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La réforme de l'apprentissage divise régions et patronat
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La réforme de l'apprentissage divise régions et patronat

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L’association Régions de France dénonce la mise en place d’un système à deux vitesses favorisant le développement des CFA pour des formations supérieures au détriment des métiers traditionnels sur les territoires. Les entreprises et les branches professionnelles saluent la libéralisation du système de création des CFA, mais redoutent les réductions budgétaires annoncées.

Au sein des conseils régionaux, on pointe du doigt l’absence de prise en compte des territoires au profit des intérêts des branches professionnelles souvent plus puissantes — Photo : Pressmaster

" Ne touchez pas à l’apprentissage, je vous en supplie ! " C’est le cri du cœur de Christelle Morançais, présidente du conseil régional des Pays de la Loire, qui interpelle depuis des semaines le gouvernement. Si elle salue le travail de la majorité sur les aides apportées aux branches pendant la crise, elle dénonce le projet gouvernemental de réduire le budget des centres de formation des apprentis (CFA) en 2022. " Ce sera dramatique car ils ne pourront plus investir et proposer des formations de qualité ", s’inquiète la présidente de Région. Depuis des mois, cette ardente défenseuse de l’apprentissage condamne la réforme et déplore que le financement des CFA ne soit plus géré par les Régions, mais par l’intermédiaire des branches et en fonction du nombre de jeunes sous contrat. " Cela risque de créer des disparités territoriales. À Saumur il existe par exemple une formation renommée en joaillerie, mais elle n’accueille que 12 apprentis. Que va-t-elle devenir avec ce système qui ne fonctionne qu’en fonction d’une logique quantitative ? ", alerte Christelle Morançais.

Les Régions bataillent

Comme elle, l’ensemble des représentants régionaux pointe du doigt l’absence de prise en compte des territoires au profit des intérêts des branches professionnelles souvent plus puissantes. " La réforme menace le maintien en zones rurales de certaines formations aux métiers rares et à faibles effectifs. C’est inquiétant car l’apprentissage concerne aussi le boulanger, le charpentier, le maçon, le coiffeur… tous ces métiers sont essentiels à la vitalité de nos territoires ", renchérit un conseiller de l’association Régions de France. Dans certaines régions, comme les Pays de la Loire, les formations de type CAP commencent déjà à marquer le pas (- 6 %) au profit des formations de niveau supérieur note-t-on à l’association représentative des régions françaises. " C’est un des autres points négatifs. La réforme va créer un apprentissage à deux vitesses, avec d’un côté une envolée des formations post-bac, et de l’autre une baisse des formations infra-bacs ", alertent les élus régionaux.

Ils regrettent également la façon dont le gouvernement a piloté cette réforme marquée du sceau de la centralité. " Les Régions avaient une visibilité sur l’ouverture des CFA, elles les soutenaient en fonction des besoins des entreprises locales. Désormais, tout est géré au niveau national par les OPCO (opérateurs de compétences, NDLR) qui n’ont pas de connaissance du tissu local ", insiste Christelle Morançais. Pour elle, ce mode de fonctionnement a complexifié les démarches des CFA. " Avant, pour ouvrir, ils n’avaient qu’un seul interlocuteur. Aujourd’hui, ce sont les branches professionnelles qui gèrent les ouvertures… Elles sont réparties en onze catégories, donc onze interlocuteurs différents. C’est devenu compliqué et très administratif ", conclut Christelle Morançais, toujours convaincue néanmoins que l’avenir des jeunes passera par l’apprentissage. Les Pays de la Loire font figure de champions en la matière : grâce au plan de relance lancé en 2016 par la Région, le nombre d’apprentis est passé de 26 700 à 33 100 en quatre ans, soit une hausse de 24 %.

Les entreprises au cœur du dispositif

En revanche, du côté des branches professionnelles, la réforme est accueillie de façon plus enthousiaste. Impliquées dans la construction des diplômes, et chargées de fixer le coût des contrats d’apprentissage, elles sont en effet au cœur du réacteur. Contrairement aux Régions, le Medef se félicite pour sa part de la simplification des règles applicables aux apprentis, de la liberté d’ouverture des CFA, de l’allégement des démarches réglementaires… Même son de cloche au sein de la CPME. " Les entreprises saluent la possibilité de former des apprentis au plus près de leurs besoins et de leur process. Depuis plusieurs années, l’apprentissage représente pour elles un vrai levier de recrutement ", indique Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente chargée de la formation à la CPME. " Mais les inquiétudes sont nombreuses aujourd’hui, particulièrement concernant le financement des CFA. Les branches se sentent dépossédées du sujet, conscientes qu’à terme la baisse des coûts contrats sera préjudiciable au fonctionnement des CFA. "

Ces inquiétudes n’ont pas pour autant freiné les ardeurs de nombreuses entreprises. En 2019, le ministère du Travail a enregistré 554 demandes d’ouvertures de CFA, dont 200 ont été actées, venant s’ajouter aux 965 CFA existant avant la réforme. Ces ouvertures émanent de branches professionnelles, de collectivités, d’organismes de formation, mais aussi d’entreprises de tous secteurs (cuisine, coiffure, services à la personne, environnement, énergie). Le Groupe Nicollin, spécialisé dans la gestion des déchets et le nettoyage industriel, a ainsi créé la N Académie, avec un BTS " Métiers des services à l’environnement ". L’Oréal a ouvert sa première école de coiffure, "Real Campus", Total un campus dédié aux métiers industriels et baptisé "L’Industreet ", Engie son Académie des métiers de la transition énergétique et climatique. Plus récemment, le groupe immobilier Nexity s’est lui aussi lancé avec son CFA " Les apprentis de l’immobilier ". " C’est effectivement une chance pour les entreprises, mais seuls les grands groupes ouvrent des CFA. Les PME ne peuvent pas, les investissements sont trop lourds ", relativise Marie Dupuis-Courtes. La solution pour elles ? Intégrer des CFA de branches pour mutualiser les coûts et former leurs futurs apprentis-salariés.

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