Marchés publics : faut-il craindre la facturation électronique obligatoire ?
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Marchés publics : faut-il craindre la facturation électronique obligatoire ?

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A partir du 1er janvier 2019, la loi obligera les PME à dématérialiser les factures envoyées aux services publics. L'État met en avant les avantages de la démarche. Les entreprises qui l'ont déjà adoptée, elles, se montrent plus réservées et s'interrogent sur le degré de préparation des collectivités locales.

La facturation électronique obligatoire passe par le biais de la plate-forme Chorus Pro. Elle est entrée en vigueur dès 2017 pour les grandes entreprises... mais un an plus tard, un tiers ne l'avait toujours pas adoptée, selon le fisc — Photo : AIFE

L'administration française tourne la page de la facture papier. À compter du 1er janvier, les PME ne pourront plus adresser que des versions électroniques à leurs clients du secteur public (État, collectivités territoriales, hôpitaux, établissements publics...). Cette obligation de dématérialisation sera étendue aux TPE un an plus tard. Elle s'applique déjà aux grandes entreprises depuis 2017, et aux ETI depuis cette année.

À la manœuvre de cette petite révolution, l'Agence pour l'informatique financière de l'État (AIFE) promet une transition en douceur. « Le 1er janvier ne sera pas une date couperet, rassure sa directrice Régine Diyani. Dans ce processus, nous avons toujours été partisans de la souplesse pour donner du temps aux entreprises. »

Des gains financiers pour l'entreprise

De fait, sur le papier, la procédure paraît simple. Tout se passe sur une plate-forme gratuite, baptisée Chorus Pro, « lieu d'échange commun » aux administrations et entreprises.

Plus de 11 millions de factures ont été traitées par ce biais en 2017. Avec, à la clé, une meilleure traçabilité et, assure l'État, des gains financiers pour tous. L'économie potentielle pour les entreprises était estimée, en 2014, à 83 millions d'euros par an - et même 335 millions, en tenant compte du temps gagné par les services comptables.

Autre argument de poids : la facturation électronique améliore la trésorerie des entreprises. L'Observatoire des délais de paiement notait ainsi, dans son rapport 2017, que sa généralisation avait « permis d'accélérer les paiements publics ».

Dépenser pour se faire payer

Ces atouts, Delphine Kosser, juriste à la Confédération du commerce de gros et international (CGI), les reconnaît volontiers : là où le délai global de paiement de l'État atteignait 16,5 jours en moyenne en 2017 (plus de 20 jours pour les collectivités), le traitement d'une facture sur Chorus Pro peut être de « 4 à 5 jours... quand le système fonctionne ».

Même bémol chez RS Components, distributeur de fournitures industrielles. L'ETI, basée dans l'Oise (450 salariés, CA 2017 : 246,2 M€), génère 20 000 factures par an, pour un montant de 10 M€, à l'attention du secteur public. Avant de réussir à se faire payer, RS Components a dû se résoudre... à dépenser. Un surcoût évalué à près de 100 000 euros par Nathalie Debourge, responsable e-commerce : « Nous avons dû modifier notre système informatique, pour y intégrer des données spécifiques à nos clients du public. Avec un rejet de 25 % de nos factures le premier mois, nous avons fini par embaucher un intérimaire, sur un an, pour gérer les incidents. Nous avons aussi changé de prestataire de facturation dématérialisée, car le précédent n'avait ni un outil interopérable ni l'expérience de Chorus Pro... », énumère-t-elle.

Quand l'entreprise « éduque » les services publics

Plus surprenant, l'un des freins à la facturation électronique s'avère être... les services publics eux-mêmes. Certaines collectivités locales ne joueraient pas le jeu, alors que la loi les oblige à accepter les demandes de paiement dématérialisé depuis le 1er janvier 2017.

« Nous devons faire face à plein d'exceptions qui confirment la règle. »

« Nous sommes en train d'éduquer les acteurs publics, se désole Nathalie Debourge. Il nous arrive d'écrire un courriel à certains, pour leur expliquer à quoi ça sert et les informations à nous fournir ! » « À ma connaissance, répond Régine Diyani de l'AIFE, il n'existe pas de collectivités qui ne reçoivent pas les factures électroniques. Et aucune facture ne se retrouve en "stand-by", parce qu'une collectivité ne l'aurait pas reçue ou traitée. »

Des habitudes difficiles à changer

« Au fond, le problème ne vient pas de l'outil, conclut Delphine Kosser, mais des pratiques de chaque service public. » En la matière, la disparition du papier ne signifie pas la fin de la paperasse administrative. « Nous devons faire face à plein d'exceptions qui confirment la règle, admet Nathalie Debourge. Sans compter que certaines données sont à récupérer dans des documents saisis, eux, à la main... ». Ce problème devrait toutefois finir par se résorber : le 1er octobre, la commande publique sera dématérialisée pour les marchés supérieurs à 25 000 € HT.

Dans ces conditions, les PME doivent-elles redouter l'échéance du 1er janvier ? Non, pour l'AIFE, car « collectivités et petites entreprises s'identifient plus facilement », en raison du volume supposé moindre de factures adressées par les secondes aux premières. Pour elles, Chorus Pro prévoit un dépôt simplifié des factures (envoi d'un PDF ou saisie sur la plate-forme).

Pour les entreprises travaillant souvent avec le secteur public, l'interface propose d'utiliser un flux automatisé. Ce mode d'émission est le plus répandu. Le plus à risque aussi. « Il faut vérifier la compatibilité de votre système informatique avec Chorus Pro, avertit Delphine Kosser, de la CGI. Et envisager de s'équiper et de se faire accompagner, si besoin. » La fin annoncée de la facture papier n'est donc pas forcément pour demain.

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