Présidentielle : « Difficile pour un dirigeant de percer en politique »
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Michel Offerlé professeur de science politique Présidentielle : « Difficile pour un dirigeant de percer en politique »

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Pour un chef d'entreprise, s'investir en politique n'est pas chose aisée. Risque pour la gestion de sa société, soupçons de conflits d'intérêt, absence des codes... Pour autant, le monde patronal parvient parfois à faire passer ses messages, avant ou après les échéances électorales. Décryptage avec Michel Offerlé, professeur de science politique à l'Ecole normale supérieure.

— Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Vous êtes professeur de science politique à l'École normale supérieure de Paris et vous publiez en ce mois d'avril l'ouvrage Patrons en France, (Éditions La Découverte). Dans un contexte de campagne électorale, comment les patrons peuvent-ils faire entendre leur voix ?

Michel Offerlé : « Comme dans toute campagne présidentielle il y a des moments médiatisés et publics durant lesquels les organisations patronales mettent en scène leurs demandes générales et leurs revendications particulières, voire particularistes, pour leurs adhérents et pour la presse. Ces moments (auditions de candidats, publication de livres blancs, chiffrage de programmes...) ont été précédés et seront suivis par des activités plus discrètes qui ont commencé bien en amont et se poursuivront, avec l'élu et son entourage, par-delà l'élection. La campagne électorale d'une partie des candidats - plutôt ceux du centre et de la droite qui sont les plus en harmonie avec les thématiques entrepreneuriales - a été nourrie par la contribution de think tanks et d'organisations professionnelles, souvent désignés comme lobbies. Mais les équipes des candidats ont pu aussi être demandeurs en sollicitant ces interlocuteurs qui disposent de propositions souvent clés en main. Par ailleurs, des chefs d'entreprise en activité ont intégré en leur nom personnel les équipes de campagne, surtout chez François Fillon et Emmanuel Macron (tel l'entrepreneur lyonnais Bruno Bonnell, référent du mouvement En Marche pour le Rhône, NDLR).

Les dirigeants - de PME notamment - se plaignent de n'être pas assez représentés dans les institutions (entre 5 et 6 % à l'Assemblée nationale et au Sénat) et dans les partis politiques, est-ce une réalité ?

M.O. : Dans la profession politique en France, les patrons sont en effet sous-représentés par rapport aux fonctionnaires (hauts fonctionnaires et professeurs) aux professions libérales et... aux professionnels de la politique. Mais les professions les moins présentes parmi les dirigeants politiques sont les professions les plus nombreuses dans la population active (ouvriers, employés et professions dites intermédiaires).

Le monde patronal a essayé de se mobiliser comme Denis Payre avec le mouvement Nous Citoyens. Pourquoi la figure du patron se revendiquant de la « société civile » ne parvient pas à s'imposer dans le temps ?

M.O. : Par définition, un chef d'entreprise a du mal à faire une carrière politique. Tout investissement collectif implique un risque vis-à-vis de l'entreprise, qui peut largement pâtir de l'absence de son dirigeant. C'est donc seulement lorsque l'entreprise peut être sécurisée, par exemple avec la gérance par un conjoint ou par un associé, que l'investissement politique peut être réalisé, donc à un âge plutôt avancé, puisque les entrepreneurs sont en général plus âgés que les autres catégories sociales et que la stabilité n'advient que plus tardivement. Et il est donc généralement trop tard pour figurer dans les premiers rôles, car entrer en politique implique de savoir jouer de codes que l'on doit acquérir précocement. Les mobilisations patronales au nom de la société civile au XXe siècle ou actuellement ont recueilli quelques commentaires médiatiques, mais n'ont jamais percé électoralement.

Aux Etats-Unis, les dirigeants semblent avoir plus de facilités à s'investir en politique et à décrocher des postes par la suite, comme l'ancien PDG de ExxonMobil entré dans l'administration Trump, pourquoi ? Est-ce une question de culture, de règles (financement des campagnes)... ?

M.O. : La situation étasunienne est très différente de la situation française. En effet, des grands patrons sans être professionnalisés en politique peuvent rejoindre pour quelques années des postes politiques, électifs ou non. Le rapport à l'argent et aux entreprises est beaucoup plus "business friendly" dans le monde politique américain, alors qu'en France l'idée d'interférence des intérêts privés en politique est toujours prégnante. »

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