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François Perret (Pacte PME) : "Il n'y aura pas de grand soir des relocalisations en France"
Interview France # Industrie # Prospective

François Perret directeur général de Pacte PME "Il n'y aura pas de grand soir des relocalisations en France"

La crise du coronavirus a révélé la dépendance de l'économie française vis-à-vis de l'étranger. Mais la France a-t-elle vraiment les capacités de relocaliser son outil productif pour retrouver sa souveraineté économique ? Directeur général de Pacte PME, une association qui cherche à faciliter les relations entre PME et grands groupes publics et privés, l'économiste François Perret croit en la réindustrialisation de la France, mais sur le long terme.

François Perret, directeur général de l'association Pacte PME, qui cherche à faciliter les relations entre PME et grands groupes publics et privés — Photo : DR

Relocaliser, cela semble une évidence aujourd'hui. Pourtant, cela n'a pas toujours été le cas. Il y a vingt ans, le patron d'Alcatel vantait le modèle du "fabless", l'entreprise sans usine. En quoi est-ce important de réindustrialiser la France ?

Les conséquences de la désindustrialisation de la France ont pu être mesurées. En vingt ans, la France a perdu entre 1,5 et 2 millions d'emplois. Notre balance commerciale, qui était jusqu'alors positive, est devenue systématiquement déficitaire depuis 2003. À ces éléments s'ajoute une prise de conscience des effets sociaux et territoriaux de la désindustrialisation. Belfort touché par les délocalisations d'Alstom, Lannion marqué par les suppressions de postes de Nokia, le Pas-de-Calais et la Moselle impactés par les fermetures d'activités d'Arcelor : certains territoires ont subi de plein fouet les dommages de la perte de lignes de production. Cela s'est concrétisé par un appauvrissement durable des villes moyennes et par l'accélération d'un phénomène de désertification.

"En 2021, il est plus facile de porter les couleurs du made in France que deux décennies auparavant."

Une situation qui contraste avec notre gloire industrielle d'antan. En décembre 1971, Georges Pompidou voyageait pour la première fois avec le Concorde. Le même mois, sortait des ateliers Alstom de Belfort le premier prototype de TGV. À cette époque, on avait l'impression que tout réussissait à la France et que cette spirale vertueuse était alors liée à des succès industriels. Depuis les années 2000, on assiste à l'inverse à la multiplication des dépeçages de fleurons industriels : Péchiney en 2003, Arcelor en 2006, Alstom Énergie en 2014, Technip en 2017. Au niveau politique, il existe une volonté aujourd'hui de retrouver cette fierté industrielle. D'autant qu'avec la crise sanitaire, nous nous sommes rendu compte avec horreur que nous ne produisions pas suffisamment de masques en France, que certaines usines stratégiques ne pouvaient fonctionner faute d'approvisionnement.

Mis bout à bout, ces éléments ont généré une prise de conscience. Les scénarios alternatifs imaginés il y a 15 ou 20 ans, notamment ceux qui soutenaient que les services allaient prendre le relais de l'industrie, ont fait long feu. En 2021, il est plus facile de porter les couleurs du made in France que deux décennies auparavant.

Le Covid a donc plus d'impact que la marinière d'Arnaud Montebourg…

Arnaud Montebourg portait bien la marinière et cela s'accompagnait de convictions et de prises de parole assez fortes. Il n'a d'ailleurs pas été le seul à porter la marinière sur le plan symbolique. Les réflexions sur la réindustrialisation ont été engagées au début des années 2010, avec les premiers rapports sur la compétitivité, en particulier le rapport Gallois.

Mais nous avons plus de chances aujourd'hui de voir le mouvement de réindustrialisation s'installer parce que tous les Français ont été sous le choc de la crise sanitaire. Ils ont pris conscience qu'on ne fabriquait quasiment plus de masques et de moins en moins de médicaments en France. Pour la première fois, ce sujet va pouvoir s'installer dans une trajectoire assez durable.

Pourtant les freins à la relocalisation persistent. Quels sont-ils selon vous ?

Les raisons qui présidaient aux délocalisations il y a vingt ans n'ont pas disparues. Les industriels avaient délocalisé, d'une part, pour baisser leurs coûts et, d'autre part, pour se rapprocher des marchés locaux. En 2021, le contexte n'a pas fondamentalement changé. Les grands donneurs d'ordres et les entreprises du Cac 40, qui ont divisé par deux leurs bénéfices l'an dernier, ont toujours une pression extrêmement élevée sur leurs coûts. Cela ne les pousse pas à procéder à des modifications onéreuses de leurs chaînes d'approvisionnement et de fabrication, donc à amorcer un mouvement de relocalisation. D'autant plus que la dynamique commerciale a plutôt basculé vers la Chine et, dans une moindre mesure, vers les États-Unis, dopés par le plan de relance du président Joe Biden. Avec la crise sanitaire, l'Europe n'a pas marqué de points et risque de décrocher davantage encore.

"La capacité des consommateurs à payer le prix d'une fabrication locale constitue l'un des principaux freins aux relocalisations."

En conséquence, lorsqu'on interroge les dirigeants d'entreprise sur leurs intentions de relocalisation, comme l'a fait le cabinet EY, on constate que la donne évolue. Mais pas à la faveur des relocalisations. Fin 2020, un tiers des chefs d'entreprise n'envisageait pas de changements majeurs dans sa chaîne de production. Ils n'étaient que 2 % dans ce cas au printemps 2020.

Qu'en est-il des consommateurs ? Sont-ils prêts au made in France ?

La capacité des consommateurs à payer le prix d'une fabrication locale constitue l'un des principaux freins aux relocalisations. Pourtant, les Français ont constitué des réserves d'épargne – 110 à 120 milliards d'euros - durant la crise sanitaire. Peut-être que ces réserves pourront générer une consommation supplémentaire et des habitudes de consommation différentes, susceptibles de favoriser l'achat local. Mais je pense que le consommateur français va continuer à faire un arbitrage entre la préservation de son pouvoir d'achat et la qualité présumée liée au made in France. À court terme, il n'y a pas de raison d'espérer de vraies évolutions dans le comportement d'achat des Français.

Si les industriels et les consommateurs ne poussent pas dans le sens des relocalisations, la réindustrialisation de la France ne serait-elle qu'un vœu pieux ?

Tout n'est pas perdu ! À moyen terme, l'égalisation des coûts salariaux entre les différentes zones économiques sera décisive. Il y a une aspiration à l'augmentation du niveau de vie dans un certain nombre de pays émergents, en particulier en Chine. Il deviendra alors moins intéressant pour un industriel de délocaliser sa production. C'est un mouvement sur vingt ou trente ans, il ne faut donc pas en attendre des conséquences immédiates.

"Sur le moyen terme, la robotisation va peser en faveur du made in France."

L'élément le plus déterminant dans le mouvement de relocalisation, c'est la robotisation. Problème : la France accuse un retard assez important en la matière. La dernière étude de l'International Federation of Robotics montre que l'Hexagone compte 177 robots pour 10 000 salariés, là où le Japon en dispose de 364 et l'Allemagne de 346. La bonne nouvelle, c'est que la tendance s'améliore. Sur la seule année 2019, le parc de robots en France a augmenté de 15 %. Cela s'explique en partie par la mise en place d'incitations fiscales depuis janvier 2019 pour les PME qui investissent dans la robotique. On retrouve cette approche dans le plan de relance. Une partie des 40 milliards d'euros dédiés à la modernisation de l'appareil productif vise à aider les entreprises à se numériser et à se robotiser. Sur le moyen terme, la robotisation va peser en faveur du made in France.

Le robot qui sauve l'emploi industriel tricolore : le message ne sera pas simple à faire passer sur le plan social…

La robotisation va détruire des emplois, mais va en créer d'autres. C'est la fameuse destruction créatrice de Schumpeter. Des emplois moins qualifiés vont continuer de disparaître. Mais il faut aussi programmer les robots, les entretenir, etc. Un véritable défi pour l'enseignement supérieur et la formation continue, car les emplois vont changer de nature.

Dans quelles mesures les aides publiques peuvent-elles favoriser les relocalisations ?

Seules 6 % des entreprises qui avaient relocalisé une activité en France entre 2005 et 2013 ont bénéficié d'une aide publique. Le moteur de la relocalisation n'est certainement pas l'aide publique. On peut même dire que ces aides provoquent un certain nombre d'effets d'aubaine.

Mais à partir du moment où l'aide publique incite à moderniser l'appareil productif, elle peut constituer un terrain favorable à la relocalisation. Ainsi, l'annonce de la baisse des impôts de production de 20 milliards d'euros en deux ans va enlever une épée de Damoclès au-dessus de la tête des entrepreneurs, en réduisant l'écart de compétitivité avec nos voisins européens. Il reste encore du travail à faire au niveau fiscal, mais le gouvernement a été courageux sur ce sujet, sachant que l'impôt sur les sociétés est, lui aussi, sur une tendance baissière.

Dans ce contexte, pensez-vous que les relocalisations sont vraiment possibles ?

Relocaliser, c'est possible. C'est un travail de longue haleine qui suppose un environnement fiscal et administratif favorable. Mais il n'y aura pas de grand soir des relocalisations et de la réindustrialisation. Les choses ne vont pas se faire en un claquement de doigts. C'est un mouvement de moyen et long termes. Il faut donc installer le débat et l'action dans la durée, avec une continuité de la pensée politique et économique d'un quinquennat à l'autre. Ce qui est encourageant, c'est que, depuis une dizaine d'années, la doctrine économique française présente davantage de constance que lors des décennies précédentes.

Voyez-vous poindre le début d'un mouvement de relocalisations ?

Pour la première fois, en 2019, le nombre d'usines ayant ouvert leurs portes a été supérieur au nombre de fermetures. C'est un indicateur de vitalité industrielle, même si le nombre d'emplois créés par ces nouvelles usines a été inférieur au nombre d'emplois détruits par les usines fermées. Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact des mesures incitatives mais la robotisation et la numérisation de l'industrie française sont en marche. On peut en espérer davantage de compétitivité, davantage d'innovation et donc une certaine forme de reconquête industrielle.

"L'industrie en 2021 ne doit pas ressembler à celle de 1975."

La France peut-elle regagner les 1,5 à 2 millions d'emplois industriels perdus ces dernières décennies ?

Cela va dépendre de beaucoup de facteurs. D'abord, le Brexit peut contribuer à replacer la France au centre du jeu dans le cadre d'une alliance plus marquée avec l'Allemagne pour faire émerger de nouveaux champions européens. Mais une vraie politique industrielle européenne suppose que les pays de notre continent arrêtent de se considérer d'abord comme des concurrents. Ensuite, la France devra réussir à organiser les transitions entre les secteurs d'activité à la peine et ceux qui vont être créateurs d'emplois industriels. La réindustrialisation dépendra aussi de notre capacité à retrouver des marges de manœuvre sur le plan budgétaire pour poursuivre la politique d'allégement fiscal.

Enfin, il nous faut travailler sur l'élévation de nos niveaux de qualification. Il ne doit plus y avoir autant de jeunes sortant de l'école sans diplôme. Formons ceux qui seront aux commandes de l'industrie de demain. Et j'espère que la réindustrialisation se construira autour d'un nouveau modèle d'entreprise, plus vertueux, plus collaboratif, qui associe davantage les salariés aux résultats et aux décisions. Il ne faut pas regarder l'industrie en 2021 comme si elle devait ressembler à celle de 1975 : le modèle industriel de demain devrait être plus propre, avec une forte dimension environnementale, mais aussi plus vertueux, avec une meilleure collaboration entre les entreprises de toutes tailles et, au sein des entreprises, entre employeurs et salariés.

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