Coronavirus - CCI France : « Cette crise doit nous servir de rappel à l’ordre »
Interview # Commerce # Conjoncture

Pierre Goguet président de CCI France Coronavirus - CCI France : « Cette crise doit nous servir de rappel à l’ordre »

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Le déconfinement approche et, avec lui, une nouvelle phase d’adaptation s’ouvre pour les entreprises. Dans cette délicate période de retour au travail et de reprise d’activité, les incertitudes demeurent nombreuses. Surcoûts sanitaires, changement de comportement des consommateurs, évolution des aides de l’État… Entre espoirs et inquiétudes, le président de CCI France Pierre Goguet anticipe une crise longue et douloureuse à court terme. Mais l’espère aussi salutaire pour poser les bases du « monde d’après ».

Pour Pierre Goguet, la crise du coronavirus va faire des dégâts dans les entreprises. Mais elle pourrait aussi être une chance, à plus long terme, pour la relocalisation industrielle en France et en Europe — Photo : CCI France

Le Journal des Entreprises : Le ministère du Travail a publié, le 3 mai, un « protocole national de déconfinement ». Il présente un certain nombre de règles sanitaires à mettre en place en entreprise. Comment les TPE-PME peuvent-elles supporter ces contraintes nouvelles ?

Pierre Goguet : Elles vont essayer de les supporter mais, pour certaines, ce sera plus difficile. Cela dit, ce protocole sanitaire va s’imposer comme une priorité, car la meilleure manière pour le chef d’entreprise de se mettre à l’abri de toute mise en cause par des salariés ou des clients, c’est de se caler au maximum sur ces dispositions. Ces contraintes sont donc indispensables, car il n’y a rien de pire que l’incertitude - sur les règles du jeu, le timing de la reprise et l’évolution sanitaire, que l’on subit tous.

Mais il y a une autre question derrière : toutes ces précautions sanitaires, imposées et nécessaires, ont un surcoût, alors que la reprise économique reste fragile. Par exemple, comment redonner confiance à la clientèle ? Une enquête du secteur de l’habillement indique que 74 % des personnes éviteraient les lieux trop fréquentés, lors du déconfinement. Mais si un magasin accueille au compte-gouttes les clients pour respecter le protocole, que va-t-il se passer ? Il a toutes les chances de continuer à enregistrer des pertes, sans parvenir à couvrir ses frais fixes. Cela ne pourra pas durer longtemps.

Êtes-vous inquiet de voir plusieurs dispositifs de l’État s’éteindre progressivement après le mois de mai - notamment le fonds de solidarité et l’activité partielle ?

P. G. : Aujourd’hui, ne nous trompons pas, l’objectif, au-delà de la priorité sanitaire, est la reprise de l’activité. L’écroulement, pour reprendre les mots du Premier ministre, est réel. Dans la construction, l’activité était tombée à 15 %. Donc à la fin, on va peut-être survivre sanitairement parlant, mais être mort économiquement. Qui plus est dans un monde en compétition, où ceux qui sont en convalescence - je pense à nos amis chinois - font feu de tout bois pour conquérir de nouveaux marchés, pendant que les autres ont le genou à terre. C’est redoutable.

« C’est malheureux à dire, mais la crise économique est acquise. Des entreprises ne passeront pas le cap. »

Il est donc très important de reprendre. Le chômage partiel ne peut pas durer éternellement. Le fonds de solidarité va être de plus en plus sélectif. C’est normal. Mais il faut s’assurer de ne pas retirer la couverture trop vite, pour ne pas casser ce qu’on a voulu maintenir en vie.

Dans ses 20 propositions pour la reprise dans le commerce non-alimentaire et le BTP, CCI France plaide pour des annulations de charges. Vous n’en demandez pas pour d’autres secteurs ?

P. G. : Je ne crois pas qu’il y aura de mesure générale d’exonérations. Ce sera plutôt au cas par cas. Le ministre Gérald Darmanin l’a déjà accepté sur le principe, puisque son idée est d’éviter au maximum les dépôts de bilan. Donc toute entreprise d’un secteur quelconque, qui ne pourrait pas faire face, pourrait demander des annulations ou des remises de dettes. C’est bien de reporter, mais si une entreprise ne peut pas payer au final, la seule solution sera, évidemment, de procéder à des exonérations de charges fiscales et sociales patronales.

D’autres facilités pourraient émerger. C’est déjà annoncé pour le tourisme : on va avoir un aménagement des plans de remboursement des prêts garantis par l’État (PGE). Je crois qu’il est question de les porter sur une dizaine d’années, contre cinq ans au départ. L’idée d’un abandon de créances lié à une clause de retour à meilleure fortune a aussi été évoquée : on comprend que vous ne pouvez pas payer, mais si dans les cinq ans qui viennent, par exemple, vos résultats redeviennent largement positifs, on peut envisager la reprise des remboursements. Je pense que l’on arrivera à ce genre de schéma, au moins pour les plus grandes entreprises que l’on veut absolument sauver.

Finalement, vous semblez plutôt satisfait de l’action économique du gouvernement dans cette crise ?

P. G. : Il faut saluer l’adaptation et la réactivité dont fait preuve le ministère de l’Économie. On est dans un système itératif : en fonction de la situation et des retours du terrain, le gouvernement s’adapte. Je suis confiant dans cette démarche. On attend aussi l’arrivée du corpus de mesures européennes et leurs moyens colossaux, à partir de septembre. Il y a les aides mises en place par les Régions et les Métropoles. Quand vous ajoutez tout, c’est extrêmement puissant… mais pas forcément suffisant. Cela devra s’adapter dans le temps.

Êtes-vous tout aussi positif envers les assureurs ?

P. G. : Le débat n’est pas clos avec eux. Bercy continue à discuter, notamment sur la problématique des pertes d’exploitation dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants. Au-delà des mesures d’accompagnement, les compagnies ont quand même mis en place des systèmes dérogatoires pour ces métiers : elles bloquent 750 millions d’euros pour participer, malgré tout, à l’indemnisation de leurs pertes.

L'image des compagnies d’assurances s’est beaucoup détériorée ces dernières semaines… Je pense qu’ils l’ont compris et, semble-t-il, ils s’engageraient beaucoup plus sur la partie relance des entreprises qu’ils ne l’ont fait sur le volet indemnisation.

Comment voyez-vous la suite de l’année 2020, après le déconfinement ?

P. G. : C’est malheureux à dire, mais la crise économique est acquise. La seule question est de savoir à quelle vitesse on pourra en sortir, et la réponse ne sera pas la même suivant les activités, les branches et l’évolution mondiale de la pandémie. La relance va être lourde et longue. Il y aura des dégâts. Des entreprises ne passeront pas le cap.

« Je crois à une relocalisation industrielle. Mais il va falloir accepter de payer un peu plus cher. C’est le prix d'une forme de sécurité. »

Parmi les indépendants et commerçants, je pense qu’entre 10 % et 15 % resteront le genou à terre, notamment ceux qui ont déjà encaissé les Gilets jaunes et les grèves de décembre 2019. Aujourd’hui, je connais des chefs d’entreprise qui ont en tête de redevenir salariés ! Je crains que l’image de la France, pays d’entrepreneurs, soit en train d’en prendre un coup.

Et dans les autres secteurs ?

P. G. : Pour l’industrie aéronautique, dans l’hypothèse la plus optimiste, il faudra trois ans pour s’en remettre. Mais quand Airbus arrête un tiers de sa production, on est sur une industrie qui raisonne d’habitude à vingt ans… Dans la construction, si les problématiques sanitaires sont réglées, l’activité pourrait redémarrer plus vite.

D’autres filières se sont bien portées : l’agroalimentaire, le numérique. Le télétravail massif va laisser des traces : beaucoup d’entreprises ont découvert qu’une bonne visioconférence valait tous les déplacements au siège à Paris ! Idem avec l’enseignement à distance. L’entreprise de demain aura complètement intégré les outils numériques, c’est une nécessité.

Vous croyez donc à un « monde d’après » ?

P. G. : Oui. La globalisation va continuer, mais je l’espère plus vertueuse. Notamment au niveau environnemental, un sujet qui doit être plus prégnant dans le redéploiement de demain qu’il ne l’a été hier. Je crois à une relocalisation industrielle. Mais il va falloir accepter de payer un peu plus cher. C’est le prix d’une forme d’assurance, une sécurité de la proximité et de la disponibilité. Une espèce de souveraineté qui nous évitera d’être complètement dépendants de l’Asie ou d’autres pays, sur des éléments essentiels de la chaîne de production - car c’est intolérable !

« Demain, il faudra s’assurer que les entreprises pratiquent, de manière permanente, le concept de "crash test" »

Quand vous savez que dans l’automobile, plus une seule pédale de frein ne se fait en Europe, cela signifie que l’on ne peut plus sortir de voitures ! Auparavant, on raisonnait par niveau de valeur ajoutée et on faisait produire le bas de gamme ailleurs. Mais sans ces produits, on ne fait pas le reste. Le même problème se pose dans l'aéronautique, l'électronique et le médicament. Chaque filière va devoir se réinventer. Et sera dans l’obligation de le faire parce que, demain, faire travailler le local lui sera imposé.

Il faudra aussi s’assurer que tout le monde pratique, de manière permanente, le concept de "crash test". Comment suis-je capable de fonctionner demain, si le Covid-19 revient ? Quel est l’écosystème de l’entreprise - fournisseurs, clients, prestataires avec lesquels je peux continuer à travailler – si je suis à nouveau dans cette situation ? Il faut y réfléchir au niveau d’un territoire, d’une région, d’un pays.

Cette crise serait-elle une chance ?

P. G. : Elle est comme un rappel à l’ordre qui nous tombe dessus. Le risque numéro un reste toutefois notre capacité à oublier ce qui s’est passé et à répéter les mêmes erreurs. On l’a vu après 2008. Or, si l’on ne tire pas les leçons de ce qui nous arrive, demain sera peut-être pire qu’avant. Le problème, c’est le court-termisme de nos gouvernants. La plupart des mesures à prendre, y compris environnementales, vont déplaire au citoyen de base. Il n’empêche que, collectivement, nous n’avons pas le choix. Il faut donner du sens à ce qui nous arrive.

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