Le plan de relance n'aidera pas les entreprises les plus fragilisées par le coronavirus
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Le plan de relance n'aidera pas les entreprises les plus fragilisées par le coronavirus

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Dans la crise du coronavirus, à chacun son plan. D’après l’analyse de deux instituts de recherche, l’État a clairement choisi son camp pour venir en aide à l’économie. Aux services et aux petites structures les plus touchées par la crise, les mesures d’urgence. À l’industrie et aux grandes entreprises, le plan de relance et sa baisse des impôts de production. Un pari politique qui bute sur un problème majeur : la question du financement à moyen terme de ces actions.

Actuellement installée à Montrevault-sur-Evre, l'usine Lacroix Electronics déménagera à Beaupréau courant 2021 — Photo : Lacroix Group

Entre mesures d’urgence et plan de relance, les entreprises devront-elles choisir ? Elles risquent en tout cas de ne pas pouvoir jouer sur les deux plans, à en croire l’Institut des politiques publiques (IPP) et le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap). D’après eux, ces deux leviers de l’action publique contre la crise du coronavirus ne profiteront pas aux mêmes acteurs économiques. Résultat, les principales victimes de l’épidémie pourraient être les grands oubliés de la relance.

Les aides d’urgence sont allées à ceux qui en avaient besoin

Chômage partiel, prêts garantis par l’État (PGE), reports et exonérations de charges, fonds de solidarité : tout cet arsenal de riposte immédiate à la crise s’est avéré plutôt bien ciblé, se félicite l’IPP. Les 20 % des entreprises les plus touchées en mars-avril sont ainsi celles qui ont capté le plus d’aides, dans des proportions équivalentes à 7 % de leur valeur ajoutée (contre 2 à 4 % dans le reste de l’économie).

De la même manière, ce soutien public massif à la trésorerie est d’abord allé vers les structures les plus fragiles financièrement. C’est particulièrement vrai des PGE et des aménagements de charges, tandis que le fonds de solidarité a, lui, pleinement rempli son office de filet de sécurité pour les structures les plus petites. Résultat, l’hôtellerie-restauration ressort en tête des secteurs les plus protégés : il a reçu plus de 10 % de sa valeur ajoutée en aides.

• Les entreprises peu productives en profitent plus

Pour autant, tout n’a pas été parfait dans la réponse apportée en urgence à la pandémie et au confinement. Les acteurs du tourisme, du sport et de la culture (secteurs dits S1 et S1 bis, dans le jargon administratif) ont ainsi bénéficié de mesures renforcées… sauf que « 40 % des entreprises les plus touchées par la crise n’en faisaient pas partie », a souligné l’économiste Laurent Bach, à la présentation des résultats de l’étude.

Surtout, les dizaines de milliards d’euros débloquées par le gouvernement ont irrigué "des entreprises petites, peu capitalistiques et peu productives dès avant la crise", souligne l’IPP. C’est, en quelque sorte, la contrepartie du sauvetage des entreprises et des emplois "quoiqu’il en coûte", comme l’avait formulé le président de la République Emmanuel Macron, dès le 12 mars. Un choix et une orientation politiques qui ne devraient pas perdurer. La relance semble en effet emprunter un tout autre chemin.

Le plan de relance privilégie industrie et grandes entreprises

L’analyse du "plan de relance", tel qu’il est entendu ici, se limite à deux dispositions du projet de loi de finances 2021 : la diminution de 10 milliards d’euros des impôts de production et la poursuite de l’abaissement du taux d’impôt sur les sociétés à 26,5 % (ou 27,5 %, en fonction du chiffre d’affaires réalisé). Ce parti pris, se justifie le Cepremap, rejoint celui de Bercy, pour qui l’investissement public n’aurait d’impact que de court terme. D’où la focalisation sur l’effort fiscal de l’État, censé rétablir de manière plus durable la compétitivité des entreprises françaises… ou plutôt d’une partie d’entre elles.

« Ceux qui ont le plus pâti de la crise du Covid-19 ne bénéficieront pas particulièrement de ce plan de relance. »

Sur ce point, la conclusion de l’étude est, en effet, sans ambiguïté : "Ceux qui ont le plus pâti de la crise du Covid-19 ne bénéficieront pas particulièrement de ce plan, qui cible en revanche fortement l’industrie et les grandes entreprises, quelle que soit leur efficacité productive générale." Le contraste est saisissant à la vue des classements des secteurs les plus favorisés, d’une part, par ces allègements d’impôts, d’autre part, par les mesures d’urgence : ils sont à l’exact opposé ! En queue de peloton du second, les activités "mines, énergie, eau et déchets" caracolent en tête du premier (avec un gain évalué à 1,5 % de leur valeur ajoutée), et vice-versa pour l’hôtellerie-restauration.

• L’inconnue majeure du financement des cadeaux fiscaux

En réalité, rien là de très surprenant : dès la présentation du plan de relance, Bercy avait bien précisé que la baisse des impôts de production profiterait d’abord aux ETI (à 42 %) et à l’industrie (à 37 %). Là où le bât blesse en revanche, c’est sur les bénéfices réels de ces cadeaux fiscaux.

Pour Bercy, ils auront dopé le PIB de près de 0,5 point en 2030. Ce pourrait être plus, admet Thomas Brand (Cepremap)… ou moins. L’estimation officielle lui paraît en effet bien « optimiste », pour la simple et bonne raison que l’État ne dit rien du financement de ces mesures. Or, leur impact effectif variera "fortement en fonction de la vitesse de l’ajustement budgétaire qui suit et de sa composition (hausse des recettes ou baisse des dépenses)", met en garde l’étude. Et d’appeler l’État à "ne pas reproduire l’erreur d’après 2011", en cherchant à compenser trop vite et trop fort son manque à gagner.

• Les avantages relatifs de la baisse des impôts de production

Ce bémol majeur est partagé par Rexecode. Dans une publication séparée, ce centre de recherches se montrait, certes, moins sévère sur le ciblage de la réduction des impôts de production. Il estime en effet que la baisse de 3,3 milliards d’euros des taxes foncières (CFE et TFPB) "permettra d’alléger sensiblement la pression fiscale des entreprises les plus fragilisées par la crise". Quant aux allègements promis dans leur ensemble, ils gonfleraient le PIB de 0,6 point, en 2030 ; l’investissement de 0,9 ; les exportations de 0,4 ; et les créations d’emplois de 100 000 postes. Sauf que ces prévisions sont calculées "hors prise en compte d’un financement futur par des hausses d’autres prélèvements ou d’efforts d’économie de dépense publique".

L’effort fiscal concédé au nom de la relance pourrait donc être tout sauf acquis. Et pourrait tout aussi bien être nécessaire, mais insuffisant. Pour Euler Hermes, l’allègement des impôts de production fera gagner aux entreprises 0,7 point par an de marge bénéficiaire… mais la crise du Covid-19 leur en a déjà fait perdre dix fois plus. Et, assure Rexecode, malgré cette réforme, le montant de ces prélèvements restera supérieur de 28 milliards d’euros à la moyenne européenne, et de 56 milliards à l’Allemagne.

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