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Les PME et ETI ont-elles encore intérêt à aller en Bourse ?
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Les PME et ETI ont-elles encore intérêt à aller en Bourse ?

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Après une année 2021 record, le marché mondial des introductions en Bourse a lourdement chuté en 2022. Et la France n’échappe pas à cette tendance. Quelles sont les perspectives pour 2023 ? Quel est l’intérêt pour une PME d’aller sur les marchés ? Quels sont les profils d’entreprises susceptibles d’intéresser les investisseurs ? Éléments de réponse.

Mathieu Guesné, PDG de Lhyfe. En levant 118 millions d’euros, l’entreprise nantaise a signé la deuxième plus importante introduction en Bourse de l’année en France — Photo : Julien Gazeau

Après une année 2021 exceptionnelle, 2022 ne restera pas dans les annales boursières. Selon une étude réalisée par le cabinet EY, les volumes d’introductions en Bourse ont chuté de 46 % en volume et de 62 % en valeur sur le marché mondial. En France, si l’on ne tient pas compte des cotations directes (sans levées de fonds) et des placements privés, 12 sociétés seulement ont fait leur entrée en Bourse par voie d’offre publique ou IPO (pour Initial Public Offering), contre 35 en 2021. Tout compris, Euronext Paris a accueilli l’an passé 31 nouvelles sociétés françaises sur ses différents marchés, soit moitié moins qu’en 2021. Mais le recul des montants levés est encore plus spectaculaire, puisqu’ils se sont effondrés de 4 milliards d’euros en 2021 à 484 millions en 2022. Il faut dire que les mauvaises nouvelles se sont enchaînées, tant sur le front géopolitique avec la guerre en Ukraine, que sur le plan macroéconomique. La crise énergétique dégrade les performances opérationnelles des entreprises, tandis que l’inflation et la hausse des taux ont laissé craindre un fort ralentissement de l’économie, voire une récession, faisant monter les risques ou, tout du moins, leur perception. De fait, les anticipations négatives ont pris le dessus, rendant les marchés volatils et décourageant aussi bien les candidats à l’entrée en Bourse que les investisseurs. "Il y a eu deux périodes distinctes en 2022. Le premier semestre s’est inscrit dans le prolongement de l’année 2021. Au second semestre, nous avons eu une crise de confiance et de liquidités qui a conduit à l’abandon ou au report de nombreux projets dans l’attente de meilleures conditions de marché", décrypte Cédric Garcia, associé chez EY qui accompagne des sociétés dans leur projet d’introduction en Bourse ou de refinancement sur les marchés financiers.

Bonne résistance des cleantech

Toutefois, relativise Guillaume Morelli, responsable des activités de cotation pour la France chez Euronext, "le bilan a été plutôt bon pour une année difficile. La France a bien résisté et la Bourse de Paris est devenue la première d’Europe, supplantant celle de Londres (en calculant la capitalisation totale des sociétés cotées dans ces deux places, NDLR). Si certains secteurs ont été pénalisés, d’autres ont mieux résisté, confirmant deux tendances que nous voyions émerger depuis 2018-2019. Les investisseurs boursiers, particuliers et institutionnels, montrent une appétence qui ne se dément pas pour les entreprises du secteur technologique, notamment celles en lien avec la transition énergétique et le développement durable. Ils se montrent également intéressés par les PME et ETI régionales ayant une identité forte." La société nantaise Lhyfe, qui produit de l’hydrogène vert à partir de l’éolien, en est la parfaite illustration. En récoltant 118 millions d’euros en mai 2022, elle a réalisé la deuxième plus importante levée de fonds de l’année pour une introduction en Bourse en France. Au total, 17 des 31 sociétés cotées sur Euronext Paris en 2022 sont issues de la Tech. Et sur huit IPO, quatre sont le fait d’entreprises intervenant dans le secteur des énergies renouvelables : Haffner Energy, groupe Okwind, Charwood Energy et Lhyfe.

Optimisme mesuré pour 2023

À l’aube de 2023, les professionnels se montrent d’un optimisme prudent. "Nous abordons 2023 avec optimisme. Un consensus semble se dégager en faveur d’une récession certes, mais courte et de faible ampleur. Cela permet de se projeter vers des perspectives de sortie de crise. Par ailleurs, l’inflation paraît ralentir et les valorisations d’entreprises qui avaient été fortement impactées par la crise semblent avoir atteint un point d’inflexion. Nous nous attendons donc à un nombre de cotations encore modestes au premier semestre, mais à une reprise des IPO avec une accélération, y compris avec des levées de fonds, d’ici la fin de l’année 2023", avance ainsi Guillaume Morelli. "Nous avons déjà signé trois mandats pour accompagner des entreprises en Bourse en 2023. C’est encourageant. Mais nous ne connaîtrons la réponse des marchés que d’ici six à douze mois. La hausse des indices boursiers en début d’année va dans le bon sens. Les entreprises opérant dans le domaine de la transition énergétique, ainsi que les entreprises issues de secteurs plus traditionnels mais ayant une croissance à deux chiffres et, idéalement, une activité à l’international sont des candidates naturelles à l’introduction en Bourse", analyse, pour sa part, Vincent Le Sann, directeur général adjoint de la société Portzamparc, le spécialiste de la Bourse de BNP Paribas Banque Privée. Les introductions en Bourse pourraient également être alimentées par une autre catégorie d’entreprises. "Dans une volonté de se recentrer sur un nombre de métiers plus limités, certains groupes du CAC 40 analysent actuellement leurs actifs et étudient la possibilité d’introduire en Bourse certaines activités pour les développer. C’est ce qui a été fait par Sanofi avec l’introduction en Bourse d’Euroapi. C’est ce que prévoit de faire Renault avec ses activités électriques", indique Cédric Garcia.

Accélérer la croissance

En effet, pour une entreprise, le premier intérêt d’aller en Bourse est de décrocher des financements dans une perspective de croissance ou d’innovation. "Aller en Bourse, c’est enrichir ses possibilités de financement. Il ne s’agit pas de les substituer aux financements classiques, mais de les compléter en faisant appel à un large bassin d’investisseurs. En 2022, 23 milliards d’euros ont été échangés sur les marchés Euronext Paris au profit des PME et ETI", souligne Guillaume Morelli. C’est ce qui a motivé la société Lhyfe. Alors que sa première unité de production d’hydrogène vert fonctionne déjà en Vendée, la PME de 82 salariés engagée sur une centaine de projets d’usines, dont 85 % à l’international, voulait se donner les moyens d’accélérer. C’est pourquoi, après plusieurs tours de table d’un montant total de 85 millions d’euros, elle a choisi de s’introduire en Bourse. Lhyfe, qui avance un chiffre d’affaires de 190 000 euros, a atteint une capitalisation boursière de 410 millions d’euros et levé 118 millions d’euros, en mai 2022. "Nous avions de quoi voir venir pendant 18 mois avec 55 millions d’euros de cash disponible. Mais nous pensons que c’est le moment d’accélérer pour devenir un leader de la production d’hydrogène vert en Europe", déclare Matthieu Guesné, fondateur et PDG de Lhyfe. Autre cleantech, la PME bretonne Okwind (131 salariés, 25 M€ de CA en 2021) qui conçoit, fabrique et commercialise des systèmes intelligents de génération d’énergie pour l’autoconsommation, a adopté la même démarche. Après avoir envisagé une levée de fonds, l’entreprise de Torcé, en Ille-et-Vilaine, s’est finalement tournée vers la Bourse, où elle a levé 21 millions d’euros pour amplifier son développement en France et à l’international. "Une IPO, c’est le début d’une nouvelle histoire. C’est une première étape du financement. L’intérêt pour une société d’être cotée, c’est de pouvoir lever rapidement des fonds à chaque nouveau projet de croissance. Mais on va rarement en Bourse pour lever moins de 10 millions d’euros. Cela serait trop coûteux. Le coût d’une IPO est proportionnel aux montants levés, mais plus importants si la levée de fonds est faible. Généralement, les PME réalisent des levées de fonds comprises dans une fourchette allant de 10 à 100 millions d’euros", commente Cédric Garcia.

Indépendance financière

La cotation en Bourse est également un moyen d’assurer ou de retrouver son indépendance financière, comme en témoigne le parcours de la société Hunyvers (142 salariés, 91 M€ de CA en 2021), basée à Limoges et spécialisée dans la distribution de véhicules de loisirs. En 2011, elle avait fait appel à un fonds de capital investissement pour financer des croissances externes. En 2017, son PDG, Julien Toumieux a voulu faire sortir ce fonds par anticipation. "L’effet de levier était tel qu’il fallait que je fasse financer cette sortie. J’ai essayé en faisant du prêt classique, cela m’a été refusé. Je l’ai fait avec des fonds propres, mais cela a freiné le développement de l’entreprise", relate-t-il. Finalement, Hunyvers est entrée en Bourse sur Euronext Growth Paris, en mars 2022, levant 16 millions d’euros. De quoi financer les rachats des sociétés Ypo Camp et Martin Caravanes et d’emmener l’entreprise vers l’objectif de 170 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2025 qu’elle s’est fixé. "Faire entrer un fonds, c’est avoir une épée de Damocles au-dessus de la tête tous les sept ans (un fonds investissant en général 7 ans, NDLR). Avec cette introduction en Bourse, j’ai les coudées franches pour financer la croissance de l’entreprise et atteindre mes objectifs", affirme Julien Toumieux. "La Bourse, c’est un outil d’indépendance et de liberté entrepreneuriale. C’est la seule option de financements en fonds propres qui laisse la liberté d’exécuter une stratégie d’entreprise sur un horizon de temps dégagé", plaide Guillaume Morelli. Pouvoir offrir de la liquidité à ses actionnaires peut s’avérer particulièrement intéressant pour les entreprises familiales. "Les entreprises familiales ont parfois un capital éclaté, avec des actionnaires non opérationnels souhaitant se retirer du tour de table. Entrer en Bourse permet de céder seulement une partie du capital, sans attendre la transmission ou la cession de l’intégralité de la société, en bénéficiant d’un prix transparent et unique", fait remarquer Vincent Le Sann.

Le cas particulier des biotechs

"Souvent, les sociétés vont en Bourse quand elles ont besoin d’argent. Ce n’était pas notre cas. Mais il nous paraissait important d’élargir la base financière de l’entreprise pour financer le développement de notre pipeline (portefeuille de médicaments, NDLR). D’autant plus que le monde des investisseurs privés en biotech est très confidentiel. Ils sont peu nombreux et ont souvent des idées de développement qui ne sont pas en ligne avec une société multiproduits comme la nôtre", témoigne Pier Vincenzo Piazza, cofondateur et directeur général d’Aelis Farma. La pépite bordelaise a levé 25 millions d’euros en février 2022 en s’introduisant sur Euronext Paris. Elle a battu, à la faveur de cette opération, les records de la plus importante IPO pour une biotech en France depuis 2016 et de la plus forte capitalisation boursière de biotech à 175 millions d’euros. Aelis Farma s’est ainsi donné les moyens de poursuivre le développement d’une nouvelle génération de médicaments innovants pour traiter les maladies du cerveau et, notamment, les troubles liés à la consommation excessive de cannabis et les déficits cognitifs causés par la trisomie 21.

Visibilité et crédibilité

S’introduire en Bourse, c’est également mettre un formidable coup de projecteur sur l’entreprise. "Une entreprise cotée capte la lumière. Elle se donne de la visibilité vis-à-vis de ses clients, de ses banquiers, des entreprises ciblées si elle veut faire de la croissance externe. Cela simplifie la vie", expose Vincent Le Sann. "La Bourse, c’est un outil de visibilité qui fait paraître plus gros que l’on est. Cela donne de la crédibilité pour recruter et embarquer les équipes. Cela joue un rôle d’accélérateur vis-à-vis de l’écosystème. Une PME cotée n’est plus une PME mais une entreprise cotée, ce qui peut avoir son importance dans les appels d’offres" argumente, pour sa part, Guillaume Morelli. Le groupe montpelliérain Veom a ainsi choisi de donner de la visibilité à sa filiale Cabasse en introduisant 49,9 % de son capital sur Euronext Growth Paris, fin 2022, pour en faire " l’un des leaders mondiaux des solutions audio connectées de luxe et de haute résolution", selon son PDG Alain Molinié. Fin 2021, c’est également le souci de se rendre plus visible et attractif qui avait motivé l’entrée en Bourse d’Agence Automobilière, réseau de franchises alsacien spécialisé dans la revente de véhicules de particuliers à particuliers. "Nous n’avons pas besoin de lever de l’argent. L’idée, c’est que tous les membres de notre réseau de franchises puissent participer à l’évolution de la société. Le meilleur moyen de motiver des candidats, c’est qu’ils puissent devenir acteurs. Or, le but dans une franchise, c’est d’attirer les meilleurs", déclarait son président Christophe Winkelmuller, à cette occasion.

Reste à espérer qu’en 2023, les atouts de la Bourse supplanteront le bilan peu glorieux des IPO en 2022 : seules deux sociétés affichaient un cours supérieur à celui de leur introduction fin 2022. Pour ses partisans, les marchés ont de beaux jours devant eux. "Depuis l’introduction de la Française des Jeux en 2019, la place de Paris a gagné un million de nouveaux investisseurs en Bourse. Ceux-ci ont une prédilection pour les valeurs moyennes, les secteurs d’avenir, les entreprises ayant des engagements RSE et un ancrage local", conclut Guillaume Morelli. Un biais qui pourrait profiter en 2023 aux PME et ETI répondant à ces critères.

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