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Transport, BTP, industrie... à qui va profiter le "plan de résilience" contre l'impact de la guerre en Ukraine ?
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Transport, BTP, industrie... à qui va profiter le "plan de résilience" contre l'impact de la guerre en Ukraine ?

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Face à la crise ouverte par la guerre en Ukraine, le gouvernement a dégainé, le 16 mars, son "plan de résilience". Ce large éventail de mesures tente de couvrir toute la palette des conséquences du conflit, aussi bien pour le BTP et les transports que pour l’agroalimentaire, l’industrie ou les exportateurs. Mais sans pour autant rouvrir en grand les vannes du "quoi qu’il en coûte".

Le "plan de résilience", annoncé par le Premier ministre Jean Castex le 16 mars, mêle aides universelles et mesures sectorielles, pour aider les entreprises confrontées aux conséquences de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie — Photo : Capture d'écran

La crise du coronavirus avait accouché d’un plan de relance. La guerre en Ukraine débouche sur un "plan de résilience". Dans une scénographie qui n’était pas sans rappeler les conférences de presse tenues au plus fort de l’épidémie de Covid19, le chef du gouvernement et plusieurs de ses ministres se sont relayés pour décliner un large éventail de mesures, censées protéger les entreprises et les ménages des répercussions de la crise russo-ukrainienne. Mais, cette fois, pas question de ressusciter le "quoi qu’il en coûte", assure l’exécutif. Même si la boîte à outils mobilisée y ressemble parfois furieusement, son périmètre limité risque de faire quelques déçus.

Des aides transversales pour toutes les entreprises

Le "plan de résilience économique et sociale" propose une première palette d’aides ouvertes à tout secteur fragilisé par les conséquences de la guerre en Ukraine en général, par l’envolée des prix du gaz et des carburants en particulier. La plupart du temps, ces dispositifs sont prévus pour durer quatre mois. Mais certains ne sont pas encore tout à fait stabilisés et sont toujours discutés au niveau européen.

• Double coup de pouce sur le carburant, le gaz et l’électricité

Une "aide européenne" pour les énergo-dépendants. C’est un peu le fonds de solidarité, version crise ukrainienne. Quels que soient leur taille et leur secteur, les entreprises pourront toucher une subvention directe de 25 millions d’euros maximum, si elles remplissent trois conditions : leurs factures de gaz et d’électricité ont progressé d’au moins 40 % "depuis le début de la guerre" ; leurs dépenses en la matière représentent au moins 3 % de leur chiffre d’affaires ; elles enregistreront des pertes d’exploitation en 2022.

Bercy s’attend à mobiliser ainsi 3 milliards d’euros, surtout au profit de la métallurgie, la chimie, l’industrie du papier, certaines usines agroalimentaires et entreprises agricoles. Jean Castex l’assure : ce dispositif, prévu sur les 9 derniers mois de l’année, doit "permettre la prise en charge de la moitié du surplus de leurs dépenses énergétiques et ainsi effacer la plus grande partie de leurs pertes" (dans une limite fixée à 80 %).

Une "remise carburant" de 15 centimes par litre. La mesure avait été dévoilée dès le 12 mars. Particuliers comme professionnels obtiendront un rabais de 15 centimes par litre de carburant, entre le 1er avril et le 31 juillet. La réduction, appliquée par les distributeurs, sera valable aussi pour le GNV, le GPL, le GNR utilisé notamment par les agriculteurs ou dans le BTP, mais pas pour le sans plomb 98. Les pêcheurs auront droit à une ristourne plus généreuse et plus rapide pour le gasoil de leurs bateaux : -35 centimes dès le 16 mars.

• Trois outils du "quoi qu’il en coûte" remis en avant

Le plafond des prêts garantis par l’État relevé. Les entreprises vont pouvoir s’endetter encore plus. Ce n’est pas forcément ce qu’elles voulaient entendre, mais c’est le principal aménagement annoncé : jusqu’au 30 juin (date inchangée), il sera possible d’obtenir jusqu’à 35 % de son CA dans le cadre d’un PGE (contre 25 % auparavant). Bruno Le Maire rappelle que la durée d’amortissement peut être allongée sous conditions. Une facilité apparue en début d’année, mais à laquelle n’ont recouru qu'"une petite dizaine d’entreprises" jusqu’à présent.

Un PGE new look promis au second semestre. Le projet est encore en discussion, mais Bercy et les banques travaillent sur un nouveau prêt garanti par l’État à partir du 1er juillet. Il serait plus modeste, puisque "les entreprises particulièrement impactées par les conséquences de la crise ukrainienne" ne pourraient plus obtenir que 10 % de leur CA par ce biais (chiffre à confirmer). En parallèle, les prêt bonifiés, octroyés par les Codefi (comités départementaux d'examen des difficultés financières des entreprises), resteront ouverts jusqu'au 31 décembre.

L’activité partielle de longue durée prolongée. Là encore, les attentes seront déçues. Plutôt que de réactiver la prise en charge intégrale du chômage partiel classique, le gouvernement préfère jouer sur l’APLD, le régime de longue durée apparu pendant la crise du coronavirus. Il sera prolongé de 12 mois dans les branches et entreprises déjà couvertes. Les autres auront jusqu’à la fin de l’année (au lieu 30 juin) pour signer un accord et entrer dans le dispositif, "ce à quoi je les invite vivement", a lancé le Premier ministre.

Le retour des reports de charges. Les entreprises vont pouvoir solliciter le fisc et les Urssaf, afin d’obtenir des reports de charges fiscales et sociales. Précision de Jean Castex : cette souplesse sera réservée à celles qui sont "mises en difficulté par l’augmentation des prix de l’énergie ou la perte de débouchés à l’export".

Des aides sectorielles pour aider les entreprises les plus touchées

Le "plan de résilience" adopte, en supplément, une approche très sectorielle, avec une multitude d’aides variées.

• Pour le bâtiment et les travaux publics

Aménagement des contrats publics… et privés ? Les acheteurs publics auront pour consigne d’inclure des clauses de révision des prix dans leurs contrats et de ne pas appliquer de pénalités de retard, lorsque les délais incriminés sont liés à la crise russo-ukrainienne. Plus globalement, le ministre de l’Économie rappelle aux clients, publics comme privés, que la "théorie de l’imprévision" peut s’appliquer dans la conjoncture actuelle, et en l'absence de clause de révision des tarifs. Elle autorise à réviser un contrat "en cas de changement de circonstances imprévisible, qui rend l’exécution trop coûteuse", a rappelé Bruno Le Maire.

Ouverture du "prêt croissance industrie" de Bpifrance. Annoncé en décembre, cet outil devait permettre aux usines, en proie à des tensions d’approvisionnement, d’emprunter 50 000 à 5 millions d’euros sur une durée maximale de dix ans. Les acteurs du BTP pourront finalement aussi y prétendre et accéder aux 700 millions d’euros prévus à cet effet.

• Pour le transport routier

Un complément à la "remise carburant". Très mobilisés face à la hausse des prix du carburant, les transporteurs routiers devront se contenter de la "remise carburant" de 15 centimes par litre. Mais Jean Castex leur promet qu’elle "n’affectera pas le niveau de leurs indexations gazole". La garantie, selon lui, que cette aide se traduira bien par une économie "de près de 1 500 euros sur le plein d’un camion pendant quatre mois". Un "complément d’aide au titre des pertes de ces dernières semaines" est également à l’étude.

L’accélération du remboursement de la TICPE. Ces versements passeront d’un rythme trimestriel à mensuel.

• Pour les agriculteurs

Le versement anticipé de la TICPE sur le gazole non-routier. Les exploitants agricoles obtiendront un remboursement anticipé de la taxe 2021, ainsi qu’un acompte de 25 %, à partir du 1er mai, pour la 2022.

Un effort supplémentaire sur les charges sociales. L’enveloppe de prise en charge des cotisations pour les agriculteurs les plus en difficulté va être revalorisée de 60 millions d’euros.

La flambée des coûts de l’alimentation animale compensée. L’État promet 400 millions d’euros pour soulager les éleveurs sur cette problématique qui leur est propre. Rétroactive au 15 mars, cette aide durera quatre mois, "le temps que les négociations commerciales assurent la transmission à l’aval des hausses de [leurs] coûts de production". Autrement dit, après des échanges laborieux conclus le 1er mars, la grande distribution, les industriels de l’agroalimentaire et les producteurs agricoles vont devoir reprendre langue dès le 18 mars, pour parler "indexation, renégociation et cadrage des pénalités logistiques", a prévenu le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie.

• Pour les exportateurs

Réactivation des outils du plan de relance. Malgré le contexte difficile, "nous ne devons pas céder à la tentation du repli", a lancé le Premier ministre à l’adresse des entreprises. Pour les encourager à aller à l’international, les chèques "relance export" et "VIE" seront "réactivés". En réalité, ils n’avaient pas encore été débranchés et devaient s’éteindre le 30 juin. L'assurance-crédit Cap Francexport devrait subir le même sort, mais sa prolongation au-delà du 31 mars est conditionnée à un feu vert de Bruxelles.

Mobilisation de l’assurance prospection. Là encore, il s’agit d’un instrument déjà en place. Avant la guerre en Ukraine, l’État ambitionnait même de soutenir 6 000 entreprises en 2022 par ce biais. Celles contraintes de réorienter leurs exportations, du fait du conflit actuel, seront soutenues en priorité dans ce cadre.

Des actions à long terme plus floues sur l’indépendance

Troisième axe du "plan de résilience", les annonces autour de l’indépendance énergétique et de la souveraineté alimentaire se sont avérés bien moins concrètes. Sur ces enjeux de moyen-long terme, l’exécutif a surtout énuméré les chantiers à venir : sortir du gaz et du pétrole russes avant 2027, accélérer le déploiement des énergies renouvelables, ainsi que la décarbonation de l’industrie et des transports… mais aussi "économiser le plus possible, à chaque fois que l’opportunité se présente, l’énergie qui est une denrée rare et chère", a souligné Jean Castex.

L’idée de ce troisième volet est généralement d’appuyer soit la diversification des approvisionnements, soit l’augmentation de la production nationale. Pour y parvenir, le gouvernement a tout de même déjà identifié quelques leviers rapidement mobilisables. Trois concernent directement les entreprises.

Gonfler le "fonds chaleur" de l’Ademe. Ce dispositif de soutien à l’investissement permet de convertir le système de chauffage d’un site à la biomasse notamment, en remplacement des énergies fossiles. Ses moyens vont être renforcés par une rallonge de 150 millions d’euros.

Accentuer la transition énergétique des usines. Dans le même ordre d’idée, un appel à projets de 150 millions d'euros sera lancé début avril pour "accélérer la décarbonation de l’industrie". Selon les premières indications de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, l’accent sera mis sur les efforts d’efficacité énergétique et de remplacement du gaz naturel par la biomasse. Surtout s'ils sont réalisables d'ici à l'hiver prochain.

Soutenir les projets de nouveaux approvisionnements. Là encore, peu de détails dans l’immédiat, si ce n’est que jusqu’à fin 2022, les entreprises pourront faire financer à 15 ou 35 % leurs investissements, s’ils contribuent à réduire la dépendance de la France à certains produits russes. Ces subventions pourront servir à la construction d’une usine de recyclage ou à couvrir les coûts d’un changement de procédé de production, a indiqué Bruno Le Maire en exemples.

Un "plan de résilience" amené à évoluer dans le temps

Ce paquet de mesures n’était donc pas tout à fait finalisé, au moment de sa présentation. Il sera de toute façon "évolutif", a insisté Jean Castex. Le chef du gouvernement a évoqué la "nécessité de s’adapter, autant que ce sera nécessaire, à la crise et ses impacts", d’autant qu’elle risque d’être "longue", de son propre aveu. L’État ne pourra pas tout faire non plus. C’est l’autre message lancé "avec beaucoup de gravité" par son ministre de l’Économie. Bruno Le Maire a appelé les donneurs d’ordres à "faire preuve de solidarité avec leurs sous-traitants". Exemple : "il faut que les TPE-PME puissent modifier leurs contrats avec leurs clients, pour prendre en compte les hausses de prix." Sur ce point, le gouvernement attendra des "actes" et promet sa vigilance. Le Médiateur des entreprises et la Répression des fraudes seront mis, en particulier, à contribution pour surveiller les comportements des uns et des autres au sein des différentes filières.

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