CJD : « Les entreprises doivent faire preuve de solidarité »
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Emeric Oudin président du Centre des Jeunes Dirigeants CJD : « Les entreprises doivent faire preuve de solidarité »

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Pour faire face à une crise sanitaire qui s’inscrit dans la durée et qui ébranle les nerfs des dirigeants d’entreprise, le monde économique doit se serrer les coudes, estime Emeric Oudin. Recrutements de 2 000 jeunes, appel à payer ses factures, création d’un fonds pour les dirigeants dans le besoin : le nouveau patron du CJD joue à fond la carte de l’entraide entrepreneuriale.

Mobilisation générale du CJD, que préside depuis juillet Emeric Oudin, pour l’emploi des jeunes. En deux mois, les 5 200 dirigeants de ce réseau de dirigeants ont recruté 2 000 alternants. — Photo : DR

Vous appelez les entreprises à respecter de nouveaux gestes barrières. Pourquoi ?

Parce qu’elles ont peur des conséquences économiques de la crise sanitaire, certaines entreprises se recroquevillent sur elles-mêmes. Certains de mes clients m’ont, par exemple, annoncé qu’ils allaient arrêter de payer leurs factures. Cette façon de se mettre en mode survie a un impact dévastateur sur l’économie. Au contraire, les entreprises doivent faire preuve de responsabilité, de bienveillance et de solidarité. Il ne faut pas oublier que chaque entreprise est à la fois cliente et fournisseur d’une autre. C’est pour cela que j’appelle les entreprises à respecter quatre gestes barrières.

Quels sont ces gestes barrières ?

Commençons par honorer nos factures. Si nous n’avons plus de trésorerie, faisons appel aux outils mis en place par l’État. Essayons aussi de ne pas annuler nos commandes. Quand c’est possible, reportons-les : cela offre de la visibilité aux chefs d’entreprise, leur permet de se projeter et d’adapter leur outil de travail. Communiquons avec nos partenaires sur la façon dont on traverse la crise sanitaire. Soyons transparent avec nos banquiers, avec le tribunal de commerce si cela est nécessaire, avec la Banque de France, avec nos fournisseurs et nos clients. Enfin, utilisons les aides de l’État de façon raisonnable. Si notre trésorerie nous permet de payer l’Urssaf par exemple, n’utilisons pas les reports de paiement proposés par l’État.

Vous appelez à plus de solidarité entre les entreprises. Par rapport au printemps, n’estimez-vous pas qu’il y a au contraire davantage de tensions ? Avec le confinement d’automne, le monde économique s’est beaucoup déchiré, autour d’Amazon, des questions de distorsion de concurrence…

Je ne sais pas s’il y a plus ou moins de tensions. En revanche, il y a différentes catégories d’entrepreneurs. Il y a ceux qui s’adaptent et il y a ceux qui se plaignent qu’Amazon fasse du e-commerce. Un entrepreneur qui n’a pas mis en place un système de click & collect, un site internet ou une solution digitale pour répondre à ses clients, sa responsabilité est entière. Et il ne peut pas se reporter sur la responsabilité d’Amazon.

"Plus que jamais, nos modèles entrepreneuriaux doivent être motivés par le bien-être humain plus que par la performance économique"

Ce que je remarque, c’est que les valeurs que défend le CJD depuis 82 ans n’ont jamais autant été d’actualité. Notre philosophie consiste à mettre l’économie au service de l’Homme. La crise sanitaire nous montre que ce qui est le plus important dans une entreprise, ce sont les collaborateurs et leur capacité à s’impliquer. Plus que jamais, nos modèles entrepreneuriaux doivent être motivés par le bien-être humain plus que par la performance économique. Cette dernière est un prérequis, mais elle est souvent la conséquence de la performance globale de l’entreprise, qui prend aussi en compte les dimensions sociales, sociétales et environnementales.

Comment sentez-vous les dirigeants d’entreprise au sortir de cette année de crise sanitaire ?

Nous sommes dans une situation paradoxale. Ce qui est très étonnant, c’est que nous avons au CJD des entreprises qui vont plutôt économiquement bien, mais dont les dirigeants sont en souffrance. La moitié des JD (jeunes dirigeants membres du CJD, NDLR) ont ainsi un bon, voire un très bon, niveau d’activité. 30 % d’entre eux manquent de visibilité, sans que cela leur soit vraiment préjudiciable. En revanche, 20 % vont mal, et certains très mal, notamment dans les secteurs de l’événementiel, de la communication et de la restauration. Le paradoxe, c’est qu’il est difficile en ce moment de libérer la parole, qu’il y a des dirigeants qui ont tendance à se refermer sur eux plutôt que d’assumer le fait qu’ils sont en souffrance.

Qu’est-ce qui explique cette souffrance ?

La charge mentale et la charge psychologique que le confinement nous fait vivre sont difficiles. Le fait de ne plus avoir de lien social complique les choses. Plus que jamais, la difficulté consiste à prendre de bonnes décisions. Avec la crise sanitaire, une décision peut totalement être remise en cause du jour au lendemain. Beaucoup de dirigeants ont le sentiment d’être au milieu du gué et se demandent dans quelle direction aller, sachant qu’un mauvais choix peut leur coûter leur boîte… L’enjeu aujourd’hui, au-delà de l’économie, est psychosocial, dans l’accompagnement, dans l’écoute des autres, dans l’entraide.

Comment une association comme le CJD peut-elle aider à atténuer cette souffrance ?

Nous investissons dans des outils digitaux permettant de maintenir un lien entre les dirigeants. Nous réfléchissons ainsi à créer des plateformes de e-learning ainsi qu’une web TV, pour continuer à apporter du contenu à nos adhérents. Sur des sujets sérieux, mais avec un ton décalé, parce que les chefs d’entreprise ont besoin d’un peu de légèreté en ce moment.

"Nous nous apprêtons à lancer un fonds de solidarité pour aider les jeunes dirigeants qui sont le plus dans le besoin"

Par ailleurs, nous mettons en place une plateforme téléphonique permettant aux dirigeants membres du CJD d’entrer en contact avec des psychologues. Nous nous apprêtons aussi à lancer un fonds de solidarité pour aider, non pas les entreprises, mais les jeunes dirigeants qui sont le plus dans le besoin. Abondé par les associations départementales, régionales, l’association nationale ainsi que par les JD, il doit permettre de financer des besoins personnels, comme la prise en charge d’une aide psychologique ou les funérailles d’un proche… Enfin, au travers des courriers manuscrits, nous comptons mettre en relation des entrepreneurs qui n’ont, a priori, aucune raison de se rencontrer. Il s’agit de les faire se challenger tous les mois, pour raconter comment ils vivent le moment, quels sont leurs projets, leurs rêves, etc.

Autre action de solidarité, à destination cette fois des jeunes : vous avez incité les dirigeants du CJD à recruter des alternants. Les chefs d’entreprise ont-ils répondu à l’appel ?

Nous espérions que les 5 200 adhérents du CJD recrutent 1 500 apprentis. Ils vont créer 2 000 postes en alternance. C’est donc hyper positif ! La jeunesse est l’un des piliers du CJD et nous lui consacrons beaucoup d’actions. Nous avons accueilli avec enthousiasme l’aide au recrutement d’alternants mise en place cet été par le gouvernement (une subvention de 5 000 à 8 000 €, mobilisable jusqu’au mois de février, NDLR). Il nous est apparu important de nous mobiliser sur ce sujet, d’être exemplaire et de recruter beaucoup d’apprentis. Il faut que nos entreprises arrivent à faire la même chose avec les stages de troisième. Le gouvernement le rend optionnel cette année. Je comprends cette décision étant données les circonstances. Mais j’appelle tous les entrepreneurs à accueillir des collégiens chez eux. Sinon quel message envoie-t-on aux jeunes de quinze ans, sur leur avenir, sur leur capacité à se projeter dans l’entreprise ? Il faut se mobiliser : c’est notre rôle sociétal !

Comment agissez-vous sur ce sujet ?

Nous échangeons avec Sarah El Haïry (secrétaire d’État à la Jeunesse, NDLR) et avec Thibaut Guilluy (haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, auprès de la ministre du Travail, NDLR). Nos entreprises se tiennent à la disposition des écoles pour accueillir des stagiaires. Je regrette juste le peu de contact avec les écoles. Elles n’osent pas nous appeler…

La solidarité économique, c’est aussi les 100 milliards d’euros mis sur la table dans le cadre du plan de relance. Le trouvez-vous efficace ?

Les outils de survie - comme les PGE - sont très bien calibrés et ont été très rapidement mis en place Je trouve cela remarquable. En revanche, sur les milliards d’euros du plan de relance, on aurait pu faire différemment.

C’est-à-dire ?

Arrêtons avec les aides ! Plutôt que verser des aides, que l’État oriente ses achats vers les entreprises ! Cela coûtera aussi cher, mais cela aura un impact autrement plus important sur les territoires. Un entrepreneur crée des emplois parce qu’il a des clients et du chiffre d’affaires, parce qu’il a de la visibilité, pas parce qu’il a décroché une subvention.

"Plutôt que de donner des aides aux entreprises, donnons-leur des marchés et de la visibilité."

Chaque année, entre 120 et 150 milliards d’euros d’achats publics sont commandés par l’État. Le problème, c’est que les acheteurs publics sont devenus des cost-killers. On leur demande de faire des économies, ce qui a des effets dévastateurs pour les territoires.

Prenez un marché que je connais bien : au niveau de la protection des individus, pas un seul gant n’est fabriqué en France, tout provient d’Asie. Non seulement, cela rend notre pays dépendant des importations, mais cela prive aussi les entreprises de business. Plutôt que de donner des aides aux entreprises, donnons-leur des marchés et de la visibilité.

L’État est-il le seul responsable de cette situation ? Les entreprises et les citoyens n’ont-ils pas aussi leur part de responsabilité ?

Évidemment, mais l’État a des leviers d’action. Ce que n’a pas toujours le consommateur. Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter un peu plus cher un produit parce qu’il est fabriqué en France.

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