Pourquoi la Bourse peine à séduire les PME
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Pourquoi la Bourse peine à séduire les PME

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La Bourse Euronext Growth de Paris, la mieux taillée pour les PME et ETI, n’a enregistré que deux introductions en ce premier semestre 2019. Mais, au-delà de la difficulté franco-française d’attirer les PME vers la Bourse, l’attentisme, voire le renoncement à des projets d’IPO, est une tendance mondiale.

Seule une quinzaine de PME et d’ETI françaises se prêtent chaque année au traditionnel son de cloche pour marquer leur introduction en bourse. Ici, la société Navya, pionnière du véhicule autonome basée à Paris et Lyon, entrée en juillet 2018 sur le marché Euronext Growth — Photo : Euronext

Une introduction en Bourse ou IPO (pour initial public offering) apporte crédibilité et visibilité à l’international pour une entreprise. Elle offre aussi, grâce à une levée de fonds substantielle, des moyens pour de nouvelles acquisitions et de la liquidité à ses actionnaires. Malgré cela, la France compte encore très peu de PME et d’ETI cotées. Seules 504 d’entre elles le sont, selon l’Observatoire du financement des entreprises par le marché. C’est plus qu’en Italie, par exemple, mais beaucoup moins qu’au Royaume-Uni, qui dénombre deux fois plus de PME en Bourse.

Poussée des entreprises technologiques

Avec un premier semestre moribond, suivi d’une fin d’année tonitruante, 2018 aura vu 17 PME et ETI être introduites sur l’indice Euronext Growth Paris (ex-Alternext, elle est la place préférentielle des PME et ETI), pour un total de 500 M€ levés et une moyenne de 15 M€ levés par opération. Des chiffres dans la moyenne de la dernière décennie. « Parmi ces arrivées, on note une forte présence des entreprises des nouvelles technologies », indique Éric Forest, PDG d’Enternext, filiale d’Euronext dédiée à la promotion des marchés financiers auprès des PME et des ETI.

C’est le cas du rennais Enensys Technologies, spécialiste de la distribution de contenus médias, ou encore du concepteur de microprocesseurs grenoblois Kalray et son entrée remarquée : « En levant près de 50 M€ sur Euronext Growth, Kalray a montré la capacité de la Bourse parisienne à faire monter les valorisations de PME, là où l’on dépassait rarement les 20 M€ auparavant », s'enthousiasme Vincent Le Sann, directeur général délégué de la société de bourse nantaise Portzamparc, qui a accompagné le tiers des introductions de PME et ETI ces dernières années en France.

Attentisme mondial sur les marchés

Malgré l’introduction remarquée du producteur d’énergie renouvelable Neoen, qui a levé près de 700 millions d’euros, l’année 2018 et le début d’année 2019 rappellent la fragilité du marché des IPO en France. Le début d’année est tout sauf brillant : seules deux PME se sont ainsi introduites sur Euronext Growth.

Structurellement, la retraite par répartition ne favorise pas l’éclosion de fonds de pensions tricolores susceptibles d’investir dans des capitaux de long terme. Par ailleurs, beaucoup de PME privilégient le recours au private equity, actuellement en pleine forme. À cela s’ajoute une conjoncture défavorable. Du coup, le marché boursier connaît un effritement continu du nombre de valorisations depuis la crise de 2008. Seul Euronext Growth parvient à garder le rythme, avec le gain d’une dizaine d’entreprises cotées ces dernières années. Le fruit d’une intense démarche de pédagogie opérée auprès des PME, notamment par Enternext.

« L'incertitude macroéconomique et politique actuelle refroidit les investisseurs comme les candidats à une introduction en Bourse. »

Faut-il pour autant tirer sur l’ambulance ? L’attentisme du début d’année est une habitude sur les marchés boursiers. De plus, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs : une étude du cabinet EY, parue en mars, a dénombré seulement 199 IPO dans le monde au premier trimestre 2019, contre 280 à la même période en 2018. Pis, les montants levés atteignent 13 milliards de dollars, soit 74 % de moins qu’en 2018 !

« Même les Anglais, qui avaient plutôt bien résisté face aux doutes du Brexit en 2018, avec une cinquantaine d’IPO, n’ont fait aucune opération depuis ce début d’année. Cela ne s’était pas vu depuis 25 ans », observe Vincent Le Sann. « Nous rencontrons en effet un ralentissement mondial de l’activité boursière en 2019 et un retour de la volatilité, qui sont liés à un environnement macroéconomique et politique marqué par l’incertitude, sur fond de guerre commerciale entre États-Unis et Chine notamment, confirme Éric Forest. Cette incertitude refroidit les investisseurs comme les candidats à une introduction, qui préfèrent attendre des conditions de marchés plus propices. »

Repousser son entrée en Bourse : l'exemple d’Elsalys Biotech

Reporter son introduction en Bourse alors qu’elle était prévue en 2019, c’est justement le choix fait par la jeune entreprise lyonnaise Elsalys Biotech (13 salariés). Prometteuse mais encore pré-commerciale, car ses anticorps pour l’immunothérapie sont toujours en phase de test, Elsalys a déjà réussi à lever 17 M€ en six ans. Mais, pour passer à l’étape supérieure et gagner en visibilité, il fallait passer par une IPO : « Dès le départ, nous étions sous-capitalisés. C’est le problème des entreprises françaises de la medtech, alors que les sociétés américaines lèvent tout de suite des dizaines de millions », déplore Christine Guillen, dirigeante de la société.

« Pendant que vous présentez votre projet aux banques, analystes et investisseurs, vous n’êtes plus dans l’entreprise. »

Décision difficile, ce report arrive au bout d’un an de travail et d’investissement. Car une introduction prend du temps. « Et il faut savoir que lorsque vous êtes en roadshow, c’est-à-dire en représentation de votre projet auprès des banques, analystes et investisseurs, vous n’êtes plus dans l’entreprise. » Mais ce n’est pas ce qui a fait douter Elsalys : « Cette décision de reporter notre introduction à une date non-déterminée, peut-être en 2020 ou 2021, est liée à un marché des biotech qui n’est pas bon en ce moment. En voyant des entreprises déjà cotées en baisse, des investisseurs frileux et un actionnaire qui freine, ajouté à nos critères financiers qui ont depuis évolué grâce à nos résultats cliniques, il fallait reporter », explique la dirigeante.

Elsalys Biotech, qui espérait lever entre 15 et 20 M€ à Paris sur Euronext Growth, obtiendra sans doute d’ici là une autorisation temporaire d’usage aux États-Unis. « Cela changera la donne, explique Christine Guillen. L’argent pouvant aussi venir de partenariats de licence ou de la commercialisation du médicament, nous n’aurons peut-être plus besoin de lever autant d’argent. Ou alors nous pourrons viser beaucoup plus, sur une Bourse américaine ! »

L’exemple d’Elsalys résume ainsi parfaitement la situation boursière française, avec des opportunités mais un timing compliqué. Cependant, Vincent Le Sann apporte une note d’espoir : « Nous comptons pas mal de dossiers attendus au second semestre 2019, et sur les années à venir, nous voyons un flux de start-up arriver, notamment en medtech, dont la France est un excellent vivier. Des entreprises déjà accompagnées par des corporate funds et qui montrent de l’intérêt pour la Bourse. »

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