Coronavirus - Indemnisation des pertes d'exploitation : à quoi jouent les assureurs ?
# Assurance

Coronavirus - Indemnisation des pertes d'exploitation : à quoi jouent les assureurs ?

S'abonner

Sous le feu des critiques depuis un mois, les assurances pensaient bien s’être défaites de la pression du gouvernement, depuis l’annonce, mi-avril, de nouveaux engagements en faveur des entreprises. C'était sans compter sur l’initiative du Crédit Mutuel, rapidement imitée par le Crédit Agricole, à l'origine d'une prime exceptionnelle pour dédommager les pertes d’exploitation de leurs clients. De quoi remettre tout le secteur face à ses responsabilités... et ses contradictions.

Le Crédit Mutuel a lancé un pavé dans la mare, le 22 avril, avec sa "prime mutualiste" destiné à dédommager ses assurés de leurs pertes d'exploitation dues à l'épidémie de coronavirus et au confinement — Photo : Ji-Elle - Wikimedia CC3.0

La nouvelle aura sans doute mis du baume au cœur de leurs clients. Et fait grincer des dents la plupart de leurs concurrents. Le Crédit Mutuel et sa filiale CIC ont lancé, le 22 avril, une « prime de relance mutualiste ». Le principe est simple : en mai, tout professionnel recevra un versement « forfaitaire et immédiat », dès lors qu’il détient un contrat d’assurance multirisque avec perte d’exploitation auprès du groupe bancaire. Une opération pour laquelle la banque a prévu de dépenser 200 millions d’euros.

Un geste de solidarité, justifie le Crédit Mutuel. « Une initiative de responsabilité morale », a renchéri son président Nicolas Théry, invité sur France Inter pour annoncer le dispositif. Une belle campagne d’image et un sacré pied de nez, au passage, à l’ensemble des assureurs, au moment même où la pression sur le secteur était en passe de retomber.

Le régulateur de l’assurance contredit ?

Le coup marketing du Crédit Mutuel fait en effet voler en éclats le front commun qui prévalait jusqu’ici dans le milieu. Et il menace de rouvrir les hostilités entre les entreprises et leurs compagnies d’assurances.

Nicolas Théry l’a sans doute bien compris. Et le patron du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale ne s’est pas privé de planter quelques banderilles dans le flanc de la concurrence : « On ne va pas ergoter sur le droit, on agit […] C’est cela, le métier d’assureur : nous avons fait des réserves les années précédentes, justement pour ces heures difficiles. […] Nous assumons toute notre responsabilité. »

« C’est cela, le métier d’assureur : faire des réserves les années précédentes, justement pour les heures difficiles. »

Quelques heures plus tard, le Crédit Agricole lui emboîtait le pas et faisait savoir qu’il lançait, à son tour, un « dispositif mutualiste », similaire à celui du Crédit Mutuel, quasiment au mot et au montant près (200 millions d’euros).

• L'ACPR appelle à la prudence

Ces initiatives isolées surprennent, tant elles semblent contredire jusqu’au régulateur du secteur, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). La veille, celle-ci appelait publiquement les assureurs « à une gestion prudente » et à ne pas utiliser leurs moyens financiers, « sauf à [se] mettre en risque, […] pour couvrir des événements qui sont explicitement exclus de leurs contrats ». Une justification juridiquement solide et largement reprise par la profession, jusqu’ici alignée pour refuser d’indemniser rétroactivement des pertes d’exploitation pour un motif non-inscrit aux contrats.

Est-ce à dire finalement que le Crédit Mutuel et le Crédit Agricole font preuve de légèreté ? Non, à en croire le premier qui justifie sa solidarité mutualiste par sa solidité financière. Mais le fait que ces dispositifs émanent de deux groupes bancaires, plutôt que de pures compagnies d'assurances, n'est sans doute pas anodin. Leur double activité leur donne plus de moyens d'être généreux, notamment par le biais de leurs caisses locales, sans pour autant contrevenir à la doctrine de l'ACPR.

Le tabou de l’indemnisation de la perte d’exploitation

Une chose est sûre : l’opération lancée par le Crédit Mutuel-CIC et le Crédit Agricole fragilise les efforts de la Fédération française de l’assurance (FFA). Après un mois d’atermoiements et de discussions, elle était pourtant en passe d’enterrer la hache de guerre, au moins avec le gouvernement.

Dès le début de la crise, les assureurs se sont en effet réfugiés derrière l’absence de couverture du risque pandémique et la particularité du confinement, amenant à des pertes d’exploitation sans dommage, rarement prévues dans les contrats. Et pour cause, dans le cas du Covid-19, le montant de ce sinistre frôlerait les 60 milliards d’euros, « c’est-à-dire plus que les fonds propres des assureurs non-vie », expliquait la présidente de la FFA Florence Lustman au Figaro, le 12 avril. D’où la mise en garde de l’ACPR le 21 avril.

• Le coup de pression d’Emmanuel Macron

Mais ces arguments sont restés inaudibles pour des entrepreneurs pris à la gorge par la crise. Et les assurances se sont retrouvées dans le collimateur d’à peu près tout le monde - du chef parisien Stéphane Jégo, à l’origine d’une pétition très suivie, aux organisateurs du festival Hellfest, en passant par les organisations patronales (CPME) et sectorielles (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie), jusqu’à Bercy, et même l’Élysée. Dans son allocution télévisée du 13 avril, le président de la République Emmanuel Macron intimait l’ordre aux assureurs d' « être au rendez-vous de [la] mobilisation économique ». Dont acte. La FFA a dû se résoudre à compléter son premier paquet de mesures du 23 mars, par des garanties supplémentaires, solennellement validées, le 15 avril, par un communiqué de Matignon.

Avec 400 millions d’euros pour le fonds de solidarité des TPE, 1,35 milliard d’euros de gestes commerciaux et un programme d’investissement d’1,5 milliard, les assureurs pensaient s’être achetés quelques semaines de tranquillité… Et la FFA pouvait tranquillement décliner ces annonces pour redorer son blason : elle se félicitait, le 22 avril, d’orienter 150 millions d’euros de son nouveau plan d’investissement vers le tourisme, durement impacté. Las, le jour même, le Crédit Mutuel rompait les rangs.

L’assurance pandémie, prochain sujet de discorde

Le groupe bancaire a décidément bien choisi sa date pour dynamiter l’armistice entre gouvernement et assureurs. C’est également le 22 avril que le groupe de travail « sur le développement d’une couverture assurantielle des évènements exceptionnels », de type pandémie, a été officiellement lancé. Promis dès le 23 mars, ce chantier, sensible, risque tout autant d’exposer la profession à la critique, tant son discours paraît déjà ambigu.

La feuille de route donnée par le ministère de l’Économie est pourtant claire : il s’agit de « définir à un cadre assurantiel adapté, offrant une couverture des risques d’une intensité exceptionnelle […], de façon à permettre aux acteurs économiques de faire face à une baisse du chiffre d’affaires et poursuivre leur activité dans les meilleures conditions, à un coût abordable pour les entreprises et maîtrisé pour la collectivité publique. » Et ce, dans la mesure où ces risques systémiques et généralisés « ne répondent pas aux caractéristiques des catastrophes naturelles ».

• La FFA brouille les pistes

Un cap que semble approuver la présidente de la Fédération française de l’assurance. Dans un communiqué du 22 avril, Florence Lustman affirme que « le secteur de l’assurance se doit de trouver des solutions » pour mieux prendre en compte, à l’avenir, ce genre de situations. Même si elle pose, entre autres, la question du financement et de la solvabilité d’un tel dispositif.

« Une épidémie peut avoir un impact sur l’activité économique globale, rendant ses conséquences économiques inassurables. »

Sur la page qui liste les mesures prises par les assureurs dans la crise du Covid-19, le ton est beaucoup moins conciliant. La FFA souligne ici que, « en fonction de sa durée et de son ampleur, une épidémie peut affecter tous les secteurs et avoir un impact sur l’activité économique globale, rendant ainsi ses conséquences économiques inassurables ». Une position sur laquelle se retrouve également le régulateur : « Une garantie portant sur les pertes d’exploitation liées à une pandémie ne serait généralisable à un prix raisonnable que dans le cadre d’un régime obligatoire garanti par l’État », note l’ACPR.

Le groupe de travail doit rendre ses propositions début juin, avant une concertation élargie durant l’été. Les tractations entre assureurs, patronat, Trésor public et parlementaires, tous invités autour de la table, promettent d’être agitées. Autant dire que, bousculées pendant la crise, attendues dans le « monde d’après », les assurances n’ont peut-être pas fini de payer les conséquences de leur retard à l’allumage face à la catastrophe économique provoquée par le coronavirus.

# Assurance