pour l’aéronautique.

L’aéronautique évite le pire

Pour l’aéronautique, on craignait bien pire. À l’origine, il était question de taxer à 100 % les avions entiers européens importés aux États-Unis, et ce, jusqu’à un montant de 7,5 milliards de dollars annuels. Cela aurait conduit à un doublement du prix des avions Airbus sur le sol américain.

Donald Trump aurait-il fait preuve de prudence dans une économie mondiale imbriquée ? « Près de 40 % des approvisionnements liés à des appareils Airbus proviennent de fournisseurs américains de produits aéronautiques et spatiaux », détaille le patron d’Airbus Guillaume Faury, dans un communiqué. Selon l’avionneur européen, cette chaîne d’approvisionnement soutiendrait 275 000 emplois aux États-Unis. Par ailleurs, les compagnies aériennes américaines clientes d’Airbus, comme Delta Airlines, ont fait savoir leur inquiétude à l’idée d’une taxe violente sur les avions qu’elles avaient en commande.

Les sous-traitants français, eux, sont un peu déboussolés. Dans le Pas-de-Calais, Aquarese, intégré au groupe américain Shape, craint un impact financier lourd, tandis que Le Guellec, dans le Finistère, pense pouvoir passer entre les gouttes.

L'histoire ne devrait en tout cas pas s'arrêter là : début 2020, l’OMC se prononcera sur les aides fiscales accordées à Boeing. Il y a fort à parier qu’elles seront, elles aussi, illégales et que l’Union européenne pourra répliquer d’une manière au moins aussi forte que Washington, dans une guerre de tranchées et de jeu d’équilibre entre Boeing et Airbus.

Les vins français dans le viseur américain

C’est donc sur d’autres filières emblématiques de l’excellence européenne que se sont déplacées les rétorsions. Le vin américain étant plus taxé à l’importation en Europe que ne l’est le vin français à l’entrée des États-Unis, c’est sur ce terrain que Donald Trump a décidé de riposter. Et pour les producteurs français, c’est la punition : 25 % d’augmentation de droits de douane sur leur premier marché à l’export.

« Nous sommes les victimes collatérales d’un conflit qui n’est pas le nôtre. »

« Nous sommes les victimes collatérales d’un conflit qui n’est pas le nôtre », clame Antoine Leccia, président de la Fédération des exportateurs de vin. Il évalue à 4 500 le nombre d’entreprises françaises exportatrices touchées. La filière craint des pertes de parts de marché. « Nous redoutons la pression concurrentielle des vins italiens rosés qui ne seront pas taxés », souligne Eymard Brice, le directeur général du Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP).

« Il est tout à fait possible que cette hausse soit absorbée par le consommateur américain, au moins pour les bouteilles de moyenne gamme. Pour celles qui sont très chères, l’incertitude est plus grande », analyse un expert au sein du cabinet de conseil Altios aux États-Unis. La taxe pourrait aussi être absorbée à d’autres étages. « Les distributeurs ont annoncé qu’ils ne reviendraient pas sur leurs marges », relate le directeur général du CIVP.

Les discussions vont donc bon train entre producteurs, négociants et importateurs, pour savoir qui pourrait les rogner. Chacun sera sans doute amené à faire un effort. C'est ce que laissent entendre, et espèrent, le domaine Trimbach, en Alsace, ou le groupe MDCV Provence. Autrement dit, les conséquences des surtaxes américaines sur les acteurs français dépendront de la capacité de négociation de chaque entreprise. Et de leur situation financière : le domaine des Coteaux, en Loire-Atlantique, par exemple, admet ne pas être en position de jouer sur ses propres marges.

• Des pistes pour contourner la surtaxe douanière

Pour les experts d’Altios, cette taxe peut conduire Américains et Européens à réfléchir à leur modèle, sur un marché réglementé marqué par le « three-tier system », issu de la prohibition (sauf exceptions, les producteurs doivent passer par des grossistes qui revendent à des détaillants). « C’est aussi une opportunité pour travailler différemment dans la chaîne de valeur, de façon à minimiser l’impact des taxes, via une importation directe, comme cela se fait déjà dans l’Ohio », poursuit Eymard Brice.

Les exportateurs français réfléchissent à différentes options pour passer le cap en douceur. Le CIVP a pensé créer une plateforme d’embouteillage aux États-Unis, car seules les bouteilles de moins de 2 litres sont concernées par les rétorsions commerciales. Une solution déjà expérimentée par le Domaine Chapoutier. Mais la filière hésite. « Nous manquons de visibilité, car la liste des produits touchés est révisable tous les six mois », commente Eymard Brice. En attendant, la réplique viendra d’une diversification accélérée vers d’autres zones géographiques, notamment en Asie-Pacifique.

# Culture # Aéronautique # International