"Une entreprise doit partager sa création de richesse avec ses collaborateurs"
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Pierre Havet délégué général du Fondact "Une entreprise doit partager sa création de richesse avec ses collaborateurs"

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Alors que le pouvoir d’achat redevient la première préoccupation des Français, pourquoi ne pas opter pour la mise en place d’un mécanisme d’épargne salariale, comme l’intéressement et la participation ? Les entreprises réunies au sein du Fondact sont convaincues du bien-fondé de ces dispositifs. Explications de Pierre Havet, délégué général de l'association.

Pour faciliter le développement de l’intéressement dans les petites entreprises, Pierre Havet, délégué général du Fondact, souhaite que des accords-type soient signés au niveau des branches professionnelles — Photo : Fondact

Regroupant une centaine d’entreprises, l’association Fondact promeut une économie dans laquelle les entreprises partagent la création de valeur avec leurs salariés. Où en sont les entreprises en matière d’épargne salariale ?

Cela progresse. Depuis la loi Pacte, le gouvernement incite les entreprises à avoir recours aux dispositifs d’épargne salariale et d’épargne retraite. Au Fondact, nous croyons qu’une entreprise doit partager sa création de richesse avec ses collaborateurs. Mais il faut que davantage de salariés accèdent à l’épargne salariale, en particulier dans les PME et les ETI. 85 % des salariés des grandes entreprises ont accès à l’un des dispositifs d’épargne salariale - intéressement ou participation -, mais moins de 15 % des salariés dans les entreprises de moins de 10 salariés.

Qu’est ce qui explique cette différence entre grandes et petites entreprises ?

Il y a d’abord une question d’obligation : les entreprises de 50 salariés et plus doivent redistribuer une partie de leurs bénéfices au titre de la participation. Ensuite, pour les PME, ces dispositifs ne sont pas toujours très accessibles, en particulier pour celles qui ne sont pas dotées d’un service Ressources Humaines ou d’une direction administrative et financière. Un mécanisme comme l’intéressement n’a de réalité que quand il y a des dirigeants mais aussi une fonction financière et une fonction RH qui fonctionnent ensemble et qui entraînent, ensuite, le reste du management.

L’épargne salariale peut faire peur : elle suppose une négociation avec les partenaires sociaux et de la technicité financière. Pour faciliter son déploiement dans les entreprises, nous proposons, au Fondact, que les branches professionnelles mettent en place des accords sur étagère, c’est-à-dire des accords types proposés au sein de chaque branche, adaptés aux spécificités du secteur d’activité, et que les entreprises peuvent plus facilement mettre en œuvre.

Existe-t-il beaucoup d'accords de branche de ce type ?

Non, pas suffisamment. Sur les 200 branches actives de manière significative en France, seulement une trentaine est dotée d’accords. C’est un des problèmes. Malgré cela, l’épargne salariale continue de progresser en France, il y a une prise de conscience sur le sujet, le gouvernement, les équipes de Bercy et de la Direction générale du travail poussent. Il y a des choses qui ont plutôt été bien faites, même si on peut encore améliorer ces dispositifs.

Que peut-on améliorer ?

Nous proposons de faire disparaître le forfait social, une taxe inventée par Nicolas Sarkozy, optimisée par François Hollande et qui, à la fin du quinquennat Hollande, était de 20 % sur les sommes versées au titre de l’épargne salariale. En 2019, la loi Pacte a un peu amélioré le dispositif, en supprimant le forfait social pour les sommes versées au titre de l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur l’ensemble des versements d’épargne salariale pour les entreprises de moins de 50 salariés. Il serait plus efficient d’enlever cette taxe, qui pénalise les bons élèves : les entreprises qui ne mettent pas en place d’intéressement ne paient pas cette taxe ! Notre pays a réussi à venir à bout de la taxe d’habitation. Peut-être faut-il établir un calendrier pour faire disparaître de la même façon, c’est-à-dire progressivement, le forfait social…

Que représente pour l’État le forfait social aujourd’hui en France ?

Le forfait social sur l'épargne salariale rapporte à l'État autour de 3 milliards d'euros par an. Mais ce n’est pas important de chiffrer le montant annuel de ce qu’il rapporte à l’État parce que si plus d’entreprises distribuent davantage d’épargne salariale, l’État touchera davantage de prélèvements sociaux de la part des salariés.

Pensez-vous qu’il faille rendre la participation obligatoire pour les plus petites entreprises comme le propose Thibault Lanxade, l’un des ambassadeurs à l’intéressement et à la participation nommés par le gouvernement ?

Thibault Lanxade a raison de poser la question. Mais je pense qu’il ne faut pas vouloir y répondre par une obligation mais par une liberté, par une forte incitation à réussir les négociations dans les entreprises. Et cela ne passe pas uniquement par des questions liées à l’épargne salariale, mais aussi par une meilleure représentation des salariés dans les plus petites entreprises. Le fait d’avoir une représentation du personnel facilite le développement de l’épargne salariale. Et c’est un ancien DRH qui parle et je n’ai pas toujours été d’accord avec les partenaires sociaux et les syndicalistes ! Mais quand les représentants du personnel de l’entreprise vont chercher les bonnes informations, ils peuvent négocier en connaissance de cause et faire intelligemment avancer les choses.

Quelles sont les motivations principales des employeurs qui mettent en place ces mécanismes ?

Il y a d’abord une motivation économique. Des mécanismes comme l’épargne salariale améliorent l’implication et la fidélisation des collaborateurs. Ils vont également permettre d’éviter à l’entreprise de surcharger ses coûts à long terme. En cas de mauvaise année, avec l’intéressement et la participation, vous ne redistribuez pas les profits que vous n’avez pas réalisés. Cela donne une flexibilité indolore à la masse salariale.

Certains dirigeants ont aussi la conviction qu’il faut associer les salariés à la prospérité de leur entreprise, qu’il faut donner du sens à la vie dans l’entreprise. On a beaucoup parlé de partage de résultats mais, quand vous tirez un peu plus la pelote, les entreprises peuvent opter, avec l’actionnariat salarié, pour le partage de la propriété et le partage de la gouvernance. Et là encore, cela a des conséquences sur l’économique. Dans les entreprises qui ont une culture d’actionnariat salarié, les taux de démission baissent de 2,5 points. Les employeurs font cela par conviction mais aussi parce que c’est efficace, je vais presque dire "rentable". Le mot est peut-être un peu fort, mais il ne faut pas oublier que cela coûte cher à l’entreprise d’avoir des taux de démission élevés.

Par où commencer pour mettre en place un mécanisme d’épargne salariale dans une PME ?

Déjà, il faut que le dirigeant d’entreprise soit convaincu de ces dispositifs, qu’il ait envie de les mettre en place et qu’il en ait compris les enjeux et les intérêts.

Ensuite, je conseille qu’il en parle autour de lui, à la chambre de commerce, à son expert-comptable, auprès des organisations patronales.

Enfin, il lui faut aussi faire de la pédagogie dans l’entreprise. Il ne faut pas se lancer en disant à ses salariés : "J’ai un truc super pour vous, vous allez toucher 1 000 euros de plus." C’est un peu plus complexe que cela. La mise en place d’un mécanisme d’épargne salariale peut s’accompagner d’une réflexion sur l’ouverture d’un dispositif de plan d’épargne entreprise ou d’un plan d’épargne retraite. Il faut donc que les collaborateurs comprennent ce que sont ces dispositifs, la logique de partage des résultats et les objectifs de l’entreprise.

Selon vous, l’épargne salariale débouche parfois sur de l’actionnariat salarié. Où en est-on en France sur ce sujet ?

En 2017, Bruno Le Maire avait évoqué un objectif de 10 % de taux de détention du capital par les salariés. À l’époque, on en était environ à 4 % ; aujourd’hui on n’en est probablement guère au-delà de 5 %. Il y a quelques grandes entreprises qui sont largement au-dessus, comme Saint-Gobain, qui est autour de 10 % (8,3 % au 31 décembre 2021, NDLR), ou Eiffage, qui est déjà à 20 %.

Dans l’actionnariat salarié, il y a trois dimensions. Il y a d’abord les entreprises qui choisissent de pas en avoir : ce ne sont pas les mauvaises élèves de la classe, elles peuvent avoir de très beaux systèmes d’intéressement et de participation. Ensuite, il y a les entreprises cotées pour qui les règles ont été renforcées avec la loi Pacte et c’est une bonne chose. Pour les entreprises non cotées, l’actionnariat salarié est un sujet un peu plus compliqué, parce qu’il se heurte au sacro-saint problème de la liquidité. Si le dirigeant souhaite associer ses collaborateurs au capital, cela devient technique. Il faut se faire accompagner par une société de conseil spécialisée, de façon à monter un dispositif assurant la liquidité pour les collaborateurs.

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