Patrick Martin (Medef) : "Il y a tout lieu de craindre que la rentabilité des entreprises se dégrade encore"
Interview # Production et distribution d'énergie # Conjoncture

Patrick Martin président délégué du Medef "Il y a tout lieu de craindre que la rentabilité des entreprises se dégrade encore"

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Crise de l’énergie, inflation, crédit bancaire… : l’année qui démarre s’annonce chargée avec de nombreux défis à relever pour les entreprises. Interview de Patrick Martin, président délégué du Mouvement des entreprises de France (Medef) et PDG de Martin Belaysoud Expansion, groupe familial de distribution de fournitures industrielles basé dans l’Ain.

Patrick Martin, président délégué du Medef, s’inquiète de la différence du prix de l’énergie entre l’Europe et les États-Unis — Photo : SIPA - ROMUALD MEIGNEUX

Quelle est la situation des entreprises sur la thématique de l’énergie ?

À part chez les énergo-intensifs, le sujet du prix de l’énergie était très souvent en dehors des écrans radar des entreprises. Il y a eu une prise de conscience brutale assez tardive liée à des échéances de renouvellement de contrats. Si en août dernier notre enquête révélait que 78 % des adhérents du Medef étaient confiants, voire très confiants, quant à leurs perspectives d’activité, le moral des chefs d’entreprise a pris un coup en septembre lorsque les fournisseurs d’énergie ont envoyé leurs courriers de renouvellement de contrats. Les chefs d’entreprise ont pris conscience que le poste énergie allait peser beaucoup plus lourd, parfois de manière insupportable, dans leurs charges. Cependant, beaucoup d’entreprises restent encore couvertes jusqu’à fin 2023 avec des prix qui laissent rêveurs. Il est important de préciser que les situations restent toutefois très disparates selon les secteurs d’activité et la taille des entreprises.

"Le prix du gaz sur le marché américain étant quatre fois moins cher qu’en Europe. C’est une vraie menace structurelle qui pèse sur la compétitivité de nos entreprises"

Sur la thématique de l’énergie, il y a deux questions essentielles : celle de sa disponibilité et celle de son prix. Les dernières informations sur les remplissages des réservoirs de gaz et sur la remise en service de réacteurs nucléaires sont plutôt encourageantes pour passer l’hiver 2022-2023 et ainsi éviter les ruptures d’approvisionnement. En termes financiers, les prix spots, ou court terme, ont considérablement baissé. Même si les tensions semblent globalement s’atténuer, le marché de l’énergie reste fragile et volatil car lié en partie à l’actualité géopolitique et à la compétition que se livrent les grands pays. En France, les prix restent largement supérieurs aux prix auxquels accèdent les entreprises américaines et les asiatiques, le prix du gaz sur le marché américain étant quatre fois moins cher qu’en Europe. C’est une vraie menace structurelle qui pèse sur la compétitivité de nos entreprises.

Les dispositifs d’aides mis en place par l’État pour protéger les entreprises sont-ils suffisants ?

La première version mise en place au 1er juillet dernier était mal calibrée : 50 millions d’euros ont été seulement décaissés et une centaine d’entreprises aidées sur une enveloppe de 3 milliards. Le dispositif a désormais été amélioré, simplifié et allégé. Si le bouclier tarifaire pour les TPE et les ménages est une bonne chose, son coût s’élève à 45 milliards d’euros en 2023, ce qui constitue autant d’argent en moins pour soutenir les PME, ETI et grands groupes. Autre question qui reste en suspens, la réforme du marché européen de l’électricité. Les dernières mesures annoncées par la Commission européenne qui conduisent à un plafonnement du prix du gaz à 180 € le MWh vont dans le bon sens mais cela ne règle pas le problème de distorsion de concurrence entre l’Europe et les États-Unis. Le prix de l’énergie va continuer à peser lourd dans les comptes de résultats des entreprises. Il faut ardemment travailler à une refonte du marché européen de l’électricité afin de donner la visibilité pour nos entreprises, notamment à l’industrie électro-intensive.

Quel est l’impact économique de l’inflation annoncée à près de 6 % sur les entreprises ?

L’inflation affecte l’ensemble des entreprises car elle pèse sur la consommation et dope a contrario l’épargne, ce qui entraîne une baisse de la demande finale. Cela est vrai en B to C mais aussi en B to B, avec des entreprises qui réduisent leur production car certaines travaillent à perte ou reportent ou annulent leurs investissements. D’un secteur d’activité à l’autre, l’impact est différent selon la capacité à répercuter l’augmentation de leur prix de revient, leur "pricing power" en bon français !

Les taux de marge des entreprises vont-ils nécessairement baisser ?

Alors qu’ils étaient montés à 34 % sur 2021, en 2022, ils ont baissé de 3 points. Il y a tout lieu de craindre que la rentabilité et le niveau d’activité des entreprises se dégradent encore en 2023. Beaucoup d’entre elles n’arrivent pas à répercuter la hausse de leur coût de revient et voient leur rentabilité, voire leur solvabilité, se dégrader. D’une entreprise et d’un secteur à l’autre, selon qu’elle soit exposée ou non à la concurrence internationale, les situations sont disparates.

"Nous craignons que la situation se dégrade en 2023"

Une ETI ou une PME française qui n’a pas de site de production en dehors de la France et qui est confrontée à des concurrents nord-américains ou asiatiques a un risque majeur de perte de parts de marché et de baisse de rentabilité. Même si les indicateurs dans l’industrie se sont stabilisés sur le mois de décembre, nous craignons que la situation se dégrade en 2023.

Croissance Plus a annoncé que les banques commençaient à fermer les vannes du crédit, qu’en est-il réellement de l’accès bancaire ?

Premier point, les taux de base augmentant, mécaniquement le taux du crédit augmente. Malgré cela, la dynamique de mise en place de crédits bancaires aux entreprises demeure assez positive même si l’on ne sait pas si cela va durer. Demeurent de nombreuses disparités selon les types de financement : il est par exemple difficile de financer des opérations de type LBO. Si l’on ne constate pas de resserrement du crédit à ce jour en moyenne, il y a néanmoins plus de sélectivité de la part des banques. Enfin, fin 2022, le Haut Conseil de stabilité financière a décidé de relever les exigences de fonds propres pour les banques. Cette décision est inappropriée car cela risque de restreindre l’offre de crédit au moment même où l’économie ralentit.

Quels défis doivent relever les entreprises en ce début d’année ?

Elles sont confrontées à trois grands défis : en premier, celui de la transition écologique. Si on veut tenir notre objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, les entreprises devront investir environ 40 milliards d’euros de plus par an. Deuxièmement, elles doivent réussir à maintenir des niveaux de rentabilité pour rester compétitives. Si l’État a déjà baissé les impôts de production, il reste encore 30 milliards d’euros de différentiel par rapport à la moyenne européenne. Enfin, elles doivent mettre en place des politiques salariales et RH qui permettent de régler le sujet des difficultés de recrutement et d’augmenter les niveaux de compétences des salariés.

# Production et distribution d'énergie # Conjoncture # Politique économique # Réseaux d'accompagnement # Capital