Dépôt et certification des comptes : les entreprises préfèrent l'opacité à la transparence
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Dépôt et certification des comptes : les entreprises préfèrent l'opacité à la transparence

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Si toutes les sociétés doivent déposer leurs comptes au greffe du tribunal de commerce, nombre d'entre elles optent encore beaucoup pour une publication confidentielle. Et peu sont dorénavant tenues de les faire certifier par un commissaire aux comptes.

60 % des entreprises ont opté pour la confidentialité totale de leurs comptes en 2020. Elles n'étaient que 42 % en 2016 — Photo : makibestphoto

Déposer ses comptes est obligatoire pour toutes les entreprises commerciales. Exceptées les sociétés en micro-BNC ou micro-BIC, les entrepreneurs individuels et micro-entrepreneurs, toutes sont tenues de déposer leurs bilans, leurs comptes de résultats et, le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes. Une obligation qui a pour effet d'inciter les entreprises à tenir leurs comptes à jour. Au niveau calendaire, elles disposent de six mois après la clôture de leur exercice annuel pour faire approuver leurs comptes annuels par une assemblée générale ordinaire. Les comptes doivent ensuite être déposés au greffe du tribunal de commerce compétent dans le mois qui suit cette approbation ou dans les deux mois si le dépôt se fait sur Internet. Si tel n'est pas le cas, l'entreprise encourt en théorie une amende de 1 500 euros, même si dans les faits la tolérance est de mise.

Pour l'heure, 184 000 entreprises, soit 15% des entreprises qui publient leurs comptes chaque année, n'auraient pas encore publié leur exercice 2019. "Le phénomène s'est amplifié avec la crise. Ce n'est pas une bonne nouvelle car la transparence est fondamentale. Leurs partenaires ne connaissent d'elles que leurs performances de 2018", relève Thierry Millon, directeur des études d'Altares.

Quand faire appel à un commissaire aux comptes ?

Si chaque entreprise ou association doit arrêter ses comptes lors d'une assemblée générale, le volume d'entreprises contraintes de les faire certifier a drastiquement diminué depuis l'application de la loi Pacte en mai 2019. Si l'obligation s'applique à toutes les formes juridiques, seules celles qui réalisent plus de 8 millions d'euros de chiffre d'affaires HT et qui sont dotées d'un total de bilan de plus de 4 millions d'euros ou qui ont plus 50 salariés doivent nommer un commissaire aux comptes pour certifier leurs comptes annuels, d'où la notion "d'audit légal" des comptes. Une restriction que regrette Thierry Millon : dès lors que son bilan n'est pas tamponné et validé par un commissaire aux comptes, "l'entreprise peut faire dire ce qu'elle veut au bilan et présenter des comptes de résultats qui ne reflète pas la réalité".

"Les éventuelles dérives du dirigeant peuvent avoir des conséquences sur l'avenir des salariés mais aussi pour ses créanciers pouvant être impactés par sa défaillance", reconnaît David Renou, commissaire aux comptes au sein du cabinet Sorex, basé à Angers et à Cholet. Pour Jean-Charles Boucher, associé RSM et président de la commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), la France devrait suivre l'exemple de ses voisins européens. "Constatant la hausse des taux de faillite d'entreprises, la Suède et l'Italie ont fait le choix d'abaisser les seuils de nomination d'un commissaire aux comptes", note-t-il. Un choix d'autant plus judicieux en période de crise afin qu'ils puissent jouer leur rôle d'alerte et sécuriser les parties prenantes.

Transparence économique vis-à-vis des tiers

Pour l'heure, "les commissaire aux comptes dénombrent 270 000 mandats dans une économie française qui compte plus de 4 millions d'entreprises marchandes", estime Thierry Millon. Heureusement, les entreprises ont renouvelé à plus de 50% les mandats arrivés à échéance, mesure la CNCC. " Elles ont joué le jeu en reconnaissant la valeur ajoutée des commissaire aux comptes comme un facteur de sécurité pour la réussite de leur projet", se réjouit Jean-Charles Boucher.

D'autres petites entreprises, qui se situent en dessous des nouveaux seuils de certification, se sont emparées de la possibilité de nommer un commissaire aux comptes pour une durée réduite de six à trois ans pour que celui-ci mène une mission d'"audit légal des petites entreprises " afin de faire certifier leurs comptes et d'obtenir un rapport sur leurs risques.

La certification des comptes permet de rassurer les partenaires de l'entreprise sur leurs états financiers et "d'avoir une assurance élevée sur la crédibilité des chiffres présentés", estime David Renou. La certification se traduit par une plus grande confiance dans les états financiers de l'entité. "Cette confiance est accordée par les financeurs ou les établissements financiers qui s'assurent que la santé de l'entreprise qu'ils financent n'est pas altérée par les intérêts privés du dirigeant", poursuit le commissaire aux comptes. "Ce tiers de confiance prouve que l'entreprise accepte d'être surveillée et contrôlée et apporte une garantie aux partenaires commerciaux de l'entreprise. Dans son rapport, le commissaire aux comptes informe sur les comportements de paiement de l'entreprise vis-à-vis de ses clients et de ses fournisseurs", ajoute Thierry Millon. En outre, le commissaire aux comptes joue un rôle de conseiller et peut apporter des avis et des recommandations sur des textes législatifs utiles pour orienter et éclairer les prises de décisions des chefs d'entreprise.

Les entreprises préfèrent la confidentialité

Si les entreprises remplissent deux des trois critères – moins de 6 millions d'euros de total de bilan, moins de 12 millions d'euros de chiffre d'affaires ou moins de 50 salariés pour les petites entreprises et moins de 20 millions d'euros de total de bilan, moins de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net ou moins de 250 salariés pour les moyennes entreprises –, elles ont la possibilité d'opter pour la confidentialité de leurs comptes annuels (ou uniquement le compte de résultats dans certains cas), en joignant au dépôt de leurs comptes une simple déclaration. Ils ne sont alors pas communicables aux tiers et seules les administrations, les autorités judiciaires, la Banque de France et les personnes morales relevant de catégories définies par arrêté (financement, assurance, notation, etc.) y ont accès.

Les professionnels du risque, dont Altares, constatent sur l'ensemble des tribunaux de commerce et judicaires que 60 % des entreprises ont opté pour la confidentialité totale de leurs comptes en 2020 contre 42 % en 2016. Une stratégie de non transparence qui inquiète les spécialistes. Si cela permet aux entreprises qui évoluent sur des secteurs fermés de se protéger de la concurrence, statistiquement, "une entreprise qui publie un mauvais bilan est moins risquée qu'une entreprise qui ne le publie pas. Cette dernière présentant deux fois plus de risque de faire faillite", estime Thierry Millon.

En tant que professionnel du chiffre, David Renou incite ses clients à répondre à l'obligation légale de publication des comptes tout en précisant que la transparence financière doit être maitrisée. "Il faut accompagner les chiffres de commentaires compréhensibles de tous pour éviter par exemple qu'un fournisseur, à la lecture des bons bénéfices réalisés par son entreprise, ne subisse des renégociations de tarifs". Si l'annexe des états financiers remplit cette fonction, il est nécessaire de faire preuve de pédagogie auprès des lecteurs des états financiers rappelle le commissaire aux comptes. "Nous les invitons à publier ouvertement leurs comptes pour drainer des clients et ouvrir des marchés. Sinon, elles prennent le risque de voir s'écarter des partenaires potentiels, et notamment certains pays étrangers comme le Japon ou les Etats-Unis qui ont besoin d'informations claires et transparentes", consent Thierry Millon.

Enfin, ces données chiffrées sont d'autant plus importantes en période de crise pour évaluer la performance des entreprises et surveiller celles qui montrent des retards en matière de paiement. Alors que le taux de défaillance est historiquement bas, le gouvernement veut anticiper les difficultés des entreprises et les faillites à venir. "Les commissaires aux comptes sont alors bien placés pour procéder à des diagnostics sur la bonne gestion des entreprises et constituent d'excellents lanceurs d'alerte pour signaler les plus fragiles ", souligne Jean-Charles Boucher.

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