Coronavirus : l'épidémie peut-elle faire sombrer les clubs de football de Ligue 1 ? 
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Coronavirus : l'épidémie peut-elle faire sombrer les clubs de football de Ligue 1 ? 

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Comme beaucoup d’autres entreprises, les clubs de football de Ligue 1 sont confrontés à une équation insoluble : les recettes s’écroulent, les charges demeurent. Le championnat ne reprendra pas et les 10 journées qui restaient à jouer pourraient coûter au moins 400 millions d’euros aux 20 clubs de l’élite. Le PSG, l’OM, l’OL et les autres clubs professionnels français ont-ils les moyens de survivre à l’épidémie de coronavirus ?

Les derniers matchs de football semblent lointains. Et ils le sont. Déjà trop pour toute une économie qui est en train de vaciller — Photo : SEM

Cette fois-ci, même le foot n’y coupe pas. L’arrêt des compétitions n’était, semble-t-il, pas un scénario prévu dans les calculs. Le championnat de France de Ligue 1 est officiellement arrêté et la saison 2019-2020 terminée. Le classement est figé alors qu’il restait 10 journées à jouer. Une situation qui pose des problèmes d’équité sportive, mais qui a aussi des conséquences économiques désastreuses pour les clubs de l’élite.

Le cabinet KPMG estime que les pertes financières pour les 20 clubs qui évoluent en L1 seraient de l’ordre de 400 millions d’euros. À titre de comparaison, elles atteindraient le milliard d’euros en Liga (première division espagnole) et en Premier League (première division anglaise).

Entre droits TV, sponsors, salaires, trésorerie et valeur marchande des joueurs, les enjeux sont nombreux. « L’État peut très bien nous dire que nous ne pouvons pas du tout jouer jusqu’en janvier 2021… J’en vois certains qui réfléchissent au sport de demain mais avant cela, il faut déjà sauver le sport d’aujourd’hui. Au total, 10 000 emplois sont en jeu en Ligue 1 et Ligue 2. À court terme, il faut déjà les sauver », défend Bruno Belogodère, délégué général adjoint de Première ligue, l’organisation professionnelle représentant les clubs de l’élite du football.

Les droits TV, épine dorsale de toute une économie

La première ressource des clubs de football de Ligue 1 émane des chaînes de télévision. Avec l’arrêt du championnat, ce sont des millions d’euros qui s’échappent pour les clubs. En France, les droits télévisuels s’élèvent, pour cette saison, à 751 millions d’euros, et passeront à 1,153 milliard la saison prochaine. La saison s’étant arrêtée à la 28e journée, il resterait 200 millions d’euros à percevoir que les clubs de Ligue 1 n’ont pas reçus. Si chaque équipe bénéficie d’une part fixe mais aussi d’une part variable accordée en fonction des résultats sportifs, pour tous, les droits télévisuels sont la ressource la plus importante : environ 60 % du budget pour la plupart des clubs.

« Certains clubs vont se retrouver en grandes difficultés financières. »

Les grands perdants de l’arrêt du championnat sont le PSG et l’Olympique de Marseille, dont les parts variables sont importantes en tant que leader et second du championnat. « Les deux rivaux auraient encore eu environ 15 millions d’euros à percevoir chacun », assure Anthony Alyce, fondateur et rédacteur en chef du site ecofoot.fr. Mais pour des clubs plus modestes, le manque à gagner est également important. Le FC Metz (40 millions d’euros de budget) par exemple, devait encore percevoir 5 millions d’euros.

Les sponsors dans l’œil du cyclone

Autre ressource financière du foot mise à mal par la crise liée à l’épidémie de coronavirus : l’argent apporté par les sponsors. En Ligue 1, ils pèsent 415 millions d’euros. Une étude réalisée par KPMG estime que la perte au niveau sponsoring pourrait s’élever à 140 millions d’euros pour la Ligue 1.

Ce qui ne veut pas dire que toutes les entreprises lâchent le monde du football. Sébastien Bazin, président du groupe Accor, dont beaucoup d’hôtels sont aujourd’hui fermés, s’est acquitté de la totalité de la somme de son sponsoring au PSG : 65 millions d’euros. « Mais tous les clubs ne seront pas logés à la même enseigne. Cela va dépendre de la puissance économique mais aussi médiatique de chaque club. PSG est une marque internationale. Je ne suis pas certain que les sponsors d’équipes moins huppées soient maintenus », tempère Pierre Rondeau, professeur d’économie à Sports Management School, spécialiste de l’économie du sport et du football en particulier.

La chaîne de restauration Bistro Régent, sponsor maillot des Girondins de Bordeaux, avait ainsi prévu une clause de suspension de contrat liée à une potentielle crise sanitaire. L’engagement entre le club au scapulaire et Bistro Régent porte sur quatre ans, à raison de 1,5 million d’euros par saison, mais la situation pourrait rebattre les cartes. « Aucune décision n’est encore prise quant à notre engagement à long terme. Nous souffrons de la crise puisque nos activités sont à l’arrêt », élude Marc Vanhove, dirigeant de Bistro Régent. « Ce qui peut faire peur aux clubs, c’est la cascade. Des gestes commerciaux pourraient être demandés, des accords suspendus voire annulés », alerte Anthony Alyce.

Les entreprises subissant la crise de plein fouet risquent de faire sauter le budget alloué au sport pour la saison à venir. « Les PME et TPE locales risquent de ne plus prendre de loges, de remettre en cause leurs contrats de sponsoring car elles voudront en priorité se sauver elles, », abonde Bruno Belogodère.

La trésorerie des clubs en souffrance

En plus des sponsors qui vacillent, le football professionnel voit s’effondrer une autre source de revenus : les recettes liées à la billetterie et celles liées au jour de match ("match-day"). Ces deux éléments représentent environ 10 % du budget annuel des clubs. Si les recettes s’effondrent, les charges des clubs de Ligue 1 demeurent, et notamment les masses salariales, qui engloutissent 68 % à 70 % des produits d’exploitation des clubs. « Nous n’avons plus de recettes, plus d’activité. Heureusement, nous pouvons bénéficier des aides de l’État. Nous avons recours au chômage partiel pour nos 120 employés », confie ainsi Bernard Serin, président du FC Metz.

Bernard Serin, président du club de football professionnel FC Metz — Photo : © Jonathan Nenich

Plafonné à 4,5 fois le Smic, le dispositif de chômage partiel est suffisant pour le personnel administratif. Pour ce qui est des sportifs, le dispositif ne permet pas d’assurer la totalité des salaires, et ce sont donc les clubs qui doivent compléter ou négocier avec les joueurs pour des reports ou des baisses de salaires. « Les négociations avancent de manière indépendante au sein des clubs. Un club est une entreprise comme une autre avec ses spécificités et, si demain un club dit à ses joueurs il faut baisser vos salaires pour sauver l’entreprise, nous n’avons pas notre mot à dire. Ce n’est pas à nous de l’imposer aux joueurs, c’est donc de la négociation entre les joueurs et les clubs », lance Bruno Belogodère, de l’organisation professionnelle Première ligue.

« Ce qui peut faire peur aux clubs, c’est la cascade de demandes des sponsors. Des gestes commerciaux pourraient être réclamés, des accords suspendus voire annulés »

Afin de faire face à la situation, les clubs de Ligue 1 peuvent aussi s’appuyer sur les prêts garantis par l’État. Selon le quotidien sportif L’Équipe, Strasbourg, Dijon ou encore Saint-Étienne auraient eu recours à ce dispositif. « Des clubs arrivent à trouver un financement garanti par Bpifrance et d’autres qui ont du mal, comme d’autres entreprises classiques », explique Bruno Belogodère, sans en dévoiler plus. Alors, pour compenser le manque à gagner des clubs sur les droits TV, la Ligue de football professionnel a contracté un prêt bancaire garanti par l'État pour verser aux clubs de Ligue 1 et Ligue 2 l’ensemble des sommes encore à percevoir au titre des droits audiovisuels pour la saison 2019/2020, soit plus de 200 millions d’euros. L’enveloppe devrait être répartie de la même façon que les droits TV restants l’auraient été.

Le marché des transferts en forte déflation

Structurellement déficitaires, les clubs de ligue 1 comptent sur les plus-values comptables réalisées sur la vente de joueurs. Or pour cela, il faut un marché inflationniste. « Il est certain que l’on s’oriente vers une déflation sur les prochains mercatos avec sans doute une forme d’économie de troc ou les clubs vont s’échanger des joueurs », explique Pierre Rondeau. Depuis de nombreuses années, les mercatos affolent les compteurs, avec des records de montants de transfert battus quasiment tous les ans.

En France, Neymar a débarqué au PSG, en provenance de Barcelone, pour la somme de 222 millions d’euros en 2017. Si aucun transfert n’a depuis dépassé ce montant, les indemnités de transfert se comptent de plus en plus souvent en dizaines de millions d’euros. Selon le portail web allemand Transfermarkt, la valeur des 540 joueurs de Ligue 1 atteint un total de 3,17 milliards d’euros. Seulement, l’arrêt des compétitions engendrerait une dévalorisation des effectifs européens de l’ordre de 28 %, selon le Centre International d’Étude du Sport (CIES). L’OM ressortirait encore grand perdant de ce classement avec une chute de valeur de l’ordre de 37,5 %, de quoi faire passer la valeur de son effectif de 256 millions d’euros à 159 millions d’euros. « Certains clubs européens ont les reins extrêmement solides et seront en capacité d’animer le mercato estival malgré tout », tempère Bernard Serin, du FC Metz.

L’ère des opportunistes ?

Toute l’économie du football pourrait être remise en cause par l’épidémie de coronavirus. Ce qui pourrait faire naître une nouvelle ère, avec l’arrivée de nouveaux acteurs : « Avec tous ces challenges qui attendent les clubs de Ligue 1, certains vont se retrouver en grandes difficultés financières. Cela pourrait entraîner des changements d’actionnaires. Des fonds d’investissement, jusque-là en veille sur le marché du football, pourraient se réveiller pour faire des plus-values à la revente dans quelques années. Les opportunités seront légion », assure le fondateur d’ecofoot. Une situation qui ne serait pas fatalement un mal : « Je ne vois pas cela comme un risque. Cela peut même être une opportunité de sauver le football français si on a un énorme trou d’air. 95 % des clubs de première division anglaise appartiennent à des investisseurs étrangers et ils s’en portent plutôt bien », ponctue Bruno Belogodère.

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