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Exclusif : Le plan choc du groupe Dubreuil pour relancer Corsair
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Exclusif : Le plan choc du groupe Dubreuil pour relancer Corsair

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Le groupe Dubreuil veut faire redécoller Corsair, compagnie aérienne que le Vendéen est en train de racheter. Déjà propriétaire d’Air Caraïbes, compagnie française la plus rentable, Paul Henri Dubreuil nous dévoile son plan choc pour redresser l’entreprise. Entretien exclusif.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Paul-Henri Dubreuil. Vous venez d’annoncer le rachat de la compagnie Corsair, qui devrait vous donnez 50% de parts de marché sur les liaisons entre la métropole et les Antilles. Cela fait plusieurs années que vous discutez ensemble. Qu’est-ce qui bloquait le projet ?
Cela faisait trois ans qu’on discutait avec eux. Mais Corsair essuyait de lourdes pertes depuis au moins 2009. On estimait qu’il y avait quand même des efforts substantiels à faire pour qu’elle réduise ses pertes, qu’elle allège son bilan et revoit ses demandes à la baisse. Ce que le groupe TUI, l’actionnaire, a finalement accepté de faire.

L’autre souci était la sortie des Boeing 747 de la flotte de Corsair, des appareils qu’on ne voulait pas reprendre. Sachant qu’ils sont aujourd’hui en fin de carrière et très consommateurs de carburant. L’accord prévoit que TUI nous loue les avions, puis les reprenne avant de les envoyer à la casse. Au total, la compagnie possède aujourd’hui trois Boeing 747 et quatre Airbus A 330, avions similaires à ceux d'Air Caraïbes.

La baisse du pétrole a aussi été un élément déclencheur. Car atteindre la rentabilité de l’entreprise est impossible avec des avions qui consomment énormément de carburant avec un baril de pétrole à 110 dollars. La donne a aujourd’hui changé, le baril était à 60 dollars en février.


Apparemment Corsair a aussi fait des efforts…
Tout à fait. Corsair a aujourd’hui trouvé ses marchés. Elle affichait 85% de taux de remplissage sur l’ensemble de ses lignes en 2014. Clairement, c’est devenu un compétiteur sérieux. Ils se sont recentrés sur des grosses destinations, un peu comme nous, vers ce qu’on appelle des destinations « millionnaires », c’est-à-dire à plus d’un million de passagers par an. Ils ont fermé certaines lignes comme Miami et se sont concentrés sur l’Océan Indien et l’Afrique, où ils ont des parts de marché fortes : 24% de parts de marché sur La Réunion, 43% sur le Sénégal etc.



Alors qu’Air Caraïbes gagne de l’argent, Corsair a subi de lourdes pertes. À quel horizon pensez-vous pouvoir réussir à redresser la barre ?
Le groupe vise un retour à la rentabilité de Corsair dès les 12 premiers mois suivant la reprise. Et donc sur 2016 pour une profitabilité sur un exercice complet, en année civile pleine.


Comment allez-vous faire pour redresser Corsair ?
On estime qu’on pourra faire mieux très vite pour trois raisons. Parce qu’on a renégocié les loyers d’avions avec TUI à un niveau plus raisonnable. Et parce que les cours du pétrole et du dollar ont chuté, ce qui nous donne une bonne visibilité sur 2015 et 2016.

Le groupe a mis en place des systèmes de couvertures sur 2015. Concrètement, j’achète x tonnes de carburant à un prix bloqué à un instant T. Si ensuite les cours montent vous gagnez, s’ils baissent vous perdez. Pour résumer, on a acheté le pétrole pour l’année qui vient. Idem pour le dollar. Sur un an, on aura une parité avec l’euro qui nous permettra de raisonnablement gagner de l’argent sur Corsair.

Vous gardez toutes les destinations de Corsair : Antilles, Afrique, Océan Indien, Québec ?
L’idée générale c’est qu’on ne change rien au niveau des destinations actuellement desservies. Le point commun des deux compagnies sera l’actionnariat du groupe Dubreuil, en l’occurrence 100% dans les deux cas. Corsair et Air Caraïbes deviendront deux compagnies sœurs, qui resteront concurrentes sur les liaisons antillaises. À nous de bien organiser la concurrence, pour qu’on ne se trompe pas d’ennemi. Notre concurrent, c’est plutôt Air France.



Que pèse aujourd’hui Air Caraïbes ? 2014 sera-t-elle bonne en termes de résultats ?
Air Caraïbes emploie 890 salariés et génère 350 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les comptes de 2014 ne sont pas arrêtés mais, en termes de résultat, on sera sur une très bonne année. (NDLR : le résultat net s’élevait à 8,8 M € en 2013, après participation, intéressement et forfait social)



Vous formerez demain le deuxième groupe aérien français ?
Oui. Mais il faut relativiser, car on reste très loin derrière Air France qui génère 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires. A côté, avec Corsair, notre pôle aérien pèsera 830 millions d’euros.

Ceci dit, c’est peut-être un peu prétentieux, mais il faut souligner qu’on est la seule compagnie de transport aérien rentable en France. On voit bien qu’Air France a du mal à se sortir de ses difficultés actuelles. Et si l’on regarde juste après, il y a un certain nombre d’acteurs qui réalisent entre 200 et 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces compagnies sont quasiment toutes en mauvaise santé.


Comment comptez-vous garder durablement Corsair dans le vert ?
Grâce notamment à une hausse de la productivité globale de l’entreprise de 15%, sur plusieurs années. C’est ce qu’on a indiqué au comité d’entreprise de Corsair.

Après l’éclaircie liée à la baisse du dollar et du prix des carburants, l’arrivée des A350 va être une petite révolution. Le premier arrivera fin 2016. Notre flotte devrait en compter 11 à horizon 2024. Ces avions consommeront 25% de kérosène en moins. Certes ils coûtent plus cher à l’achat, mais ils devraient apporter 10% de productivité en plus par rapport aux appareils qu’ils remplacent. Le groupe a déjà commandé six Airbus A350, trois en location, trois à l’achat. Il vient d’ajouter trois options pour louer trois appareils supplémentaires et faire l’acquisition de deux autres à l’avenir.

Nous allons aussi actionner d’autres leviers. D’abord, la filialisation de la maintenance. Le groupe Dubreuil propose en effet un partenariat industriel avec un spécialiste de la maintenance, qui reprendrait les mécaniciens de Corsair, pour demain entretenir nos avions, mais aussi les avions d’autres compagnies. Il faut savoir qu’il y a 200 mécaniciens chez Corsair. Parce que les Boeing 747 sont de vieux avions, ils ont besoin de beaucoup de maintenance. Demain avec des Airbus A350, il faudra quasiment quatre fois moins d’entretien par appareil. Plutôt que d’attendre d’être en sureffectif en 2017, nous préférons anticiper.

Le groupe Dubreuil va procéder de la même façon pour les services d’assistance aéroportuaire à Orly (NDLR : les espaces d’enregistrements, etc.) Les effectifs consacrés à cette activité devraient être là aussi basculés chez un prestataire dont c’est le métier. Ils travailleront pour Corsair, peut-être pour Air Caraïbes, mais pas que. Il faut rappeler que pour ces deux types d’opération, la maintenance-réparation et l’assistance aéroportuaire, Air Caraïbes fait déjà appel à des prestataires extérieurs.



Air Caraïbes n’a pas de mécaniciens ?
Non. Une compagnie aérienne c’est quoi ? Pour nous c’est faire voler des avions et fidéliser des clients. Notre vocation n’est pas de réparer des appareils. L’entreprise qui entretient ceux d’Air Caraïbes traite environ 800 avions au total. Donc évidemment, ils ont des réacteurs d’avance, ils ont beaucoup de stock de pièces Au contraire, quand vous êtes tout seul dans votre coin vous n’avez jamais la bonne pièce, ou alors il faut des montagnes de stock qui coûtent une fortune. Regardez les transporteurs routiers, il y en a de moins en moins qui ont leurs mécaniciens. On ne peut pas se permettre d’être sur tous les métiers sauf à être un mastodonte, comme Air France.

Ces salariés quitteront donc le groupe ?
Le groupe ou l’une de ses compagnies aériennes pourra être actionnaire de cette société, mais pas forcément. Il y aura, en effet, un déplacement d’effectif, mais notre engagement c’est que les salariés soient intégralement repris dans cette nouvelle structure de maintenance.


Vous avez affirmé qu’il n’y aurait pas de plan social, mais les syndicats s’inquiètent des doublons générés. Ils craignent aussi que la création annoncée d’une troisième société, destinée à gérer les futurs A350, tire les salaires et conditions de travail vers le bas…
Je le répète, il n’y aura pas de plan de social. Mais c’est un dossier compliqué, si ce n’était pas le cas, il y aurait eu d’autres acquéreurs. On veut remettre les équipes en mouvement et qu’elles soient prêtes à changer leurs habitudes.

La nouvelle structure, au nom de code CTA 350, n’est pas une compagnie aérienne en tant que telle. Elle détient CTA, ou certificat de transport aérien. Il n’y a rien de nouveau pour nous. On fonctionne déjà sur ce modèle. Le groupe possède, en effet, deux sociétés : Air Caraïbes, la compagnie aérienne, plus Air Caraïbes Atlantique, qui fournit les pilotes et les hôtesses, produit des heures de vol pour le compte d’Air Caraïbes. On a lancé cela dès la création d’Air Caraïbes (NDLR : construite à partir du rachat d’Air Guadeloupe il y a une dizaine d’années) et on s’en félicite. C’est ce qui nous a permis de partir d’une feuille blanche, d’avoir des conditions de travail qui sont bonnes, sans tomber dans la surenchère.
Chez Corsair il y a eu des empilages successifs d’accords et d’acquis sociaux, notre projet vise à remettre l'entreprise en mouvement. Ce qui plait moyennement aux syndicats.



Cela veut donc dire moins d’acquis sociaux fatalement ?
On aura des conditions de travail plus logiques. Nos pilotes chez Air Caraïbes Atlantique ne sont pas malheureux, il n’y en a pas un qui a démissionné depuis la création il y a dix ans. Avec l'A350, on aura un avion moderne, il faut adapter les conditions de travail au contexte international. Si les compagnies françaises ne sont plus compétitives, elles disparaîtront. Il ne restera plus que des géants comme British Airways, ou bien des sociétés low-cost.

Il y a cinq comités d’entreprise prévus d’ici juin, il faut que les gens nous écoutent présenter notre projet de long terme. Après ils peuvent ne pas adhérer, ils ont le droit de grève, bien entendu. Je pense que le changement fait peur, parce qu’on est sur des métiers très figés avec des acquis importants, des niveaux de rémunération très élevés pour les personnels navigant et pilotes. Ils ont peur qu’on touche à leurs acquis mais, à un moment donné, il y a aussi une compétition mondiale. Donc il faut vivre avec son époque.

Il faut aussi rappeler que les salariés Corsair ne nous connaissent pas. Ils sont très suspicieux aussi parce que leur actionnaire précédent, et même ceux d’avant, leur ont toujours un peu menti sur les résultats, ont toujours embelli la réalité. Bon, nous, on dit la vérité : vous perdez de l’argent depuis 10 ans, ce n’est pas par hasard. On ne peut pas continuer comme ça. Il n’y a pas que l’effet d’aubaine, pétrole et dollar, qui doit jouer, il y a une vraie réforme de fond à faire.


La nouvelle entité chargée de gérer les nouveaux Airbus, avec ses pilotes et personnels navigants, sera amenée à grossir et à absorber les autres ?
Non parce qu’on gardera des A330, pour les petites liaisons comme l’Afrique, comme Saint Martin ou Cayenne, où vous n’avez pas forcément besoin de très gros avions. Air Caraïbes Atlantique et Corsair conserveront donc la gestion de leurs A330. On ne sait pas si on en gardera trois ou neuf en 2024. Mais ce qui est sûr c’est qu’on en aura encore. Bien sûr, on proposera aux gens de Corsair et d’Air Caraïbes de venir dans cette structure. Après, ils peuvent faire le choix de ne pas y aller.

Vous allez appliquer les méthodes d’Air Caraïbes ?
C’est clair. Quand on a présenté le projet au comité d’entreprise de Corsair, on leur a d’ailleurs montré ce qu’on a fait chez Air Caraïbes.

On va s’inspirer de ce qui marche. Avec l’idée d’augmenter les temps de vol des pilotes et des machines. Si l’on regarde Air Caraïbes, la compagnie est quasiment dans un fonctionnement d’optimisation low cost, sur un créneau spécifique, le long courrier. Nos avions tournent sans arrêt, à raison de 5.000 heures par an.

L’airbus A350 coûte très cher. On va donc optimiser le réseau. En cela, les trajets de Corsair et Air Caraïbes sont complémentaires. On peut imaginer qu’un avion qui revient des Antilles le matin parte sur la Réunion l’après-midi. Ce qui pourrait permettre de passer de 17h à 20h de vol par jour. Ce sera l’un des avantages d’avoir une structure comme CTA350 au milieu des autres sociétés, pour optimiser les trajets. Après, difficile d’aller au-delà de 20h de vol quotidien par appareil, car il faut du temps pour refaire le plein de carburant, assurer le débarquement des passagers... Il faut se donner une marge de manœuvre, mais on doit encore pouvoir voler un peu plus.

Avec le nouvel accord prévu, on souhaite aussi que les pilotes volent davantage, tout en facilitant l’organisation de leurs trajets. Et ce, pour qu’ils puissent arriver à 750 heures pour un long courrier, comme c’est le cas chez Air Caraïbes, voire à 800 heures de vol par an.

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