Recherche et développement  : le CNRS s'ouvre aux PME
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Recherche et développement  : le CNRS s'ouvre aux PME

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Un service web pour mettre en relation les scientifiques du CNRS et les entreprises a vu le jour récemment. Une main tendue à ceux qui souhaitent doper leur R&D. Des sessions de formations jusqu’à la mise en place de laboratoires communs, plusieurs centaines de PME collaborent déjà chaque année avec le poids lourd européen de la recherche.

Pour créer des passerelles entre les scientifiques et les entreprises, le CNRS propose depuis le début de l’année un site internet facilitant les mises en relation, Trouverunexpert.cnrs.fr — Photo : ©angellodeco - stock.adobe.com

Des tasses à thé aux gilets pare-balles… La diversification opérée par La maison Bernardaud semble improbable. Depuis 1863, la manufacture livre des services de table en porcelaine de Limoges, son fief historique. Au fil du temps, des bijoux et des œuvres d’art, comme le « balloon dog » en porcelaine créé avec le plasticien américain Jeff Koons, ont certes bien élargi sa vitrine. Mais entre la porcelaine et des blindages de camions, de bateaux et d’avions, ou encore des gilets pare-balles pour l’armée française, le fossé semble infranchissable. Il a pourtant été comblé grâce à une collaboration entre La maison Bernardaud et des chercheurs.

« Cette céramique de blindage existait déjà ailleurs. Pour des raisons de souveraineté nationale, la direction générale de l’armement (DGA) nous a sollicités pour lancer une filière de production en France », explique Charles Bernardaud, directeur du développement de la société limougeaude. Pour relever le défi, cette ETI de 400 salariés se tourne vers le CNRS en 2008. Au total, le projet nécessitera cinq ans de travail avec l’Ircer - l’Institut de Recherche sur les Céramiques - un laboratoire commun entre le CNRS et l’université de Limoges. Un exemple parmi tant d’autres de ces passerelles qui relient le poids lourd de la recherche aux PME et ETI françaises.

Chaque année, 600 PME nouent des collaborations avec le CNRS

Plus de 1 000 laboratoires, 32 000 collaborateurs, un budget de 3,4 milliards d’euros : le CNRS trône parmi les leaders de la recherche en Europe. Même si la vocation première de cet établissement public à caractère scientifique et technologique reste la recherche fondamentale, ses travaux irriguent depuis longtemps le monde économique. L’organisme aide les professionnels à monter des colloques, des formations en entreprise, des laboratoires communs, à déposer des brevets… Et pas seulement au service de grands noms comme Airbus ou PSA. « Le CNRS se positionne sur une recherche d’excellence qui n’est pas éloignée des PME », insiste Carole Chrétien, directrice des relations avec les entreprises au sein du CNRS. Pour preuve, environ 600 PME nouent des collaborations avec le géant français chaque année.

Pour certains projets, c’est même l’organisme lui-même qui sollicite les entreprises. Au printemps dernier, en pleine épidémie de Covid-19, par exemple, pour répondre à une pénurie dans certains services de réanimation, l’Institut I2M de Bordeaux, qui regroupe notamment le CNRS, a développé « une valve trachéale », composant essentiel d’un système de respiration artificielle. Le CNRS a alors contacté l’entreprise Erpro Group, une PME d’une centaine de salariés spécialisée dans l’impression 3D afin de produire ces valves bien spécifiques.

Trouver un scientifique en un clic

Comment faire pour une entreprise qui souhaite solliciter le CNRS ? Bonne nouvelle, la procédure a été simplifiée. Un site de mise en relation avec les scientifiques existe depuis quelques mois et permet de s’ouvrir à tous les domaines de recherche : mathématiques, chimie, volcanologie, physique quantique, applications nucléaires pour la santé… Trouver le bon « match », c’est-à-dire le bon expert pour une problématique donnée intervient « dans les 15 jours suivant la requête », évalue Édith Wilmart, directrice de CNRS formation entreprises. Quid de l’investissement minimum pour les entreprises ? « Tout est accessible. Il n’y a pas de montant minimum, répond Carole Chrétien. Quelques milliers d’euros suffisent parfois pour créer un projet qui associe un ingénieur R & D de l’entreprise et un scientifique du CNRS. »

De quoi répondre aux besoins d’innovation et de diversification exprimés par le monde des affaires. « Si on s’était reposés uniquement sur nos savoir-faire traditionnels, l’entreprise n’aurait pas supporté l’épreuve du temps », estime Charles Bernardaud. Rien qu’en interne, La Maison Bernardaud possède déjà un bureau d’études, plus un laboratoire de recherches qui réunissent une quarantaine de salariés. Pour créer son blindage militaire en céramique, toutefois, « quasiment toutes nos équipes ont été mobilisées, des chercheurs jusqu’aux chefs d’ateliers et aux ouvriers pour les tests en production dans l’usine ». S’il ne communique pas le montant financier de ce programme, Charles Bernardaud indique « qu’une partie des coûts de la recherche a été prise en charge par l’État ». Pour le reste « chaque partenaire était responsable de ses dépenses ».

Faire progresser l’état de l’art

Le CNRS trouve aussi un intérêt à collaborer avec les entreprises, en s’associant à des travaux parfois susceptibles de faire avancer l’état de l’art. D’augmenter le champ des connaissances. Entre autres. « On leur apporte une ouverture sur le monde industriel et les tendances de demain. Ces relations permettent aussi de partager des équipements », constate Stéphane Lozachmeur, patron de Capsularis, une PME bretonne de 15 salariés. Cet entrepreneur du Finistère conçoit des capsules miniatures - leur taille varie de 100 à 300 microns - destinées à améliorer l’alimentation humaine et animale. Grâce au CNRS, Capsularis a mis au point un nouveau procédé d’encapsulation. Concrètement, on emprisonne des principes actifs, comme des vitamines, dans des micro-capsules liquides (à base d’eau ou d’huile) prévues pour être diffusées elles-mêmes dans d’autres liquides (un jus de fruit, une ampoule médicale…). « Cela permet d’éviter d’avoir à prendre des gélules pour des personnes malades ayant des problèmes de déglutition pour avaler la nourriture. Tout en augmentant au passage le taux d’assimilation des vitamines C de 12 % à 20 % », explique Stéphane Lozachmeur.

Pour l’aider, le CNRS lui a notamment ouvert son parc de machines high-tech, comme des microscopes électroniques, des spectrophotomètres UV ou des réfractomètres à diffraction laser. « Ce dernier équipement reste rare, il en existe seulement une poignée dans le monde. Il nous sert à quantifier les composants, vérifier la concentration et la qualité du produit », indique-t-il.

Stéphane Lozachmeur dit avoir pénétré un univers inconnu : « Quand on découvre leur niveau de connaissances technologiques, on s’aperçoit qu’on est bien plus qu’un amateur ! Vous montez une marche. Et c’est addictif ». Le Breton a signé un contrat de formation professionnelle auprès du CNRS, qui l’accompagne depuis 2019 et jusqu’à fin 2022.

Élargir ses horizons

Ouvrir les portes du CNRS permet bien souvent aux entreprises d’élargir leurs horizons. Chez Capsularis, les échanges hebdomadaires via des visioconférences, e-mails et envois d’échantillons à analyser, ont fini par susciter de nouvelles réflexions, comme un projet de diversification dans la cosmétique.

Pour la manufacture de porcelaine Bernardaud, l’échange avec les scientifiques est devenu une gymnastique intellectuelle quotidienne. « Par le passé, je suis allé toquer à la porte d’une multitude de responsables d’instituts, de pôles de compétitivité, etc., afin de me présenter. Sachant que les laboratoires sont souvent en quête de partenaires industriels pour faire avancer la recherche, raconte ainsi Charles Bernardaud. Aujourd’hui, on discute régulièrement ». L’ETI fourmille d’idées. Un projet de conteneur en céramique pour accueillir des déchets radioactifs fait partie des dernières pistes de réflexion. Elle explore aussi le BTP. En 2016, elle a déjà habillé d’une façade en porcelaine un Palais de justice. À Limoges. Évidemment.

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