Pourquoi les industriels français parient désormais sur la relocalisation
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Pourquoi les industriels français parient désormais sur la relocalisation

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Le Coq Sportif, Malongo, Thomson, Waterman et bien d’autres marques ont annoncé le rapatriement d’une partie de leur production en France. Soutenus par le plan France Relance, les industriels reprennent pied dans l’Hexagone. Les relocalisations s’accélèrent et atteignent des niveaux records. S’agit-il d’un mouvement de fond ou d’un effet en trompe l’œil ?

Une étude réalisée par le cabinet Trendeo recense davantage de projets de rapatriement de productions sur la période allant de septembre 2019 à fin 2021 qu'au cours des neuf années précédentes — Photo : standret

Relocalisation ! Le mot fait la une des journaux et figure en bonne place dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle. Après des années de délocalisations, une nouvelle dynamique semble animer l’industrie française. Des entreprises rapatrient des activités sur le territoire, des usines ouvrent et le made in France a la cote. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’extrême fragmentation des chaînes de valeur d’un bout à l’autre de la planète et la vulnérabilité qui en résulte. Conscient de ces fragilités, l’État a mis un milliard d’euros sur la table, dans le cadre du plan France Relance, pour encourager la relocalisation de la production dans cinq domaines jugés stratégiques : la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, les intrants essentiels et la 5G. Une impulsion qui accélère un phénomène amorcé depuis quelques années. Jamais les relocalisations n’avaient été aussi nombreuses qu’en 2021. Pour la deuxième année consécutive, leur nombre dépasse celui des délocalisations tombées au plus bas.

Des relocalisations au plus haut

Une étude réalisée par le cabinet Trendeo recense davantage de projets de rapatriement de productions sur la période allant de septembre 2019 à fin 2021 qu’au cours des neuf années précédentes. Dans le détail, Trendeo compte 30 relocalisations en 2020 et 84 en 2021, contre 10 à 20 au cours de la décennie précédente.

Cette dynamique s’accompagne d’un boom des emplois relocalisés : 4 018 sur la période, soit quasiment autant que sur la décennie 2009-2019. En 2021, pour la première fois depuis 2009, leur nombre a dépassé celui des postes délocalisés, avec un solde net positif de 1 495 emplois. "Il y a bien quelque chose qui se passe et cela impacte surtout le tissu industriel des PME. On a toujours soulevé un problème de sous-capitalisation et d’insuffisance de rentabilité des PME françaises. Les aides Covid ont quelque peu levé cette contrainte financière", analyse David Cousquer, gérant de Trendeo. Si les aides publiques participent au mouvement, les entreprises qui relocalisent invoquent des facteurs multiples.

Souveraineté, confidentialité et réactivité

La volonté de réduire la dépendance à l’étranger, source de ruptures d’approvisionnement depuis le début de la crise sanitaire, constitue l’un des principaux moteurs des relocalisations. La décision de Thomson Computing, filiale du groupe informatique SFIT (35 salariés, 60 M€ de CA en 2020), de rapatrier dans son usine de Pontault-Combault, en Seine-et-Marne, une partie de l’assemblage de ses ordinateurs portables en est l’illustration. Début 2020, la pandémie de Covid-19 met à l’arrêt la production industrielle en Chine et les ventes de Thomson Computing chutent. La marque décide alors de relocaliser en France pour réduire la dépendance à ses sous-traitants chinois. Les ordinateurs à moins de 300 euros continueront à être produits en Chine mais les produits à plus forte valeur ajoutée seront fabriqués en France, où Stephan Français, directeur général du groupe, espère à terme assembler jusqu’à 20 % de sa production.

"Le Covid nous a montré que nous étions trop dépendants de l’étranger, alors qu’il existe en France un marché important et du savoir-faire"

Le même souci d’indépendance vis-à-vis de ses fournisseurs anime le fabricant de dispositifs d’aide à la prévention des escarres Pharmaouest qui va agrandir de 2 500 m² ses locaux de Miniac-Morvan (35). "Un des objectifs est de rapatrier une partie des productions, comme les matelas à air que nous achetons en Chine. Le Covid nous a montré que nous étions trop dépendants de l’étranger, alors qu’il existe en France un marché important et du savoir-faire", expose son dirigeant Frédéric Mittre. Outre la souveraineté, les entreprises candidates à la relocalisation recherchent plus de réactivité et, parfois aussi, de confidentialité.

Olivier Kitten, fondateur de la biotech Affilogic, va investir 5 millions d'euros sur trois ans pour rapatrier du Portugal à Nantes sa production de nanofitines (des protéines synthétiques utilisées dans le domaine du biomédicament) — Photo : Le JDE

C’est le cas d’Affilogic. Cette société de biotechnologies nantaise (25 salariés, 4 M€ de CA) va investir 5 millions d’euros sur trois ans pour rapatrier du Portugal à Nantes sa production de nanofitines (des protéines synthétiques utilisées dans le domaine du biomédicament). L’investissement bénéficie de deux millions d’euros d’aides dans le cadre de l’appel à projets Résilience, coup de pouce qui a emporté la décision. "Nous avions envisagé début 2020 d’envoyer certains de nos collaborateurs s’installer au Portugal. Mais après des discussions avec l’État, la Région des Pays de la Loire et Bpifrance, nous avons opté pour la construction d’une usine à Nantes. Nous allons multiplier par cent nos capacités de production. Cela nous permet également de gagner en réactivité, de resserrer les délais et de renforcer la confidentialité et le contrôle sur nos projets", témoigne Olivier Kitten, dirigeant et fondateur d’Affilogic.

Environnement et éthique

Après quatre ans de R & D et près de 8 millions d’euros d’investissement, le torréfacteur niçois Malongo (385 salariés, 112 M€) a transféré en Vendée la fabrication de sa nouvelle machine à café, baptisée Eoh et certifiée Origine France Garantie. Le leader du café équitable, qui depuis vingt ans sous-traitait sa production en Chine, a souhaité mettre en cohérence l’éthique de ses produits et sa logique de commerce responsable. Préoccupations éthiques et environnementales constituent, en effet, un autre levier puissant de la relocalisation. La société de biotechnologies rennaise NG Biotech (120 salariés), qui a sorti en 2020 le premier test sérologique français de détection du Covid, justifie ainsi sa décision de produire dans le Morbihan, et non plus en Chine ou en Inde, les moules et les pièces plastiques utilisés pour la fabrication des tests. "Nous avons signé un contrat avec le groupe Albéa, fournisseur pour les produits cosmétiques, pour relocaliser certaines productions. C’est sept à huit fois plus cher en développement pour le moule, mais on gagne en coût de transport, en empreinte carbone, en échanges locaux, en souveraineté. Et cela crée de l’emploi local", résume Milovan Stankov-Pugès, président de l’entreprise.

Le premier modèle issu de la démarche de relocalisation de la PME occitane Amibot intègre des matériaux durables comme le bois — Photo : Amibot

C’est aussi la démarche d’Amibot (44 salariés, 16 M€ de CA en 2020), qui relocalise à son siège, près de Montpellier, la R & D et l’assemblage de ses robots domestiques jusqu’ici fabriqués en Asie. Parallèlement à la volonté de réduire sa dépendance aux fabricants asiatiques, la PME a lancé la gamme Origin, conçue dans une démarche de développement durable. "Vous pouvez caser 500 robots dans un conteneur quand vous les importez. Mais si vous importez seulement les composants, les volumes sont plus importants et correspondent à plus de 700 robots. C’est une façon d’agir pour la planète", estime Sébastien Roelens, le PDG d’Amibot qui a la volonté d’accroître la proportion des composants d’origine française dans ses modèles.

Vogue du made in France

Enfin, nombreux sont les industriels désireux de profiter de la vogue du made in France aussi bien sur le marché domestique, qu’à l’export où il est perçu comme un gage de qualité. Partenaire de la Fédération française de rugby et du Tour de France, Le Coq Sportif a été désigné pour habiller les athlètes français aux Jeux Olympiques 2022 et 2024. Des contrats que la marque de sport tricolore attribue à sa stratégie de relocalisation par étapes. Après avoir confié aux ateliers du groupe Eram dans les Mauges (49) la confection de chaussures, précédemment sous-traitée au Maroc, l’équipementier sportif a lancé la construction d’une usine textile dans son fief historique de Romilly-sur-Seine, dans l’Aube, délaissé pour une délocalisation en Asie à la fin des années 1980. Outre le siège, le site devrait héberger, à compter de fin 2022, un atelier de R&D et quelques lignes de production haut de gamme, avec la promesse de 800 embauches à terme.

"Pas de grand soir des relocalisations"

Ces exemples camouflent toutefois une réalité plus nuancée. D’abord, les relocalisations se font essentiellement autour d’opérations de petite taille, portées par des PME. Depuis 2009, les grandes entreprises représentent 80 % des 31 740 emplois délocalisés dans l’industrie, mais seulement 40 % des 4 885 qui ont été relocalisés. Même bémol en termes d’emplois : sur la période 2009-2021, une délocalisation a détruit 80 emplois en moyenne, alors qu’une relocalisation en crée seulement une trentaine. Enfin, le vocable délocalisation recouvre des situations différentes.

"La relocalisation est un mouvement qui s’accélère, car le Covid a mis l’accent sur la réactivité et la sécurité. Mais il demeure limité. Sur les 407 projets de France Relance, moins de 15 % correspondent à des relocalisations, en incluant la réintégration de fabrications jusque-là sous-traitées à l’étranger. Quand la supply chain est très éclatée avec des fournisseurs dans le monde entier, la relocalisation des dernières opérations est possible. En revanche, il est compliqué de reconstruire des écosystèmes largement détruits au cours des décennies passées. Il n’est qu’à voir les acteurs de la mode éthique qui ne trouvent pas de fournisseurs de maille", analyse Fabienne Fel, professeur en management des opérations et de la supply Chain à ESCP Business School. Pour François Perret, directeur général de l’association Pacte PME, "les raisons qui présidaient aux délocalisations il y a vingt ans n’ont pas disparu. Les industriels avaient délocalisé, d’une part, pour baisser leurs coûts et, d’autre part, pour se rapprocher des marchés locaux. En 2021, le contexte n’a pas fondamentalement changé." Toutefois, tempère-t-il, "relocaliser c’est possible. C’est un travail de longue haleine qui suppose un environnement fiscal et administratif favorable. Mais il n’y aura pas de grand soir des relocalisations et de la réindustrialisation. C’est un mouvement de moyen et long terme."

Industrie 4.0

A moyen terme, en effet, le développement de l’usine du futur, combinant nouvelles technologies et robotisation, est susceptible de favoriser la relocalisation. Les Tissages de Charlieu prévoient ainsi d’investir 8 millions d’euros pour relocaliser sur le site de Charlieu, dans la Loire, la fabrication annuelle de 12 millions de sacs de caisse et sacs cabas, aujourd’hui réalisée à 99 % en Asie. Le plan, programmé sur la période 2021-2023, comprend l’achat de quatre robots de confection "qui vont permettre d’abaisser les coûts de production des sacs de caisse à un niveau proches des coûts asiatiques", précise Eric Boël, dirigeant de l’entreprise. Celle-ci devrait doubler son effectif (50 salariés) et son chiffre d’affaires (10 M€ en 2020) en 2023.

"Si l’on veut faire à Nantes des stylos qui restent compétitifs, nous devons nous équiper en machines."

Même démarche pour Waterman qui rapatrie dans son usine de Nantes la fabrication d’environ un million de stylos, produits en Chine depuis une dizaine d’années et destinés aux marchés d’Europe et du Moyen-Orient. Cette relocalisation s’appuie sur un investissement de 1,3 million d’euros dans deux lignes de production automatisées. "En Chine, le coût de la main-d’œuvre est moins cher. Si l’on veut faire à Nantes des stylos qui restent compétitifs, nous devons nous équiper en machines. C’est aussi basique que cela", explique Bruno Réaud, directeur du site. "Les technologies 4.0 vont permettre une flexibilité accrue, une plus grande réactivité en réduisant les délais de production et de livraison, une meilleure qualité et une personnalisation des produits, une innovation facilitée par le rapprochement des lieux de conception et de production, une meilleure image de marque grâce au label made in France, tout en réduisant les coûts de main-d’œuvre", énumère Fabienne Fel.

Nouveaux modèles

Pour relocaliser, il faut parfois inventer de nouveaux modèles. Le vendéen Prodlab, qui va produire 100 000 machines à café Malongo, travaille avec ses clients industriels à optimiser la conception des produits pour maintenir un coût de fabrication compétitif par rapport à la Chine et gagner en qualité. "Nous utilisons moins de composants, ce qui veut dite moins d’achats, moins de temps de montage, un produit plus durable et moins de problématiques de service après-vente", décrypte Olivier Kimmerling, son dirigeant. Dans le Nord, c’est la filière textile qui se prend à espérer avec le développement de projets en circuits courts, à l’image de celui du groupe Mulliez.

Le groupe Mulliez lance le FashionCube Denim Center, dirigé par FashionCube, pour produire 6 % des pièces en jean de ses marques (Jules, Pimkie…) en misant sur un nouveau business model

A Neuville-en Ferrain (59), l’entreprise nordiste va lancer le FashionCube Denim Center pour produire 6 % des pièces en jean de ses marques (Jules, Pimkie…) en misant sur un nouveau business model (production à la demande, délais de livraison raccourcis, absence de stocks et donc de démarques pour améliorer les marges…), tout en faisant le pari que les consommateurs seront prêts à payer 20 % plus cher pour des vêtements estampillés made in France. Cependant, à l’exception de niches particulières (luxe, textile éthique…), l’industrie du textile, très intensive en main-d’œuvre, devrait rester, pour l’essentiel, dans les pays à faible coût de travail.

Localiser plutôt que relocaliser

C’est pourquoi de nombreux économistes préfèrent mettre l’accent sur les localisations plutôt que sur les relocalisations. "Plutôt que de relocaliser d’anciennes industries rencontrant des difficultés dans leurs chaînes logistiques, l’avenir appartient au développement de nouvelles filières en les installant dans des usines 4.0", estime Fabienne Fel. Une relocalisation partielle, combinée à une réindustrialisation via l’implantation d’activités stratégiques d’avenir, notamment en lien avec la transition écologique et énergétique comme les batteries électriques ou la production d’hydrogène, semble donc plus plausible.

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