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Le marché du bio à la recherche d'un second souffle
Enquête France # Agriculture # Conjoncture

Le marché du bio à la recherche d'un second souffle

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Après des années de forte croissance, le marché du bio s’est retourné. En cause, l’inflation qui contraint les consommateurs à faire des choix et la multiplication des labels qui brouille l’image du bio. Le bio peut-il surmonter cette crise ? En suivant quelles stratégies ? Éléments de réponse.

Un magasin Biocoop, spécialisé dans l'alimentation biologique — Photo : DR

Après des années de croissance à deux chiffres qui ont vu le poids du bio passer de 2,1% de la consommation en 2014 à 5,1% en 2020, la courbe s’est inversée. Après un fléchissement de 1,3% en 2021, la contraction des ventes de produits bio s’est accélérée en 2022 avec un recul de 4%, selon les chiffres publiés par l’institut d’études IRI. L’édition 2023 du Baromètre des produits biologiques en France confirme la perte d’attractivité du bio : 60% des Français indiquent avoir consommé des produits alimentaires biologiques au moins une fois par mois au cours des 12 derniers mois, soit un recul de 16 points par rapport à 2021. Sur la même période, la part des personnes n’ayant pas consommé de produits alimentaires biologiques sur un an double, pour atteindre 17%. Cette évolution marque une rupture avec la période précédente. Le volume des ventes du secteur avait, en effet, triplé au cours de la dernière décennie, passant de 4 à près de 13 milliards d’euros. Et la crise sanitaire avait accentué cette tendance. 2022 a dissipé l’euphorie, le poids du bio au sein des produits de grande consommation repassant sous la barre des 5%. En deux ans, plus de deux milliards d’euros se sont évaporés, selon l’IRI.

Inflation

Le retournement du marché du bio s’inscrit dans un contexte général de recul de la consommation. Selon l’Insee, les dépenses des ménages français se sont repliées de 1,3% en décembre 2022, sous l’effet, notamment, de la baisse de 1,7% des achats de produits alimentaires. Face à l’inflation les consommateurs sont contraints de faire des choix. Les produits bio, au même titre que les produits frais, sont les principales victimes de ces arbitrages, en raison de leur prix. Même si, tempère Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, "la différence de prix entre les produits bio et conventionnels tend à se tasser, car les produits bio contiennent moins d’intrants." Ce que confirme Jean-Michel Péard, agriculteur bio à Blain, en Loire-Atlantique, et président d’Invitation à la Ferme, un réseau qui regroupe 45 exploitants transformant, directement dans leurs fermes, leur lait en produits laitiers bio (yaourts, desserts lactés, fromages et glaces). "Nos coûts de production sont moins impactés par la hausse des prix que ceux de l’agriculture conventionnelle. Nous utilisons moins de pesticides, d’engrais, nous produisons, nous-mêmes, sur nos prairies le fourrage pour les vaches… C’est la même chose pour les coûts de transformation. Nous les maîtrisons, en dehors des coûts de main-d’œuvre et des ingrédients comme le cacao que nous ne produisons pas. En fait, le rapport qualité prix des produits bio est bon, même si le prix facial est un peu supérieur aux produits conventionnels", explique-t-il. Selon une étude réalisée en juin 2022 par Nielsen IQ, les produits bio restent cependant 30 % plus chers en moyenne que les références traditionnelles.

"Les consommateurs les plus modestes et familiaux risquent de continuer à délaisser ces produits mieux-disants face à leur baisse de pouvoir d’achat. Mais les plus gros consommateurs de bio, plus aisés, urbains et moins impactés par l’inflation, devraient continuer à accorder une part non négligeable au bio dans leurs achats de produits alimentaires", souligne Nielsen IQ. De fait, les consommateurs réguliers de produits alimentaires biologiques intensifient leur consommation. Près de 25% d’entre eux estiment à plus de 75% la part des produits bio dans leur alimentation, selon le Baromètre 2023, un chiffre en hausse de 10 points par rapport à 2023.

Concurrence entre labels

Si le facteur prix joue un rôle dans la désaffection des consommateurs pour les produits bio, il n’est pas le seul. Ces derniers souffrent également de la concurrence d’autres offres alternatives proposées à des prix moins élevés. Les produits labellisés HVE (Haute valeur environnementale), sans résidu de pesticides, sans OGM, sans antibiotique, sans nitrites ou encore "locaux" séduisent de plus en plus de consommateurs. Moins contraignantes que le bio, ces démarches sont soutenues par un effort marketing important de la part des industriels et de la grande distribution. "Le problème de ces labels, c’est qu’ils prennent des éléments du bio sans le cahier des charges de 360 pages qui va avec et sans l’assurance que cela contribue à l’intérêt collectif. Ils sont l’équivalent de la contrefaçon pour les produits de marque. C’est toujours mieux de consommer l’original que les copies", s’insurge Laure Verdeau. La multiplication des labels brouille l’image du bio et accentue la confusion et même la défiance des consommateurs vis-à-vis du label, l’assimilant à une démarche purement marketing.

La grande distribution réduit son offre

Conséquence, la grande distribution se désengage du bio. Pendant les années fastes, ses enseignes avaient largement contribué à démocratiser le bio, attirant sur ce marché aussi bien de nouveaux consommateurs en quête de produits plus sains et plus sûrs, que de nouvelles marques, allant des petits producteurs aux grands groupes alimentaires, en passant par des PME. Aujourd'hui, elles réduisent leur offre en références bio et se réorientent vers des produits alternatifs (local et circuits courts), moins chers et appréciés des consommateurs. L’Agence Bio estime ce recul à 5% entre janvier 2021 et janvier 2022. Ces choix placent la filière bio dans une situation difficile. À tel point que les trois grandes organisations du secteur ont appelé la grande distribution à l’aide. Dans une lettre ouverte adressée le 28 novembre 2022 aux dirigeants des enseignes Auchan, Carrefour, Casino, Coopérative U, Cora, Intermarché et Leclerc, le Synabio, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) et Forebio s’inquiètent de constater que "de nombreuses équipes auparavant dédiées par vos enseignes à l’offre bio sont démantelées" et "de voir le bio noyé dans des catégories aux contours mal définis." Elles pointent un décalage qui risque d’alimenter le recul de la demande : "Moins les produits bio sont mis en avant, moins les consommateurs sont incités à les acheter. Nous risquons d’entrer dans un cercle vicieux qui pourrait, en quelques mois, mettre en péril des filières entières et compromettre les efforts engagés depuis des années par les pouvoirs publics, les producteurs et les entreprises pour passer en bio". Selon l’IRI, l’offre de produits bio en grande surface a reculé de 7,3% entre janvier et septembre 2022, soit une baisse plus rapide que celle de la consommation (- 5% sur la même période).

Une filière en crise

De fait, c’est toute une filière qui se trouve en difficulté, à commencer par les 58 000 exploitations en production biologique qui redoutent de ne plus parvenir à écouler leurs produits. C’est le cas du groupement Biolait, basé à Saffré en Loire-Atlantique et premier collecteur de lait bio en France (100 salariés, 170 M€ de CA en 2022, 1 300 producteurs) qui a été obligé de déclasser 20 à 30% de son lait bio en lait conventionnel pour l’écouler. "En 2013, nous avons eu 64 nouveaux adhérents, en 2016, 526. Cela a généré un afflux de production qui a surpassé la consommation. Le prix du lait bio est tombé en dessous de celui du lait conventionnel", déplore Ludovic Billard, président de Biolait et producteur de lait dans les Côtes-d’Armor. On retrouve cette casse du côté des enseignes de distribution spécialisées dans le bio, dont les ventes ont reculé de 12% en 2022. "Avec 220 fermetures pour 100 ouvertures, le réseau des magasins spécialistes de la bio a connu, pour la première fois de son histoire, une perte en mètres carrés", souligne Pierrick de Ronne, président de Biocoop, leader de la distribution spécialisée bio.

Communication et pédagogie

Face à la demande qui marque le pas, le premier enjeu de la filière est de stimuler la consommation. "Pendant cinq ans, on a soutenu l’investissement dans l’agriculture bio. Il faut aujourd’hui faire la promotion de ses produits. La France est leader européen en termes de production, mais numéro 2 pour la consommation. Il faut explique, informer, faire de la pédagogie autour du bio et de ses bénéfices collectifs. Plus on informe le citoyen sur le bio et ses vertus, plus il consomme bio", plaide Laure Verdeau, qui juge "insuffisante" l’enveloppe de 750 000 euros allouée par l’État à l’Agence Bio pour mener une nouvelle campagne de promotion. Du côté des enseignes et des producteurs, on joue également la carte de la communication. L’enseigne de distribution la Vie Claire (1 250 salariés, 335 M€ de CA en 2021), basée à Montagny dans le Rhône, va "densifier" ses opérations marketing et de communication pour contrer la baisse de fréquentation dans ses magasins. "Nous devons redonner du sens au bio. Nous avons encore un gros travail de pédagogie à réaliser pour que les consommateurs soient pleinement conscients du choix engagé que peut représenter l’achat de bio", explique ainsi Marion Vitupier, directrice marketing & RSE de la Vie Claire. Le groupement Biolait lance, pour sa part, un logo repère, baptisé "Il Lait là" pour aider les consommateurs à identifier les quelque 200 produits fabriqués à partir de son lait bio (les versions bio des fromages Kiri, Babybel, Vache qui rit, le yaourt Malo…). 800 000 euros ont été engagés pour communiquer sur la démarche, notamment, à travers des spots de publicité télévisés. "Avec notre logo repère, nous envoyons un message aux consommateurs. Nous leur disons qui nous sommes et comment nous travaillons. Nous communiquons sur une agriculture biologique, bien sûr, mais aussi sur une agriculture respectueuse de la biodiversité, pour le bien-être animal et le partage du revenu", détaille Ludovic Billard.

Financer l’agriculture bio

L’autre enjeu pour la filière est d’assurer le financement de l’agriculture biologique dans la politique agricole commune 2023-2027. L’enveloppe de 13 millions d’euros accordée dans le cadre du projet de loi de finances 2023 est jugée très insuffisante, au regard des autres filières agricoles. Dans un rapport intitulé "Le soutien à l’agriculture biologique", présenté en juin 2022, la Cour des comptes a souligné les bénéfices environnementaux et sociaux de l’agriculture biologique, mais s’est inquiétée du retard pris par la France à l’égard de ses objectifs, à savoir 18% de surfaces en bio à l’horizon 2027, contre 10% actuellement. Selon ce rapport, les aides de la PAC sont sous-dimensionnées et "plus du quart des exploitations bio en France ne bénéficient d’aucune aide spécifique de la PAC." Or, la crise de la demande pourrait entraîner un mouvement de déconversion qui se manifeste déjà dans le porc, la volaille et les œufs.

Résilience ?

Les professionnels du bio veulent cependant y croire. Pour eux, cette crise est conjoncturelle. Le bio a des atouts à faire valoir et des relais de croissance. Invitation à la Ferme croit ainsi en son modèle en réseau qui permet de mutualiser les salaires des employés, de réaliser des économies d’échelle sur les achats, de mutualiser la communication… " En 2022, nous avons réussi à n'augmenter que de 4% nos tarifs sur les yaourts et les desserts laitiers, malgré une augmentation de 20% du sucre ou encore de 8 % des emballages. En 2023, nous nous engageons à limiter la hausse des prix à 1,5 % grâce à la force de notre modèle et à la vente en circuits courts. La majorité des points de vente est située à moins de 80 kilomètres des fermes", explique Jean-Michel Péard. Effectivement, et c’est un des éléments positifs du marché du bio, les ventes en circuits courts et en direct résistent bien, voire progressent. "Une ferme bio sur deux vend ses produits en direct. C’est à la ferme que les prix du bio sont imbattables et on est dans la proximité qu’apprécient les consommateurs", souligne Laure Verdeau. Le bio pourrait également trouver des relais de croissance du côté de la restauration collective. Aujourd’hui, 6% de la consommation bio se fait à domicile, 6% dans les cantines alors que la loi Egalim fixe un objectif de 20% et 2 % dans la restauration commerciale. Ce qui laisse des marges de progrès. Enfin, la production bio répond aux enjeux de souveraineté alimentaire, revenue au centre des débats depuis la guerre en Ukraine. "Le mode de production bio, c’est l’avenir. Résilient, moins dépendant des approvisionnements extérieurs, il a un vrai sens économique et écologique", insiste Jean-Michel Péard.

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