Les entreprises vont-elles avoir du mal à rembourser leur PGE à cause du ralentissement économique ?
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Les entreprises vont-elles avoir du mal à rembourser leur PGE à cause du ralentissement économique ?

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Plus de deux ans après leur création, l’heure du remboursement a sonné pour les prêts garantis par l’État (PGE), dont la distribution a été prolongée jusqu’au 31 décembre. Dans un contexte économique dégradé par l’inflation, la crise énergétique et la remontée des taux, les entreprises sont-elles en bonne position pour faire face à cette échéance ?

Plusieurs fédérations patronales estiment que de nombreuses entreprises ne pourront pas rembourser leur PGE. — Photo : rh2010

Dispositif phare du gouvernement pour aider les entreprises à surmonter les conséquences de la crise sanitaire, le prêt garanti par l’État (PGE) a été lancé dès mars 2020. Ces prêts, garantis entre 70 et 90 % par l’État et plafonnés à 25 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises (ou à deux années de masse salariale pour les entreprises nouvelles ou innovantes), ont été distribués par le réseau bancaire traditionnel. À fin avril 2022, plus de 148 milliards d’euros de PGE avaient ainsi été accordés à 678 240 entreprises. Après avoir annoncé la fin de leur distribution au 30 juin 2022, le gouvernement a finalement pris la décision, en août, de prolonger le dispositif jusqu’au 31 décembre 2022 avec le PGE Résilience. Toutefois, le rythme de leur distribution est très ralenti. La grande majorité des PGE a, en effet, été délivrée dans les premiers mois suivant leur mise en place. Ainsi, sur les 137 milliards d’euros accordés par les banques à plus de 660 000 entreprises au 31 décembre 2021, plus de 75 % avaient été octroyés entre mars et juin 2020. Après une année de décalage d’amortissement du capital et la possibilité d’un report additionnel d’un an, les premières tranches de remboursement des PGE ont donc débuté. Sur les PGE souscrits en 2020, 44 % ont commencé à être remboursés à l’issue de la première année, soit en 2021. 56 % commencent à être remboursés en 2022, pour leur grande majorité au deuxième trimestre. Les remboursements se poursuivront jusqu’à l’amortissement total du prêt dont la durée maximale est fixée à six ans. Toutefois, après plusieurs mois de forte reprise, ces remboursements interviennent dans un contexte économique dégradé par la guerre en Ukraine et marqué par l’inflation, la crise énergétique, les tensions de recrutement ou encore la hausse des taux d’intérêt.

Risques de défaillance ?

C’est pourquoi, certaines fédérations professionnelles n’hésitent pas à tirer la sonnette d’alarme face aux difficultés que pourraient rencontrer certains de leurs adhérents pour rembourser leurs PGE et aux risques de défaillances associés. Dès le printemps 2022, le Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration (GNI) avertissait sur la situation des hôteliers, cafetiers et restaurateurs, dont la moitié serait dans l’incapacité de rembourser leur PGE. "Les professionnels concernés vont devoir rembourser jusqu’à 25 % de leur chiffre d’affaires en l’espace de quatre ans. Cela exige une rentabilité de l’ordre de 5 % quand elle est en moyenne de 3, 5 % dans le secteur. C’est mission impossible. Des milliers d’entreprises vont droit dans le mur", prévenait ainsi Didier Chenet, président du GNI.

"Il faut trouver un instrument pour sortir du PGE et le transformer en subvention"

L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) va également dans ce sens. Il ressort d’une enquête trimestrielle réalisée par la CPME entre le 20 et le 30 juin 2022, à laquelle ont répondu les adhérents de l’UMIH, qu’une entreprise sur quatre estime ne pas avoir la capacité d’honorer le remboursement de son PGE, alors même que la très grande majorité (78 %) a choisi une durée de remboursement la plus longue possible, soit quatre ou cinq ans. "L’État fait l’amalgame entre les résultats des entreprises et leur capacité à recréer une trésorerie qui a été mangée par le Covid. La charge que représente le remboursement des PGE dégrade les comptes d’exploitation. De ce fait, les entreprises du secteur, et en particulier les hôtels, se trouvent bloqués dans leurs investissements. Les banques nous regardent de travers en raison d’un prêt à court terme qui représente 25 % de notre chiffre d’affaires et que le Président de la République assimilait pourtant à des quasi-fonds propres. Il faut trouver un instrument pour sortir du PGE et le transformer en subvention", réclame Laurent Duc, président de l’UMIH. Cette organisation réunit 35 000 entreprises adhérentes, parmi lesquels 6 000 hôteliers sur les 18 000 que compte la France.

Des secteurs fragilisés

Il est vrai que le dispositif des PGE a été particulièrement sollicité par les TPE et les secteurs les plus fragilisés par la crise sanitaire. Selon les chiffres au 31 décembre 2021, les TPE ont reçu 88 % des prêts en volume (37 % en montant). Et plus de 50 % des entreprises bénéficiaires sont issues de l’hôtellerie-restauration. Selon l’UMIH, 90 % des hôteliers ont souscrit un PGE pour un montant moyen de 182 000 euros. Et la bonne saison touristique qu’ils ont vécue ne suffit pas à rassurer la profession. "La troisième saison estivale sous Covid a réappris aux Français et aux touristes étrangers à redécouvrir la France. Mais avec le télétravail, les réunions à distance, etc., nous avons perdu 30 % de la clientèle d’affaires. L’été ne fera pas le résultat de l’année", pointe Laurent Duc. La Cour des comptes, dans un rapport publié en juillet, attire également l’attention sur la situation des entrepreneurs individuels, qui représentent 3 % des PGE en montant de prêts mais 19 % des bénéficiaires, et ont souvent engagé leur patrimoine personnel. Les entreprises et entrepreneurs jugés les plus à risque par la Cour des comptes devront consacrer mensuellement plus de 9 % de leur chiffre d’affaires au remboursement de dettes PGE, mais aussi Urssaf. De son côté, la CPME alerte. Pour l’organisation patronale, rembourser des mensualités sur quatre ans s’avère "une mission quasi impossible sans une activité en forte croissance".

Pas de signaux alarmants pour les banques

Du côté des institutionnels, on se veut rassurant. Selon l’enquête de conjoncture Bpifrance Le Lab publiée en juillet 2022, un peu plus de la moitié des TPE et PME a utilisé, en majorité ou totalement, le PGE souscrit. Seules 6 % d’entre elles craignent des difficultés pour rembourser leur PGE. La Fédération bancaire française (FBF) partage cette analyse. Elle estime à un quart l’encours de PGE déjà remboursé et évoque les aménagements apportés au PGE depuis son lancement pour en faciliter le remboursement. Celui-ci a d’abord été adapté à la situation sanitaire dans le cadre prévu par la Commission européenne. Le différé d’amortissement initial d’un an a été complété d’un report additionnel d’un an du remboursement en capital, tout en restant sur une durée totale du prêt de six ans. En janvier dernier, un "accord de place" signé entre les banques françaises et les pouvoirs publics permet aux TPE ou PME ayant obtenu moins de 50 000 euros de PGE au total et confrontées à des difficultés temporaires avérées, mais disposant de capacités de rebond, de saisir la Médiation du crédit pour trouver un accord amiable.

Des solutions existantes mais contestées

"Cela permet d’étaler le PGE sur deux ou, plus exceptionnellement, quatre ans supplémentaires pour aller jusqu’à dix ans. Dans ce cas, l’opération s’assimile à une restructuration bancaire : ceci conduit l’entreprise à être classée en prêt non performant par le ou les établissements bancaires concernés. Les banques restent pleinement mobilisées pour accompagner chacun de leurs clients, et rechercher avec eux les solutions les plus adaptées à leur situation", déclare un porte-parole de la FBF. Un aménagement qui ne convient pas à tous. "Les entreprises qui recourent à la Médiation du crédit voient leur notation Banque de France dégradée, ce qui rend l’accès à de nouveaux financements bancaires compliqué, voire impossible", dénonce ainsi le président de l’UMIH. Toutefois, relativise Hassiba Kaabêche, directrice régionale Pays de la Loire de la Banque de France, "la cotation Banque de France ne s’applique qu’aux entreprises réalisant plus de 750 000 euros de chiffre d’affaires. Les entreprises ayant souscrit moins de 50 000 euros de PGE ne réalisent pas plus de 200 000 euros de chiffre d’affaires, puisque le PGE est limité à 25 % de celui-ci. Elles ne risquent donc pas d’être pénalisées par un recours à la médiation du crédit."

La Médiation du crédit peu sollicitée

Encore faudrait-il également que cette procédure soit connue des entreprises. Or, dans l’enquête réalisée par la CPME, 54 % des chefs d’entreprise interrogés déclarent ne pas connaître la possibilité d’avoir recours au médiateur du crédit pour éventuellement allonger la durée de leurs PGE. Méconnaissance du dispositif ou difficultés somme toute marginales, la Médiation du crédit a été très peu sollicitée pour des restructurations de PGE.

"Les indicateurs de remboursement sont bons : la quasi-totalité des clients ayant souscrit un PGE a commencé à le rembourser"

En juillet 2022, la Banque de France faisait état de 304 dossiers depuis le début de la procédure, alors que plus de 288 000 PGE commençaient à être remboursés au cours du deuxième trimestre 2022. Les secteurs de la construction (36 %) et de l’hébergement-restauration (17 %) concentrent une grande partie des demandes. Ces sollicitations émanent en très grande majorité (78 %) de TPE (moins de 11 salariés). "Plus de deux ans après sa mise en place et alors que sa distribution est désormais achevée depuis le 30 juin (hors PGE Résilience), les indicateurs de remboursement sont bons : la quasi-totalité des clients ayant souscrit un PGE a commencé à le rembourser et de l’ordre de 20 % des entreprises l’ont déjà intégralement remboursé", commente le porte-parole de la Banque de France.

Incertitudes sur l’avenir

Les difficultés des entreprises à rembourser dépendront, en fait, largement de l’évolution du contexte macro-économique, beaucoup moins rieur en ce moment, entre des perspectives de croissance en berne et l’inflation galopante. Frédéric Visnovsky, le Médiateur du crédit, estime que le taux de défaut de 3,1 % jusqu’ici retenu pour le remboursement allait être revu, mais "dans des proportions qui n’ont rien de dramatiques". Par ailleurs, les défaillances d’entreprise repartent à la hausse, mais à fin juillet, leur nombre (34 653) reste inférieur de près d’un tiers au niveau de la période pré-Covid, après un plus bas historique en 2021 (environ 30 000). La Banque de France ne recense pas non plus de difficultés dans l’accès au crédit des entreprises. Au deuxième trimestre 2022, les demandes de crédit de trésorerie émanant des TPE ont été satisfaites dans 80 % des cas. Ce chiffre dépasse les 84 % pour les PME et 90 % pour les ETI. En ce qui concerne les demandes de crédit d’investissement, le taux d’obtention, sur la même période, est supérieur à 85 % pour les TPE et atteint presque 100 % pour les PME et ETI. L’inquiétude porte plutôt sur le niveau de trésorerie. S’il reste élevé, il a tendance à s’éroder ces deux derniers mois. Difficile dans ces conditions de faire des pronostics pour les mois à venir, tant les incertitudes sont grandes.

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