Qui sont les gagnants et les perdants des six premiers mois de la crise du coronavirus ?
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Qui sont les gagnants et les perdants des six premiers mois de la crise du coronavirus ?

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Après six mois sous le régime du coronavirus, où en est l'économie en région ? Les dernières données de l’observatoire Trendeo de l’emploi et de l’investissement aident à dresser un premier état des lieux des dégâts provoqués par la crise dans les territoires. Mais aussi des opportunités qu'elle a ouvertes, pour certains, de sortir plus forts de cette période.

Frappée de plein fouet par les graves difficultés de l'aéronautique, la Haute-Garonne apparaît comme le département qui a le plus souffert des six premiers mois de la crise du coronavirus — Photo : Airbus SAS / P. Masclet

Non, la crise du coronavirus ne frappe pas l’économie française avec la même intensité sur tout le territoire. Bien au contraire. Si certaines zones sont en proie à de violentes turbulences, d’autres semblent, à l’inverse, être passées entre les gouttes. Un constat qui saute aux yeux, à la lecture de la dernière note du cabinet Trendeo.

L’étude compile l’ensemble des annonces d’entreprises relatives à l’investissement et à l’emploi, et relayées par la presse du 17 mars (début du confinement) au 17 septembre (avant donc le nouveau tour de vis sanitaire du 23 septembre). Une méthodologie qui a ses limites : Trendeo reconnaît ne pas être en mesure d’évaluer le réel impact de la crise sur l’intérim et certaines activités parmi les plus exposées (restauration, commerce, artisanat, etc.).

Pour autant, l’étude donne une idée de l’ampleur du choc subi par l’économie. Déjà au niveau national. À mi-septembre, les créations de postes cumulées sur la période (62 027 au total) ont ainsi chuté de 19,6 % en un an, tandis que les suppressions ont bondi, elles, de plus de moitié (+51,3 %, à 61 255). Malgré la conjoncture, le solde net reste donc positif (+772 emplois)… mais il est 47,5 fois inférieur à celui de 2019 !

L’aéronautique met à terre la Haute-Garonne

Mais derrière ces chiffres se cachent des réalités locales très contrastées. L’évolution de l’emploi par département dessine ainsi une carte pour le moins « atypique », admet David Cousquer, le gérant de Trendeo. « On n’y retrouve pas les régions habituellement touchées par les crises économiques. La principale raison est que le secteur aéronautique, d’ordinaire plutôt préservé, est aujourd’hui au cœur de la tempête. »

Un territoire suffit à illustrer cette situation : la Haute-Garonne. Avec 4 024 suppressions nettes de postes, le département est, sans conteste, celui qui paie le plus lourd tribut à la crise. Il le doit d’abord à sa dépendance à l’avion. Dans la construction aéronautique uniquement, ce ne sont pas moins de 4 341 emplois qui devraient disparaître, la plupart en raison du plan social annoncé par Airbus au début de l’été. C’est donc sans compter les répercussions tout au long de la chaîne de valeur.

• L'avion entraîne plusieurs départements dans sa chute

Les effets de cette crise sectorielle ne se limitent toutefois pas qu’à la région toulousaine. L’aéronautique et l’aérien tirent aussi vers le bas la Somme (où ils représentent 98 % des suppressions de postes), le Finistère (92 %, conséquence de la restructuration de la compagnie Hop !), ou encore l’Indre (51 %).

Le cas de la Loire-Atlantique (71 %) est particulier : malgré la destruction de 1 172 postes à cause du trou d’air de l’aviation, l’économie du département parvient quand même à créer 394 emplois au total. « C’est qu’elle repose sur davantage de secteurs, décrypte David Cousquer. Le territoire héberge notamment des activités de développement informatique et d’édition logiciels, tout en bénéficiant de la proximité de la région parisienne. »

L’impact hétérogène de la crise dans les régions

Cette diversification bénéficie à l’ensemble de la région : après six mois de crise, les Pays de la Loire en étaient à 2 347 créations nettes d’emplois (2e meilleur résultat), avec aucun département dans le rouge. À l’autre bout du spectre, le Centre-Val de Loire voisin a, lui, collectivement souffert (-1 197 postes au total, 2e pire performance). Seul l’Indre-et-Loire s’en est sorti (+219).

En dehors de ces deux-là, aucune région n’a été frappée de manière homogène par le coronavirus. Les départements alsaciens ont ainsi connu des fortunes opposées (+1 367 pour le Bas-Rhin, -362 pour le Haut-Rhin). Idem, en Auvergne-Rhône-Alpes, pour l’Isère, département le plus dynamique de France (+2 759) et le Rhône, 11e plus mauvais (-383). Ou, en Hauts-de-France, entre le Pas-de-Calais (+1 471, 2e meilleure performance) et le Nord (-498, 6e pire).

Ces contrastes sont toutefois à relativiser : les bons résultats du Bas-Rhin, de l’Isère et du Pas-de-Calais s’expliquent surtout par l’annonce de giga-projets sur chacun de ces territoires (Amazon en Alsace, ACC dans les Hauts-de-France). Autrement dit, « ces nouveaux emplois ne vont pas compenser tout de suite les postes perdus par ailleurs, qui, eux, vont se concrétiser plus rapidement ». À l’image des 863 salariés de Bridgestone, à Béthune, menacés à court terme par la fermeture de leur usine.

En définitive, c’est donc la Gironde qui semble plutôt bien tirer son épingle de la crise. Ses 1 381 créations nettes proviennent en effet d’un plus grand nombre de secteurs différents, tels que les services, la distribution, la santé… et même la filière aéronautique (avec Flying Whales et Sabena Technics notamment) !

L’industrie, planche de salut de certains territoires

Autre enseignement de l’étude Trendeo : l’industrie n’est plus forcément un boulet pour les économies locales. Au niveau national, c'est loin d’être évident : le secteur apparaît même comme le plus sinistré, avec 15 650 postes détruits. Et à l’échelle locale, il plombe encore certains départements, en particulier la Haute-Savoie, l’Aisne et le Territoire de Belfort. Et pourtant, il en porte aussi d’autres, comme la Drôme (+528 emplois industriels), les Côtes-d’Armor (+327), l’Aube (+220) et la Manche (+186).

Plus impressionnant encore, le Nord : il a vu partir 498 postes au total, principalement à cause du commerce et de la distribution. Mais, dans le même temps, il en a gagné 1 063 dans l’industrie, en grande partie grâce à deux locomotives : Toyota et Lesaffre. Situation similaire, mais dans une moindre mesure, pour le Finistère et les Bouches-du-Rhône.

• L’industrie, moteur de la relance ?

Les usines pourraient, par ailleurs, jouer un rôle moteur dans la relance économique de certains territoires, d’après David Cousquer. « Au niveau européen, il semblerait que les perspectives d’une reprise rapide soient meilleures dans l’industrie que dans les services. D’autant que la crise a amplifié la prise de conscience que des chaînes de production réparties sur toute la planète pouvaient présenter des risques. »

Dans ces conditions, « les territoires qui ont une ou plusieurs filières industrielles solides peuvent espérer améliorer leur situation, si le redémarrage s’enclenche effectivement dans les prochaines années. C’est le cas notamment de l’ex-Rhône-Alpes, bien positionné sur la mécanique, les produits intermédiaires, la microélectronique, la chimie et la pharmaceutique, ou des Hauts-de-France, avec l’automobile. »

Mais gare aux espoirs trop précoces. L’évolution de l’épidémie reste plus que jamais incertaine. D’où le risque que « le choc d’offre, apparu au moment du confinement, ne se transforme en crise de demande durable, et que les difficultés ne se propagent à davantage de secteurs », s’inquiète David Cousquer. La menace est d’autant plus grande que certains, comme l’automobile, la distribution et le commerce de détail, étaient déjà fragilisés avant l’irruption du coronavirus. Autant dire que, dans ce contexte mouvant, les gagnants d’aujourd’hui ne sont pas assurés de l’être encore demain. Et que tout le monde aurait à perdre d’une crise qui s’éternise.

# Industrie # Aéronautique # Automobile # Distribution # Conjoncture