Pierre-Yves Dréan (Banque Palatine) : « L’appel public à l’épargne est compliqué en France »
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Pierre-Yves Dréan (Banque Palatine) : « L’appel public à l’épargne est compliqué en France »

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La Banque Palatine (groupe BPCE) est spécialisée dans l’accompagnement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de leurs dirigeants. Pour Le Journal des Entreprises, son directeur général Pierre-Yves Dréan fait le point sur l’actualité de cette institution qui fêtera bientôt ses 250 ans et qui prépare un nouveau projet stratégique. Il note une très nette amélioration de la conjoncture mais explique pourquoi le financement direct de l’économie française est toujours aussi compliqué.

— Photo : Arnaud Février - Banque Palatine

Le Journal des Entreprises : La Banque Palatine est l’héritière d’une longue histoire. Quelles en sont les grandes étapes ?

Pierre-Yves Dréan : C’est effectivement la plus ancienne banque en France, née à Lyon en 1780, sous le nom de Banque Vernes. Elle s’est constituée progressivement par agrégation de petits établissements, et elle a connu de nombreux développements et péripéties. Dans l’histoire récente, au cours des 35 dernières années - que j’ai vécu partiellement car j’ai été conseiller entreprises à la Banque Vernes au milieu des années 1980 – elle a appartenu à la famille Vernes, puis a été nationalisée, avant d’être reprise par la banque italienne Sanpaolo. Elle a été ensuite rachetée par les Caisses d’Epargne, puis est devenue filiale du groupe BPCE. Elle a été rebaptisée sous le nom de Banque Palatine en 2005. C’est donc à la fois une vieille et une jeune banque, puisque Palatine a 13 ans ! A travers ces changements de noms et d’actionnaires - et j’ai pu le constater moi-même en devenant directeur général il y a 5 ans - cette banque a conservé son modèle économique et sa personnalité.

Comment définissez-vous cette culture ?

P.-Y. D. : Avec 1200 collaborateurs et 320 millions de chiffre d’affaires consolidé, Palatine est d’abord une ETI au service des ETI. C’est la banque des ETI et de leurs dirigeants. Nous sommes spécialisés et à taille humaine. Notre business model réunit une partie banque commerciale et une « petite » banque de financement et d’investissement (BFI), avec notamment une salle des marchés à disposition de nos clients. Elle réalise des couvertures de taux et de changes, du plus simple au plus sophistiqué. Nous avons également un département international, et nous réalisons chaque année environ 1 milliard d’euros de crédits documentaires. Nous disposons d’un département promoteur-investisseur de haut niveau, reconnu sur la place, d’une filiale asset management, d’un département média et audiovisuel… Palatine est la deuxième banque du cinéma en France ! Par ailleurs, nous sommes leaders sur le marché de l’administration de biens en France, et nous disposons d’un département corporate, qui réalise des opérations d’emprunts obligataires, d’arrangements et de syndication de crédit pour les ETI.

Et en matière d’accompagnement du dirigeant ?

P.-Y. D. : Nous avons acquis un savoir-faire en gestion privée que l’on met au service de nos clients chefs d’entreprises. Nous suivons de très belles histoires familiales qui s’inscrivent sur plusieurs générations, avec une réelle fidélité à l’égard de la banque. Avoir la notion du temps long en tête, ne pas tout sacrifier au court terme, c’est évidemment un atout pour l’économie du pays.

« En 2012 mes interlocuteurs chefs d’entreprises avaient des problématiques de carnets de commandes, pas de recrutement ! »

Avez-vous des spécialisations sectorielles ?

P.-Y. D. : Non, nous sommes généralistes. Avec de belles réussites dans l’industrie, dans le commerce, dans les services digitaux. Vu notre taille, il ne serait pas souhaitable d’être trop spécialisé. Quel que soit le secteur, il existe toujours de belles pépites.

Combien d’entreprises accompagnez-vous ?

P.-Y. D. : Nous avons près de 2 300 entreprises clientes de plus de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et sur cette cible (entre 15 et 500 millions de chiffres d’affaires), nous affichons un taux de pénétration supérieur à 10 %. Au regard de la concurrence, la « petite » Palatine n’a pas à rougir ! Nous faisons du bas de bilan classique et du haut de bilan sophistiqué, voire du « très haut de bilan » : le financement de holding de managers, c’est du sur-mesure complet. Et comme nous sommes une banque très discrète, nous garantissons une totale confidentialité à nos clients sur ces montages particuliers.

Vous réalisez depuis huit ans un baromètre qui donne chaque mois une indication sur le moral des chefs d’entreprises. Les derniers chiffres sont très bons.

P.-Y. D. : Effectivement, nous réalisons ce baromètre avec OpinionWay, auprès de 300 chefs d’entreprises. Depuis un an, nous sommes vraiment engagés dans une période de croissance. L’évolution la plus significative, c’est celle du niveau de confiance des patrons dans l’économie française. Il a augmenté constamment depuis le début 2014, avec le pacte de responsabilité et le CICE. L’autre événement très significatif, ce sont les élections de 2017, avec un bond de 43 points en six mois. Nous sommes clairement à des niveaux jamais atteints auparavant. Derrière ces indices, on sait que l’investissement et l’emploi repartent. J’entends aujourd’hui davantage de chefs d’entreprises se plaindre de difficultés à embaucher. Lorsque je suis arrivé chez Palatine fin 2012, mes interlocuteurs chefs d’entreprises avaient des problématiques de carnets de commandes, pas de recrutement !

Les mouvements sociaux de ce printemps pourraient-ils impacter la dynamique constatée ?

P.-Y. D. : Pour l’instant, je ressens surtout de l’énervement chez les chefs d’entreprises face aux grèves dans les transports, et de l’attente par rapport aux nouvelles mesures gouvernementales, notamment la loi Pacte. Le crédit bancaire est abondant en France, mais ce qui manque, c’est le financement en capitaux propres. Tout ce qui va permettre aux entreprises de conforter leurs capitaux propres grâce au financement direct de l’économie ira dans le bon sens.

En attendez-vous des effets rapides à court terme ?

P.-Y. D. : C’est difficile de vous répondre précisément. Ces mesures sont attendues et viennent conforter d’autres initiatives prises antérieurement. On a du mal, en France, malgré des dispositifs incitatifs, à orienter l’épargne vers le financement direct de l’économie. On sait qu’elle va d’abord vers l’immobilier, ensuite vers l’assurance-vie.

« Le crédit bancaire est abondant en France, mais ce qui manque, c’est le financement en capitaux propres. »

Vos clients ETI sont dans cette attente ?

P.-Y. D. : Certaines, bien sûr, mais pas toutes. Seules 200 ETI, au sens Insee du terme, sont cotées en bourse, c’est moins que les PME et les start-up réunies ! L’appel public à l’épargne est compliqué en France, car il faut protéger l’épargnant, et le financement direct de l’économie est faible par rapport aux pays anglo-saxons par exemple. Il faut savoir qu’en France, il n’est pas possible d’investir de l’assurance-vie dans des entreprises non cotées. Les supports de placement proposés à l’épargnant ne sont pas assez incitatifs pour qu’ils acceptent un risque élevé. La rémunération du risque doit être repensée. Ce débat nous intéresse beaucoup, car nous faisons de l’intermédiation bancaire, avec d’un côté des entreprises qui font des emprunts obligataires, et de l’autre des investisseurs institutionnels qui sont venus placer directement dans ce véhicule. Ce n’est pas du capital propre, mais tout de même des ressources longues pour l’entreprise. Il faudrait réussir à faire de même avec l’épargne privée de particuliers aisés, des chefs d’entreprises, via leur family office.

Vous lancez un nouveau plan stratégique 2018-2020, et cette orientation en fait partie.

P.-Y. D. : Tout à fait, nous offrirons, au-delà de la gestion privée et de la banque privée, des services de gestion de fortune et de family office aux dirigeants. Nous accélérerons notre modernisation et notre transformation avec la migration vers un nouveau système d’information, également utilisé par les Banques Populaires. L’autre sujet d’avenir, c’est la transmission d’entreprise. Dans les 10 ans, une ETI sur 2 sera transmise : il faut s’en occuper dès maintenant.

Comment les accompagnez-vous ?

P.-Y. D. : Nous sommes déjà en accompagnement des transmissions, des restructurations capitalistiques. Si dans les dispositifs de la future loi Pacte, il y avait des ouvertures en ce sens, nous réfléchirions à faire évoluer nos offres pour améliorer davantage encore nos services aux ETI.

Quel regard portez-vous sur l’internationalisation des ETI françaises ?

P.-Y. D. : Pour beaucoup d’ETI, leur terrain de jeu, c’est le monde entier ! J’ai en tête une entreprise stéphanoise qui exporte dans plus de 60 pays ! Depuis 4-5 ans, notre service Trade a rééquilibré ses activités vers l’Asie, qui devient une évidence pour la plupart des entreprises. L’Afrique s’ouvre à son tour, malgré les risques géopolitiques.

« Nous réfléchissons d’ailleurs à la manière dont nous pourrions aider les ETI à réaliser cette révolution digitale »

Quelles sont les préoccupations du moment lorsque vous rencontrez des entrepreneurs ?

P.-Y. D. : La digitalisation apparait clairement comme un sujet de réflexion. On parle beaucoup d’objets connectés dans l’industrie, de capteurs dans l’agroalimentaire… Et bien entendu, de l’impact du numérique sur les canaux de distribution. Nous réfléchissons d’ailleurs à la manière dont nous pourrions aider les ETI à réaliser cette révolution digitale, via un écosystème que nous mettrions à leur disposition. Nous y travaillons avec des partenaires. L’autre sujet de préoccupation, c’est le niveau des taux d’intérêt, historiquement bas, voire négatifs pour certains placements.

Partagez-vous les inquiétudes de certains spécialistes qui craignent l’éclatement d’une bulle liée aux valorisations boursières excessives ?

P.-Y. D. : Je partage les craintes exprimées récemment dans vos colonnes par Loïc Féry (voir JDE N°370) au sujet du niveau de valorisation du marché américain, qui est historiquement élevé. Le marché français, lui, reste assez volatil. Globalement, on assiste à des niveaux de valorisation des entreprises qui se rapprochent de ceux constatés en 2007-2008, ce qui tend les deals, mais je ne parlerai pas encore de « bulle » à ce stade.

Comment se présente votre exercice 2018 ?

P.-Y. D. : Nous sommes sur une très belle tendance, avec un portefeuille d’ETI qui a cru de 30% au cours de notre dernier plan stratégique. Notre conquête en gestion privée a quadruplé en cinq ans. Nous allons faire une belle année 2018. Nous sommes très bien positionnés en termes de conquête corporate. Dans notre nouveau plan stratégique, nous préparons également une migration informatique importante, avec un investissement supérieur à 50 millions d’euros. Nous serons donc beaucoup plus digital dans trois ans, mais afin d’être plus relationnel, car notre modèle est fondé sur la proximité, du dirigeant au conseiller, à travers une cinquantaine de points de vente en France, et surtout chez les clients, en permanence.

Vous allez également lancer prochainement une fondation des ETI. De quoi s’agit-il ?

P.-Y. D. : L’idée est de faire de l’entrepreneuriat un vecteur d’intégration sociale en direction des jeunes, en insistant sur la notion de fondation collaborative, en associant des chefs d’entreprise à la prise de décision. Ce sera une fondation sous égide, abritée par la Fondation Entreprendre, et nous travaillerons en étroite collaboration avec notre partenaire, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI).

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