Olivier Mathiot (France Digitale) : « La fiscalité reste défavorable au numérique »
Interview

Olivier Mathiot PDG de Rakuten PriceMinister et coprésident de l'association France Digitale Olivier Mathiot (France Digitale) : « La fiscalité reste défavorable au numérique »

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PDG du groupe de e-commerce PriceMinister et coprésident de l'association d'entrepreneurs du numérique France Digitale, Olivier Mathiot exhorte les candidats à la présidentielle à repenser le droit du travail et la fiscalité pour favoriser l'émergence de champions français du numérique.

— Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Le grand salon professionnel de l'électronique grand public (CES) a battu son plein jusqu'au 8 janvier à Las Vegas et la France était largement présente avec plus de 250 entreprises. Quels enjeux ce salon représente-t-il encore aujourd'hui pour l'écosystème des start-up français ?

Olivier Mathiot : La forte présence de la France au CES de Las Vegas résulte d'un gros travail collectif, notamment mené par la French Tech. C'est une bonne chose car nous avons probablement rattrapé notre retard en termes de créations de start-up. Les entreprises BtoB ont une carte à jouer à aller frapper du côté des États-Unis car c'est un marché unifié, mais c'est moins le cas pour celles qui sont BtoC. Ce que je pense c'est que le CES reste un rendez-vous important pour que nos entreprises soient visibles mais il faut faire attention à ne pas se focaliser uniquement sur ce salon et regarder également vers la côte Ouest des Etats-Unis où se trouvent les investisseurs, vers l'Asie, vers la Scandinavie. Certaines de nos start-up ont réussi à attirer des investisseurs étrangers - Blablacar, Sigfox - mais cela reste encore trop rare ! Car malgré les progrès menés depuis quelques années pour améliorer l'image des start-up françaises, le problème reste de savoir comment l'on peut faire pour avoir d'autres investissements que publics. Il n'y a pas assez de business angels en France comparé aux pays anglo-saxons, alors que ce type d'investisseurs permettent aux start-up de s'affranchir des fonds publics.

Justement, quelles seraient les solutions pour développer le nombre de business angels en France et favoriser l'investissement dans les start-up ?

O.M. : J'entends dire que la France est le nouvel Eldorado pour les investissements dans le numérique. Je constate pour le moment que l'image de notre pays est encore fragile car l'environnement fiscal reste défavorable. Il faut valoriser ce que nous appelons le réemploi, c'est-à-dire la capacité pour un entrepreneur ou un business angel de réinvestir ses plus-values dans des start-up et des PME. Le nouveau compte PME Innovation, s'il n'instaure pas de seuil, devrait permettre cela, c'est une bonne avancée. Le deuxième levier sur lequel il faut jouer est l'impôt sur la fortune : nous plaidons pour que toutes les actions qui sont investies dans des start-up soient exemptées d'ISF. La troisième piste que nous mettons en avant est plus "culturelle" : l'argent des Français placé dans l'assurance-vie devrait être davantage investi dans le capital-risque et les start-up. 15 % de la richesse nationale est épargnée en France, c'est une manne énorme pour le financement des jeunes entreprises.

Vous plaidez pour une refonte du droit du travail afin de prendre en compte les nouvelles formes de travail apparues avec la révolution numérique (les chauffeurs indépendants de VTC par exemple). Que répondez-vous aux arguments de disparition du travail salarié et de précarisation de l'emploi ?

O.M. : Les start-up et plus largement le secteur du numérique créent de l'emploi, et même beaucoup (+27 % en un an selon le baromètre EY-France Digitale de septembre, NDLR) ! Et en grande majorité en CDI. Comme dans toute révolution industrielle, la création de nouveaux emplois passe par la destruction d'anciens emplois. Je suis pour davantage de travailleurs indépendants et cela ne créera pas de précarisation s'ils sont mieux protégés sur le plan de la formation, des droits au chômage, à la retraite. Le nouveau compte personnel d'activité devrait apporter une réponse sur ce point. Je suis pour que la réglementation protège la personne plus que l'emploi. Les start-up veulent créer des emplois mais il faut davantage d'agilité car, par essence, ce sont des entreprises qui passent par différentes phases de développement et peuvent être amenées à licencier ou recruter rapidement. Elles nous disent d'ailleurs qu'elles ont beaucoup de mal à recruter.

Après avoir volé dans les plumes de François Hollande en 2012, les « Pigeons » (mouvement d'entrepreneurs en colère mené par France Digitale) sont de retour. Comment comptez-vous influer sur la campagne présidentielle ?

O.M. : Nous allons commencer à agir après la primaire de la gauche en rencontrant tous les candidats à la présidentielle pour leur exposer nos idées sur l'entrepreneuriat, le numérique et la fiscalité. Et les forcer à se positionner par rapport à nos propositions ! Pour le moment, deux candidats semblent être réceptifs à notre discours : François Fillon, qui a beaucoup travaillé sur ces thématiques-là et est venu au France Digitale Day pour échanger avec nous, et Emmanuel Macron, qui comprend ce dont ont besoin les start-up et avec qui nous avons travaillé de manière constructive quand il était à Bercy. France Digitale pourrait elle-même présenter un candidat si personne ne comprend que les enjeux que représente le numérique en termes d'emploi.

Dans un essai publié en 2013 (« La gauche a mal à son entreprise »), vous avez revendiqué votre vote à gauche. Un chef d'entreprise peut-il s'engager en politique sans que cela nuise à son activité ?

O.M. : Ce n'est pas le rôle premier d'un chef d'entreprise que de faire de la politique. Mais nous sommes à un tournant historique politiquement en France, il faut donc peut-être revoir ce jugement. Le problème principal est que le chef d'entreprise n'a pas beaucoup de temps disponible et qu'il faut bien que sa société soit gérée pendant qu'il s'engage. Pourquoi ne pas créer un congé de mise en disponibilité comme cela existe pour les fonctionnaires ? Cela serait une solution pour que le dirigeant puisse assurer un rôle citoyen.