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Transmission d'entreprise : comment la jurisprudence a fait évoluer le pacte Dutreil
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Transmission d'entreprise : comment la jurisprudence a fait évoluer le pacte Dutreil

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Mis en place en 2003, le pacte Dutreil favorise les transmissions à titre gratuit en exonérant les donations ou successions à hauteur de 75 % de la valeur des titres de l’entreprise. Donateurs et donataires doivent cependant respecter certaines conditions pour pouvoir y prétendre. Conditions récemment durcies par l’administration fiscale.

De nouvelles jurisprudences changent les conditions d’application du pacte Dutreil — Photo : Bojan

L’administration fiscale, qui s’est penchée sur le pacte Dutreil pour en corriger son fonctionnement, a complété sa doctrine au printemps dernier en mettant en place de nouveaux textes qui ont été intégrés au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP). Textes qui ont été auparavant soumis à consultation publique et revus par les praticiens. Mais pour l’heure, "il n’y a pas de calendrier prévu s’agissant de la sortie d’un nouveau BOFiP avec les textes corrigés", prévient Marion Capèle, directeur du pôle solutions patrimoniales de Natixis Wealth Management, qui regrette cette nouvelle version qui vient complexifier le pacte. "Si les précédentes évolutions du régime Dutreil, notamment la Loi de finances 2019, ont permis de le simplifier et de le faire évoluer dans le bon sens, les derniers commentaires de l’administration fiscale viennent quant à eux complexifier la possibilité de bénéficier de ce régime de faveur et désavantager le contribuable, l’obligeant à revoir sa transmission pour pouvoir satisfaire les nouvelles conditions posées par ces commentaires", expose-t-elle. Il est opportun d’attendre d’en savoir plus, et notamment de voir si certaines mesures vont être supprimées ou amendées. À l’heure où l’Hexagone ne fait que constater l’insuffisance des transmissions et cessions d’entreprises - le nombre de cessions acquisitions de PME a chuté de 19 % en 2020 -, l’enjeu de la transmission est de taille. Avec son abaissement à hauteur de 75 % des droits de donation sans limite de montant, le pacte Dutreil pourrait pourtant contribuer à redynamiser la transmission d’entreprise. Ainsi, pour la transmission d’une entreprise en pleine propriété évaluée à un million d’euros, les droits de donation sans pacte Dutreil sont estimés à 215 000 €, contre 15 000 € avec le pacte Dutreil actuel.

Remise en cause du pacte

Le principal débat repose sur l’exercice de la fonction de direction du donateur. Avec les modifications apportées par l’administration fiscale, il revient désormais à l’un des héritiers, légataires ou donataires, dans le cadre d’un pacte Dutreil réputé acquis, d’exercer les fonctions de direction ou d’une activité professionnelle principale pendant trois ans. Si auparavant le donateur qui passait la main à la nouvelle génération pouvait être cogérant avec ses descendants, ce n’est plus le cas aujourd’hui : celui qui décide de transmettre ses titres ne pourra pas être celui qui va exercer de fonction de direction. "L’administration fiscale s’est montrée plus sévère. Le fait d’avoir transmis ses titres et de continuer à exercer des fonctions de direction pourrait donner lieu à des remises en cause du pacte Dutreil, avertit Marion Capèle. Un chef d’entreprise qui souhaite assurer le suivi de sa société après l’avoir transmise à ses enfants ne pourrait donc plus le faire."

Se pose la question de qui pourra assurer cette fonction de direction, sachant que l’héritier ou le donataire n’a pas forcément vocation à assurer un tel poste à responsabilité, ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une personne mineure ou qui ne serait pas préparée à la gestion d’une telle structure. Il n’est en revanche pas exigé que cette fonction de direction soit exercée par la même personne pendant la durée requise. En outre, la condition de continuité de l’exercice de la fonction de direction est considérée comme respectée en cas de changement de direction provoquant une vacance n’excédant pas trois mois.

Succession d’engagements

En termes pratiques, le pacte Dutreil repose sur des engagements de conservation successifs pris par le chef d’entreprise. Il s’agit d’abord d’un engagement collectif de conservation des titres par le donateur et ses ayants droit pour une durée minimale de deux ans à compter de la date d’enregistrement de l’acte s’agissant d’un acte sous seing privé ou de la date de l’acte s’il s’agit d’un acte authentique. Depuis le 1er janvier 2019, les seuils de détention requis ont été abaissés : pour les sociétés non cotées, l’engagement doit porter sur 17 % minimum des droits financiers et 34 % des droits de vote attachés aux titres émis et, pour les sociétés cotées, sur 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote et être respectés pendant tous les engagements. Autre changement introduit par la Loi de finances pour 2019, le chef d’une entreprise unipersonnelle ou pluripersonnelle peut s’engager seul dans le cadre d’un engagement collectif. Il peut choisir de s’engager de manière unilatérale, soit avant la transmission, soit via un engagement "réputé acquis" à la date de la transmission. À l’issue de ce premier engagement collectif, un engagement individuel de conservation doit être pris par les héritiers ou donataires pour une durée minimale de quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif. Soit un délai total de six ans pendant lesquels donateurs et donataires doivent s’engager à conserver leurs parts.

Les conditions à respecter pour pouvoir bénéficier du pacte Dutreil

Pour signer un pacte Dutreil, l’entreprise doit exercer une activité opérationnelle, ce qu’elle soit commerciale, artisanale, industrielle, agricole ou libérale. Celle-ci peut ne pas être forcément exclusivement commerciale mais peut être mixte à condition que l’activité civile ne soit pas prépondérante. Une prépondérance qui ne se base plus sur le chiffre d’affaires mais sur un faisceau d’indices depuis les dernières modifications apportées par l’administration fiscale le 6 avril 2021 : l’activité commerciale doit ainsi représenter 50 % du chiffre d’affaires total et la valeur vénale des éléments de l’actif brut immobilisé et de l’actif circulant de l’activité commerciale doit représenter 50 % de la valeur totale. "Les commentaires de l’administration ont, par ailleurs, mis fin aux discussions s’agissant des activités meublées en les excluant définitivement", constate Marion Capèle. Autre changement introduit par l’administration fiscale, en cas de détention de la société opérationnelle via une holding passive interposée, le pacte ne va fonctionner que si le donateur détient au moins un titre en direct dans la filiale opérationnelle et qu’il est membre directement de l’engagement. Une exigence qui écarte de fait les filiales unipersonnelles type Sasu ou EURL. "C’est une situation que l’on retrouve souvent. Cette mesure complique les choses pour le contribuable qui devra organiser la structuration de la détention de sa société opérationnelle autrement pour pouvoir bénéficier du pacte, les filiales opérationnelles détenues à 100 % par la holding ne pouvant pas bénéficier de l’exonération Dutreil", informe Marion Capèle.

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