« En France, l'échec est vécu comme une honte »
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Guillaume Mulliez Guillaume Mulliez « En France, l'échec est vécu comme une honte »

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Une faillite, en France, est souvent vécue comme une honte par les chefs d'entreprise. Mais si on changeait de regard face à l'échec ? C'est ce que propose Guillaume Mulliez, qui préside 60 000 rebonds, une association aidant les dirigeants en faillite.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des entreprises : Guillaume Mulliez, vous présidez "60.000 Rebonds", une association qui aide les dirigeants qui ont fait faillite. Il y en a en moyenne chaque année 60.000 en France. Comment ces entrepreneurs font face à la liquidation de leur entreprise ?

Guillaume Mulliez : « La faillite en France est vécue comme un traumatisme. D'abord parce que la perte de l'entreprise constitue une perte de revenu. Ensuite, parce que notre vision de l'échec, probablement héritée de notre religion catholique, ne facilite pas les choses. En France, l'échec c'est vraiment la honte, c'est ne pas avoir été au bout d'un projet, c'est faillir. Cela engendre une difficulté supplémentaire, un peu comme un joueur de casino qui a été trop loin et qui tente coûte que coûte de se refaire. Le déni de l'échec fait que l'entrepreneur va s'engager encore plus lourdement sur un plan personnel, avec des dettes, des mensonges. Lors du dépôt de bilan, un effet domino peut se mettre en place avec non seulement la perte de l'entreprise, mais aussi une dette personnelle, la perte du domicile, un divorce, des soucis de santé comme une déprime ou une dépression et, malheureusement aussi parfois, un suicide. »

Ce que vous dites, c'est qu'il faut savoir jeter l'éponge à temps...

G.M. : « Le dirigeant est souvent trop seul. Quand on est dans la difficulté, une bonne démarche consiste aussi à le reconnaître, à accepter sa part de faiblesse et à se faire accompagner. Il existe des structures qui accompagnent les entreprises qui ont des difficultés, autour des CCI ou des tribunaux de commerce par exemple. Quand ces spécialistes font le constat que l'entreprise n'est plus viable, il faut à ce moment-là l'accepter. »

Trop peu le font selon vous ?

G.M. : « Je ne suis pas statisticien, mais, oui, trop peu le font. Ce qui en atteste, c'est que 85 % des entreprises qui vont au tribunal de commerce y vont trop tard et qu'elles sont mises dans une situation de liquidation le jour de leur venue au tribunal. »

Est-ce que la jeune génération de start-upeurs qu'on dit moins viscéralement attachée à l'entreprise, est psychologiquement mieux armée face à l'échec ou bien les jeunes dirigeants en liquidation vivent-ils le même traumatisme que leurs aînés ?

G.M. : « Il y a quand même une évolution. Les jeunes ont moins d'a priori, n'hésitent pas à investir l'argent d'autrui et, si jamais cet argent est perdu, ils se sentent moins engagés. On retrouve cette philosophie chez les Anglo-Saxons. Churchill disait : « Le succès, c'est d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme ». Dans les start-up américaines, il est coutume de dire que celui qui a échoué deux fois a acquis de l'expérience lui permettant d'être mieux armé pour réussir sa troisième tentative. »

Qu'est ce qui nous différencie des Anglo-Saxons dans notre rapport à l'échec

G.M. : « L'origine protestante est plus orientée sur la parabole des talents. Celui qui est rejeté, c'est celui qui n'a pas essayé. Et celui qui n'a pas essayé, on l'encourage. C'est un état d'esprit qui est très ancré dans les pays anglo-saxons. C'est une bonne chose et je crois que, chez nous, il y a beaucoup d'entrepreneurs et de banquiers qui en ont conscience. Pour passer à l'acte, il n'y a qu'un pas, qu'il nous faut faire aujourd'hui ! »

Comment aider les entrepreneurs en faillite ?

G.M. : « L'association 60.000 Rebonds n'essaye pas de sauver l'entreprise, elle accompagne les entrepreneurs qui ont tout perdu, avec des bénévoles, qui sont des coachs et des chefs d'entreprise. La première étape, essentielle, consiste à les sortir de la solitude, car quand vous n'avez plus d'entreprise, vous n'avez plus d'amis, plus de réseaux. Pour ce faire, nous faisons se rencontrer des entrepreneurs qui ont fait faillite. Ils se rendent comptent qu'ils ne sont pas les seuls à vivre cette situation et que d'autres parviennent à s'en sortir. Il faut ensuite retrouver confiance en soi. Pour cela, l'entrepreneur doit faire son deuil, accepter sa part de responsabilité dans la faillite de l'entreprise qu'il a dirigée. Certains revivent encore leur journée au tribunal de commerce comme un épisode extrêmement douloureux. Ils en ont encore une boule au ventre. Parfois dix ans après ! Il faut purger cela, se libérer de cette souffrance. Enfin, il faut dessiner son nouveau projet professionnel, qu'il soit dans le salariat ou dans l'entrepreneuriat. »

Combien de temps pour remonter la pente ?

G.M. : « En moyenne, ceux qui ne sont pas accompagnés mettent environ sept ans. »

Et quand ils sont accompagnés par une association comme 60.000 Rebonds...

G.M. : « S'ils repartent vers le salariat - ce qui arrive dans 35 % des cas -, il faut compter de six à neuf mois. S'ils se redirigent vers l'entrepreneuriat, c'est plutôt entre 12 et 18 mois. De son côté, l'association s'engage sur un accompagnement maximum de deux ans. »

Peut-on se prémunir des conséquences psychologiques d'une faillite ?

G.M. : « Au rugby, si vous êtes dans la mêlée, il est difficile de voir ce qui se passe autour, contrairement à l'entraîneur. Quand on est entrepreneur, c'est la même chose : il est important d'avoir à côté de soi d'autres entrepreneurs qui viennent vous voir, ne serait-ce qu'une demi-journée tous les deux mois, pour vous accompagner, vous ressourcer, vous donner des idées, des conseils. Avec un regard bienveillant et exigeant. Y compris quand tout va bien. Car l'échec peut aussi venir d'une très grosse réussite. Quand rien ne vous résiste, vous pouvez avoir tendance à vous prendre pour le bon dieu, prendre trop de risques, jusqu'au jour où vous tombez sur un gros os et tout s'effondre. »

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