En mai, fais ce qu'il te plaît !
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En mai, fais ce qu'il te plaît !

Depuis cinquante ans, le mois de mai est traditionnellement agité en France. Mais 2018 n'est pas 1968, et la "convergence des luttes" ne prend pas vraiment. Et s'il fallait en chercher la raison du côté des congés et des ponts ?

— Photo : Le Journal des Entreprises

La France raffole des symboles et des commémorations. Il y a 50 ans, les pavés volaient autour de la Sorbonne occupée et la jeunesse respirait l’odeur des lacrymos en écrivant sa révolte sur les murs de la ville. Un demi-siècle plus tard, les tensions sociales n’ont pas disparu, de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au long conflit des cheminots de la SNCF ou des pilotes d’Air France. Le monde, pourtant, a radicalement changé et ceux qui rêvent, en mai 2018, de revivre Mai-68, ne sont pas à un anachronisme près. Tout ou presque a changé entre ces deux dates : la mondialisation, la construction européenne, les conditions de travail, sans parler de la révolution numérique ou des ressorts de la croissance économique. Vouloir résoudre les défis du 21e siècle avec les outils – ou les armes - des siècles précédents entretient le malentendu. Les cortèges de manifestants et les blocages de trains paraissent bien dérisoires au regard des enjeux.

« Vouloir résoudre les défis du 21e siècle avec les outils - ou les armes - des siècles précédents entretient le malentendu. »

Il serait pourtant dangereux de sous-estimer ces expressions catégorielles. D’abord, parce qu’en démocratie, il est indispensable que les opinions puissent s’exprimer. La pensée unique, fût-elle celle du nouveau monde, ne porte jamais en elle les germes de l’innovation. Ensuite, parce que les mouvements sociaux, notamment dans leur radicalité violente, traduisent le décalage croissant entre le discours politique et la réalité vécue par celles et ceux qui estiment, à tort ou à raison, faire partie des laissés-pour-compte de la modernité.

Dans ce contexte explosif d’un printemps social agité, les chefs d’entreprise sont pris entre plusieurs feux contradictoires. Ils s’inquiètent légitimement des risques que fait courir ce climat délétère sur l’activité économique, au moment même où tous les voyants commençaient à repasser au vert. Le danger est réel de voir cet élan tué dans l’œuf. Sans parler de l’effet toujours détestable pour l’image de la France à l’étranger. Le pays semble incapable de se réformer sans révolution, à l’heure où pourtant les investisseurs internationaux commencent à retrouver le goût de l’Hexagone. À cela s’ajoute la désorganisation liée aux grèves dans les transports, dont le coût pour l’économie réelle se chiffre déjà en plusieurs centaines de millions d’euros.

Pourtant, sur un plan managérial, difficile de faire abstraction de cette montée en puissance des revendications. Allons-nous assister, comme le rêvent certains syndicalistes, à la fameuse « convergence des luttes » entraînant toutes les catégories socioprofessionnelles à descendre dans la rue pour réclamer davantage de pouvoir d’achat, des conditions de travail améliorées ou le maintien des fameux « avantages acquis » si chers à la France éternelle ?

Rien n’est moins sûr. Paradoxalement, l’absence de contagion pourrait venir du… calendrier de ce joli mois de mai. Avec ses ponts transformés en viaducs, ses vacances scolaires propices aux RTT judicieusement placées, l’entreprise France tourne déjà au ralenti. Alors, décidément, entre les manifs et les congés, en mai, fais ce qu’il te plaît !

Ce billet a été publié dans Le Journal des Entreprises n°371, mai 2018, toutes éditions.

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