Fusion absorption : les acquéreurs désormais pénalement responsables des sociétés acquises
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Fusion absorption : les acquéreurs désormais pénalement responsables des sociétés acquises

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Désormais, en cas de fusion-absorption ou de transmission universelle de patrimoine, la société absorbante est responsable pénalement des infractions commises par la société absorbée avant l’opération.

Photo : Fotolia

Lors du rachat d’une entreprise, l’entreprise qui absorbe une autre entreprise peut se trouver juridiquement exposée en cas d’infractions commises par la société absorbée. Si ce n’était pas le cas jusqu’à présent, un arrêt du 25 novembre dernier de la chambre criminelle de la Cour de cassation a changé la donne. Cette nouvelle jurisprudence, qui permet de condamner les sociétés absorbantes à des sanctions patrimoniales, soit des amendes, s’applique aussi bien aux sociétés anonymes qu’aux sociétés par actions simplifiées pour les seules opérations conclues après le 25 novembre 2020. Pour se prémunir d’éventuelles sanctions, les entreprises doivent « justifier les actes juridiques et expliquer les objectifs qu’elles poursuivent », commente Vincent Richard, avocat en droit pénal des affaires au sein du cabinet Lamy Lexel basé à Lyon.

Jusqu’à la dissolution de l’entreprise

En revanche, en cas de fraude avérée, c’est-à-dire si la fusion a pour but de « faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale », la rétroactivité est possible, et toute opération, même antérieure au 25 novembre 2020 peut être concernée. Vincent Richard regrette que la Cour de cassation ne décrive pas la fraude en question. « La jurisprudence viendra définir cette notion mais il est probable que celle-ci soit caractérisée comme celle qui ne poursuit aucun objectif économique mais uniquement la volonté d’échapper à une sanction pénale. En attendant, il y a une insécurité juridique car les avocats ne peuvent que conseiller les chefs d’entreprise sur la base du droit qu’ils connaissent. »

Certains cas sont particulièrement à risque. Notamment lorsque des transmissions universelles de patrimoine (TUP) ont été faites antérieurement au 25 novembre dans le seul but de mettre un terme à des poursuites pénales, en s’appuyant sur la jurisprudence antérieure. Le risque tient surtout à la rétroactivité qui existe désormais en cas de fraude. « Or, les TUP sont généralement peu justifiées – dans ce cas une décision de l’associée unique suffit – et si une procédure pénale était en cours au moment de l’opération, la fraude sera facile à démontrer pour l’accusation » relève Vincent Richard.

"Si le risque patrimonial peut être anticipé par un audit et pris en charge dans le cadre de garanties, ce n’est pas le cas pour le reste des sanctions pénales. Il y a un risque pour toutes les opérations réalisées ces derniers mois"

En revanche, il y a moins de risque pour des fusions entre des sociétés de différents groupes. « Généralement, une telle fusion obéit à des objectifs économiques ou opérationnels qui sont décrits dans le traité de fusion. La fraude sera ainsi plus difficile à démontrer », poursuit Vincent Richard. En cas de fraude avérée, toutes les formes juridiques sont concernées et l’entreprise absorbante n’encourt pas seulement une peine patrimoniale mais toutes sortes de sanctions pénales. A savoir : la publication de la décision, l'interdiction d'émettre des chèques, et de percevoir une aide publique, l'exclusion des marchés publics, le placement sous surveillance judiciaire, la peine de confiscation, la fermeture des établissements, l'interdiction d'exercer l’activité concernée, voire la dissolution de l’entreprise dans les cas les plus extrêmes. Ce, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus.

Justification économique

« Si le risque patrimonial peut être anticipé par un audit et pris en charge dans le cadre de garanties, ce n’est pas le cas pour le reste des sanctions pénales. Il y a un risque pour toutes les opérations réalisées ces derniers mois, d’autant plus s’il y avait des enquêtes pénales en cours. C’est très violent car cela peut aller très loin », expose Vincent Richard, et ce, même si la société absorbante n’y est pour rien. Pour s’en prémunir et échapper à la rétroactivité, le chef d’entreprise a intérêt à rédiger un traité de fusion justifiant des objectifs économiques poursuivis par l’opération : perte d’activité, synergie, activité complémentaire, etc.

« Il doit motiver l’opération par des éléments financiers, économiques, stratégiques, d’organisation, qui permettent de justifier du fait que celle-ci n’a pas été guidée par la simple volonté de se soustraire à la responsabilité pénale », ajoute Vincent Medail, avocat au sein du département corporate, fusions-acquisitions du cabinet Lamy-Lexel. Ce dernier se montre finalement partisan du principe de précaution et conseille de renoncer à certaines opérations pour ne pas faire courir le risque à la société absorbante de subir les conséquences du contentieux pénal et, plus globalement, d’entacher son image. « Mieux vaut parfois garder une filiale et cantonner la sanction pénale à cette dernière. Cette nouvelle jurisprudence risque très clairement de freiner les opérations en cours ou à venir ».

Mettre fin à des abus et à des fraudes

Auparavant, le principe fondamental posé par l'article 121-1 du Code pénal qui veut que « nul n'est responsable que de son propre fait » et les règles pénales correspondantes aux personnes physiques, à savoir que « le décès du prévenu entraîne l'extinction de toute poursuite pénale » étaient appliqués. De la même manière que la mort du prévenu éteignait l’action publique, la dissolution légale ou l’absorption d’une entreprise était assimilée à sa disparition et annulait les poursuites contre ladite société. « Cette règle simple et cohérente par rapport au droit français classique sur les personnes physiques donnait lieu à un certain nombre d’abus et de fraudes. Notamment dans le cadre de filiales où il était courant de dissoudre le patrimoine d’une entreprise et d’effacer les charges pénales », reconnaît Vincent Richard.

Harmonisation européenne

Ce revirement de jurisprudence a également été motivé par la volonté de s’aligner sur la règlementation européenne – Cour européenne des droits de l’homme et Cour de justice de l’Union européenne qui avait rendu un arrêt en ce sens en 2015. Selon elle, une opération de fusion-absorption transmettait à la société absorbante l’obligation de payer une amende infligée pour des infractions commises par la société absorbée avant ladite opération, arguant qu’« une personne morale peut changer de

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