Meurthe-et-Moselle
Grand débat national : « Arrêtons les baisses de charges sur les bas salaires ! »
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Laurent Elles président d’Acrotir Grand débat national : « Arrêtons les baisses de charges sur les bas salaires ! »

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En février 2018, Laurent Elles rédigeait une lettre au président de la République Emmanuel Macron pour attirer son attention sur la situation d’Acrotir, son entreprise de travaux d’accès difficile (40 salariés, CA 2018 : 4 M€), alors fragilisée par les retards de paiement de ses clients notamment. Un an plus tard, le patron de Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, a repris la plume, cette fois pour participer à l’appel à témoignages du Journal des Entreprises, dans le cadre du Grand débat national. Sa proposition : baisser les charges sociales, certes, mais autour du salaire médian, plutôt que du Smic.

Le dirigeant d'Acrotir, Laurent Elles, déplore les allègements de charges sociales sur les bas salaires qui « nivellent par le bas tout le système économique » — Photo : Acrotir Développement

Le Journal des Entreprises : Vous avez participé à notre « Grand débat » des entreprises pour déplorer les politiques de réduction des charges sociales sur les bas salaires. Pourquoi ce système ne vous convient-il pas ?

Laurent Elles : Depuis plusieurs mandats présidentiels, on entend dire que, pour favoriser le retour à l’emploi de ceux qui en sont le plus éloignés, il faut miser sur les contrats aidés ou la réduction des cotisations sociales pour ceux qui sont sur une base horaire au Smic. Mais inciter toujours à faire le minimum de charges sur les salaires les plus bas n’aide pas une population à s’élever. Au contraire, un tel système maintient en permanence un maximum de personnes dans les tranches de revenu les plus basses.

Pourquoi ? Parce que l’on se retrouve confronté à des niveaux de seuil, qu’il est très difficile de franchir pour une entreprise. Les employeurs ne veulent pas augmenter leurs salariés, y compris ceux qui mériteraient de progresser, pour ne pas avoir à payer des charges plus élevées. À la place, ils cherchent mille et une façons d’attribuer une rémunération cachée, sous forme de paiements de frais, par exemple. Mais ces compensations ne sont pas représentatives de la valeur du travail de la personne et, à terme, elles sont désavantageuses pour l’individu, comme pour la société, parce qu’il ne cotise pas pour les retraites. Autrement dit, les gouvernements successifs ont mis en place un dispositif plus ou moins pernicieux qui nivelle par le bas tout le système économique. Je trouve ces effets pervers néfastes pour l’évolution, l’éducation et l’élévation des salariés, mais aussi pour l’attractivité d’une activité.

Est-ce une situation que vous rencontrez au sein d’Acrotir ?

L. E. : Bien sûr, même si notre niveau de salaire est au-dessus du Smic. Si j’embauche une personne à 1 500 euros bruts et une autre à 1 800, le second ne va pas gagner 300 euros de plus que le premier. L’écart de salaire net entre les deux sera extrêmement réduit, de l’ordre de 150 euros et ce, alors même que son collègue apporte un niveau de compétences ou de productivité parfois beaucoup plus limité. D'autant plus que l'un bénéficiera de la prime d'activité et d'une exemption d'impôt sur le revenu... Or, l’entreprise se repose généralement sur le mieux payé des deux pour en faire un chef d’équipe, un référent, etc. Mais que va me dire ce salarié ? « Moi, pour 100 euros de plus que mon voisin, je dois assumer toutes les responsabilités, les problèmes, les tâches supplémentaires… je mérite plus que lui. » C’est vrai, mais ce n’est pas de mon fait  ! C’est le système qui est bâti ainsi  : pour 150 euros supplémentaires qui vont dans sa poche, ce salarié me coûte 1 000 à 1 500 euros de plus que son collègue, si je prends en compte les charges et les frais.

« Faire le minimum de charges sur les salaires les plus bas n’aide pas une population à s’élever, bien au contraire.  »

On en est donc arrivé au point où certains me disent : « Ce n’est plus la peine d’aller au boulot ». C’est pourquoi il faut trouver un moyen de créer progressivement, pour ces employés-là, un écart de salaire significatif entre eux et le bas de l’échelle ; écart qui récompenserait leurs compétences et leur niveau d’investissement.

Quelle est votre proposition pour y parvenir ?

L. E. : Il faut rééquilibrer la balance. Pour ce faire, il est préférable, non pas d’avoir un système dégressif qui parte de 100 % de réduction de charges vers zéro, au fur et à mesure de l’élévation du salaire, mais plutôt de suivre une courbe en U. L’idée serait une réduction de charges progressive pour les salaires bas jusqu’au salaire médian. Passé ce seuil, plus on irait vers des postes supérieurs, plus on retrouverait le schéma normal des charges. De cette manière, l’entreprise aurait tendance à tirer tous ceux qui ont des compétences vers ces revenus médians, plutôt que de les laisser à des niveaux de rémunérations faibles. Bien sûr, pour les personnes réellement éloignées de l’emploi, on conserverait la réduction des cotisations sociales sur les bas salaires.

Que changerait cet allègement des cotisations autour du salaire médian ?

L. E. : J’y vois deux avantages. Un, ce système améliorerait le pouvoir d’achat des salariés. Deux, il permettrait aux entreprises de faire évoluer tous ceux qui en ont la capacité. Si l’employeur peut continuer à baisser ses charges en montant les compétences de la personne, il aura tendance à faire progresser tous ceux qu’il peut. On remet de la compétence et de la compétitivité réelle au niveau du personnel. On répond donc aussi à un enjeu de formation. Car c’est en acquérant des compétences que les salariés gagnent en autonomie et sont en capacité de proposer plus de services, d’apport technique et de valeur ajoutée à leur entreprise.

« Nous, entreprises, nous n’arrivons plus à faire entrer la classe moyenne dans nos grilles d’évolution et de salaires.  »

Sinon, que se passe-t-il ? Les gens les plus compétents démarrent à des salaires tout de suite plus élevés, et puis il y a tous les autres. Entre les deux, on n’a plus personne. Ceux qui sont au « milieu inférieur » vont gagner 50 euros de plus que leurs collègues en bas de l’échelle, alors que, dans le même temps, la marche du dessus est tellement haute à franchir qu’ils se disent : « Je n’y arriverai jamais. » Du coup, on se retrouve avec des gens frustrés, en colère ou qui génèrent des situations sociales complexes. Voilà comment le fossé se creuse. C’est tout le problème que l’on retrouve dans la société, avec cette classe moyenne que nous, entreprises, n’arrivons plus à caler dans nos grilles d’évolution et de salaires.

Dans le cadre du Grand Débat national, Le Journal des Entreprises donne la parole aux dirigeants d'entreprise.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Il y a tout juste un an, vous écriviez un courrier au président de la République Emmanuel Macron, dans lequel vous vous plaigniez des retards de paiement, de la frilosité des banques et de la toute-puissance des sociétés privées d’assurance-crédit. Pourtant, vous n’avez mentionné aucun de ces problèmes dans votre contribution au Journal des Entreprises

L. E. : Si vous me demandiez ce que j’aimerais par dessus tout faire changer dans la vie des entreprises, je vous répondrais effectivement : le vrai respect des délais de paiement. Ces 18 derniers mois, chez Acrotir, nous sommes passés de 74 jours en moyenne, à plus de 110. En réalité, le problème vient moins du délai de paiement que de celui de prise en compte de la facture. Il a explosé. D’un côté, nos clients du privé changent leurs règles tous les trois mois. De l’autre, le public nous impose des procédures extrêmement lourdes de paperasse. Et puis maintenant, en plus, nous devons nous adapter à la digitalisation, aux changements de plate-forme, les erreurs de saisie, les gens qui ne savent pas, les bogues informatiques… Tout cela complexifie énormément les choses.

Dans une interview que vous nous accordiez l’an passé, vous déclariez : « Je préférerais qu’on baisse les impôts et les charges, mais que les entrepreneurs n’aient droit à aucune subvention.  » C’est aussi une proposition que vous pourriez porter au Grand débat ?

L. E. : Ce serait bien plus simple en effet. Si les pouvoirs publics me disaient dès le départ : « Au lieu de vous prendre 100 d’impôt, on vous en retient 50 et après, vous vous débrouillez », nous serions beaucoup plus opérationnels qu’aujourd’hui, où le discours est : « On vous prend 100, mais vous avez le droit d’en demander 50, en faisant une demande de subvention ».

J’ai fait le compte un jour : ça nous a coûté 400 heures pour monter un dossier, qui s’est ensuite traduit par un contrôle fiscal. Pendant ce temps-là, nous ne travaillons pas pour nos clients. Et je n’ai pas inclus au calcul les dizaines d’heures passées par les agents administratifs sur le dossier en question, pour le saisir, regarder, photocopier, envoyer, rectifier, valider, annoter, transférer, etc. Bref, on balade des dossiers à droite, à gauche, en dessous, au-dessus… Alors, oui, il faut du suivi, mais à partir du moment où la demande est validée par l’administration et que le fisc émet un accord de paiement, je ne vois pas pourquoi on doit subir un troisième contrôle, juste pour dire : « Tout va bien, on est content, les deux premiers ont bien travaillé.  » Par moments, on marche sur la tête.

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