Transmission : faut-il réviser le pacte Dutreil ?
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Transmission : faut-il réviser le pacte Dutreil ?

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Le "pacte Dutreil" a été mis en place en 2003 afin d'alléger le coût fiscal de la transmission des entreprises dans un cadre familial, suite à un décès ou à une donation. Son cadre est aujourd'hui jugé trop contraignant.

— Photo : boonchok - stock.adobe.com

Il s’agit d’une « urgence économique absolue ». Pour Jean-Baptiste Danet, président de Croissance Plus, une association de 350 chefs d’entreprise, il faut revoir en profondeur les règles qui régissent la transmission d’entreprise en France. Un avis partagé par d’autres associations patronales, comme le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti). Dans leur ligne de mire : le "pacte Dutreil", dont le cadre est jugé trop contraignant.

Cet ensemble de mesures a été créé en 2003 pour faciliter la transmission d’une entreprise, par exemple entre un père et son enfant, ou la donation, en ouvrant des droits à différents allègements fiscaux, en échange d’un certain nombre de contraintes. « Cela ne concerne pas les entreprises du CAC 40, rappelle Jean-Baptiste Danet, mais bien les PME et les ETI à caractère familial ou régional, celles qui développent ou maintiennent les territoires et les emplois et contribuent à la TVA et autres taxes locales. »

« 70 000 PME sont susceptibles d’être transmises dans les dix prochaines années. »

Selon Croissance Plus, 56 % des entreprises sont transmises en Allemagne et 70 % en Italie, contre seulement 17 % en France. « En Allemagne, on ne paie des taxes que sur ce qui est produit. En France, on paie des taxes avant même d’avoir produit un euro. Dans une société qui pèse 150 millions d’euros de chiffre d’affaires, les droits de transmission peuvent atteindre ou dépasser 15 millions d’euros. Il n’y a pas d’autres solutions que de taper dans les fonds propres, donc dans les capacités d’investissement et de développement de l’emploi. C’est un handicap réel par rapport à la concurrence européenne et cela appauvrit des territoires où il n’y a que nos entreprises pour apporter de la richesse. Quand 4 000 emplois industriels sont créés en France, 240 000 émergent en Allemagne, » relate encore Jean-Baptiste Danet. « 70 000 PME sont susceptibles d’être transmises dans les dix prochaines années. Il est urgent de changer les règles du jeu. »

Davantage d’exonérations fiscales ?

La loi Pacte et la prochaine loi de finances doivent alléger les contraintes imposées par le pacte Dutreil. Mais, face au déficit des comptes publics, les mesures visant à exonérer le monde économique de certaines taxes ont du mal à franchir l’obstacle parlementaire, d’autant que le fameux pacte est plutôt complexe sur le plan technique « et difficile à expliquer », concède Jean-Baptiste Danet. Croissance Plus souhaite, par exemple, que l’exonération fiscale soit portée de 75 à 90 %. « Cela représenterait un manque à gagner de 100 millions d’euros pour l’État, mais qui sera compensé par la TVA, l’impôt sur les sociétés ou la baisse du coût du chômage. Cela coûte très peu et peut rapporter beaucoup. »

L’association demande aussi davantage de souplesse pour pouvoir faire évoluer le capital de l’entreprise. Le pacte Dutreil fige la détention du capital social pendant les quatre années suivant la transmission. La nouvelle loi lâche un peu de mou sur le sujet. « C’est insuffisant. Il faut par exemple que la PME qui peine aujourd’hui à attirer des compétences et à les conserver, puisse intégrer de nouveaux managers », plaide encore Jean-Baptiste Danet. « Aller plus loin que le toilettage envisagé, c’est donner du souffle à l’industrialisation de la France. »

« Les contraintes ne nous choquent pas »

Que pense-t-on de ce dispositif sur le terrain ? En 2017, Bruno Launay, 59 ans, créateur d’Amio Levage, une PME de 20 salariés installée à Ancenis (Loire-Atlantique), a confié les clés de sa société à son fils Julien, 38 ans, en activant le pacte Dutreil. Le jeune électromécanicien travaille dans l’entreprise familiale depuis plusieurs années. Il y a pris progressivement des responsabilités avant d’en devenir le patron.

« La transmission, on y a travaillé pendant cinq ans », décrit Bruno Launay. Début 2017, père et fils tombent d’accord sur une transmission sous pacte Dutreil. Il faudra encore presque une année pour aller au bout du processus. « Dans un premier temps, rien n’avançait. Entre l’avocat et le notaire, il n’y avait pas de communication. » Le recours à un consultant s’avère judicieux face à la complexité de la mise en œuvre.

« Aujourd’hui l’ISF pèse moins lourd, ce qui réduit l’intérêt de déclencher le pacte Dutreil. »

« Cela ne nous choque pas qu’il y ait des contraintes, comme le gel de la répartition du capital social de l’entreprise pendant quatre ans. Mon fils a pu devenir propriétaire de l’entreprise pour un prix très avantageux. On ne peut pas n’avoir aucune contrainte au regard de cet avantage considérable. Chacun de nous y a trouvé son avantage. Les exonérations fiscales permettent à Amio de continuer à vivre et à se développer, tout en versant à l’État la TVA ou l’impôt sur les sociétés liés à ses activités. »

Une transmission réussie dans le cœur de Bruno Launay, qui était parti de zéro dans les années 1990. « C’est une réelle fierté de voir son fils prendre sa place. Il y a une condition pour que ça réussisse : que le père retourne très vite dans l’ombre. C’est le plus difficile à comprendre quand on a créé sa boîte et consacré toute son énergie à la développer. C’est aussi pour ça qu’il faut bien préparer cette étape suffisamment tôt. »

La réforme de l’ISF change la donne

Le pacte Dutreil, certains s’en accommodent fort bien. Mais d’autres estiment qu’il est complètement dépassé. C’est le cas de Jean-Luc Brionne, consultant en fusion acquisition pour WA Capital, près de Rennes. Aguerri à la mise en œuvre du pacte Dutreil, il minimise son impact, même dans une formule allégée. « Le pacte Dutreil était intéressant, car il minimisait l’impôt sur la fortune. Aujourd’hui l’ISF pèse moins lourd, ce qui réduit l’intérêt de déclencher le pacte. Du coup, son contenu n’est pas fondamental pour faciliter une transmission, » analyse-t-il.

Autre observation plus sociétale : « Les transmissions familiales sont beaucoup plus rares qu’il y a vingt ans. Pour des raisons fiscales, mais aussi sociales. Un fils ou une fille d’entrepreneur préfère devenir avocat, médecin ou autre. Parce que gérer 20, 200 ou 2 000 salariés, c’est devenu extrêmement difficile. » Pour le consultant, une vérité demeure. « La fiscalité pénalise la transmission. Donner des facilités à un enfant pour reprendre l’entreprise familiale n’est pas forcément une mauvaise chose. Mais est-ce suffisant ? En tous les cas, cela ne concerne l’avenir que d’un petit nombre d’ETI. Cela restera un petit événement peu déterminant. »

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