Pénurie de composants électroniques : "L'Europe ne peut pas devenir autosuffisante"
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Mathilde Aubry professeur en économie industrielle à l’EM Normandie "L'Europe ne peut pas devenir autosuffisante"

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Pour éviter une nouvelle pénurie, Mathilde Aubry, professeur en économie industrielle à l’EM Normandie, propose de relocaliser en Europe une partie de la production de composants électroniques.

Mathilde Aubry est professeure à l’EM Normandie, spécialisée en économie industrielle — Photo : EM Normandie

La pénurie mondiale de composants électroniques découle-t-elle de la crise sanitaire ou des tensions se faisaient-elles ressentir avant ?

Les problématiques d’approvisionnement ont toujours existé. Le secteur des semi-conducteurs se caractérise par une grande cyclicité, et reste contraint par des périodes de pénurie et de surplus. La crise sanitaire a accentué les tensions, car la demande a été très forte en 2020, les secteurs de l’électronique grand public, des télécoms, de l’automobile devenant de plus en plus dépendants de ces composants. Il est donc devenu difficile pour les pays asiatiques, dont les usines de fabrication ont été mises à l’arrêt au printemps 2020, de répondre à la demande.

Quelles sont les solutions d’urgence envisagées à moyen et long termes ?

Il n’y a pas de solutions à court terme, mis à part ajuster son besoin. Il faut donc avoir des réflexions structurelles à long terme portant sur la production de semi-conducteurs en Europe. La construction en Europe d’une usine de dernière génération de 30 milliards de dollars ne va pas résoudre les problèmes des équipementiers automobiles car les composants de dernière génération ne vont pas être utilisés dans les voitures. Il faut donc travailler sur des coopérations verticales, et réintégrer dans les industries la production, la recherche et le développement, et créer un géant européen pour pouvoir se permettre plus de marge de manœuvre, à l’image du géant américain Intel qui fait de la R & D.

Il est toutefois utopique de penser que l’Europe peut devenir autosuffisante. C’est même dangereux car la fabrication de semi-conducteurs est lourde en investissement. Pour rééquilibrer les relations et penser une mondialisation responsable, sans dépendance et sans tension, il faudrait se concentrer en France et en Europe sur des produits de niche, comme la e-santé et la cybersécurité dont les enjeux de souveraineté sont importants.

Pourquoi la production des semi-conducteurs se concentre-t-elle en Asie ?

La raison principale tient à la complexité de fabrication des semi-conducteurs. Pour produire, des investissements spécifiques très importants doivent être consentis. Par exemple, on va avoir besoin de salles blanches, sans la moindre poussière. Accroître l’offre dans ce marché est extrêmement lourd et lent, et donc coûteux. Les entreprises européennes ont dû faire un choix, dans le courant des années 2000, entre la R & D, la conception et la production sur leur territoire. Comme NXP, à Caen, qui a dû fermer sa dernière usine de production en France en 2009. La fabrication des semi-conducteurs reste aujourd’hui majoritairement concentrée à Taïwan.

Est-ce que cette pénurie peut favoriser l’émergence d’une filière française ?

Je l’espère à condition de se positionner sur la bonne cible et ne pas vouloir concurrencer Taïwan en fabriquant des semi-conducteurs grand public. La France dispose de ressources en intelligence artificielle incroyables sur lesquelles il faudra s’appuyer. Comme le souligne le rapport Villani de 2018, nous avons la recherche et les compétences mais nous avons des difficultés à transformer la recherche fondamentale en résultat industriel. Il va falloir soutenir les champions européens, comme le franco-italien STMicroelectronics ou encore le néerlandais NXP Semiconductors, mais aussi les start-up qui développent des puces électroniques dédiées à l’IA en les incitant à coopérer avec d’autres pépites européennes, comme l’allemand Infineon.

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