CCI France : "Si nous ne donnons pas de l'oxygène aux entreprises maintenant, elles vont mourir"
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Alain Di Crescenzo président de CCI France "Si nous ne donnons pas de l'oxygène aux entreprises maintenant, elles vont mourir"

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Envoyées au secours des entreprises françaises par l’État, les chambres de commerce et d’industrie sont aux premières loges des conséquences désastreuses de la guerre en Ukraine sur l’économie tricolore. Inflation, pénuries, endettement… Le nouveau président de CCI France Alain Di Crescenzo, élu en janvier 2022, tire la sonnette d’alarme. Et appelle les patrons en difficulté à se faire aider.

Pour Alain Di Crescenzo, président de CCI France depuis janvier 2022, les entreprises font face à une multitude de défis, à commencer par l’explosion de leurs coûts et la "rareté" des matières premières — Photo : David Bécus

Après deux années de pandémie, les entreprises font face aujourd’hui aux conséquences de la guerre en Ukraine. Quels sont vos conseils pour les aider à surmonter cette nouvelle crise économique ?

Avant tout, contactez votre référent à la CCI ! Sur notre site, vous trouverez une carte interactive avec leurs coordonnées par département. Il est très important de ne pas attendre, car l’impact de cette "crise après la crise" est très important sur les entreprises. La conjoncture pèse sur les coûts de production, soumis à la hausse des prix de l’énergie, des matières premières et à l’inflation généralisée, qui renforce le coût du travail. Or, plus vous attendrez, plus vous prendrez le risque de difficultés économiques, voire de cessation de paiement.

Concrètement, que proposez-vous aux entreprises qui vous sollicitent ?

Les CCI ont été désignées par l’État comme des interlocuteurs de première ligne dans ce dossier. Notre mission est donc triple. Premièrement, informer et orienter les dirigeants sur toutes les mesures de soutien du gouvernement. Notre plateforme numérique sur la guerre en Ukraine fournit, par exemple, les mesures du plan de résilience en temps réel, des liens vers des guichets spécialisés ou les initiatives de certains partenaires, comme la "Supply chain resilience platform". Elle permet de soutenir les entreprises européennes impactées par les problèmes d’approvisionnement.

Deuxièmement, nos 121 conseillers dédiés proposent un accompagnement personnalisé aux entreprises, en fonction de leurs problématiques. Ils peuvent les aider à monter des dossiers, si besoin.

En troisième lieu, nous signalons à l’État les éventuels dysfonctionnements ou points d’amélioration que nous identifions. Les mesures du plan de résilience restent générales, alors que nous faisons face à de nombreux cas spécifiques. Sur les prix de l’énergie, par exemple, rien n’a été prévu pour les sociétés dépendantes du fioul.

« Nous lançons un avertissement sur la rareté des matières premières. »

Quelles sont les principales difficultés qui vous remontent du terrain ?

Aujourd’hui, 90 % des entreprises nous signalent être gênées par la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, ainsi que par des difficultés d’approvisionnement. Le tout impacte, bien sûr, leurs prix de production.

Mais au-delà de cette question de l’inflation, il y a un enjeu de rareté de la matière première. Et là, on lance un avertissement, car les entreprises nous disent qu’en moyenne, leurs stocks de matières premières sensibles, ou de composants électroniques, ne dépassent pas quatre à six semaines. Autrement dit, si rien ne se passe dans six semaines, elles arrêtent leur production. C’est particulièrement le cas dans l’industrie papetière.

Des organisations professionnelles assurent déjà que certaines entreprises travaillent à perte…

En tout cas, si on ne leur donne pas de l’oxygène, elles vont mourir. Elles ne peuvent pas ne pas répercuter les hausses de prix, c’est impossible. Entre l’augmentation des matières premières, de l’énergie et du coût du travail, on ne peut qu’aller vers de l’inflation. Maintenant, on doit travailler dans la modération pour ne pas rentrer dans une spirale infernale. C’est le travail des médiations en cours dans chaque filière, entre donneurs d’ordres et sous-traitants. C’est aussi le métier des CCI.

Avez-vous noté d’autres tensions liées à la crise russo-ukrainienne ?

Oui, et de différents ordres. Il y a les aspects logistiques : comment acheminer mes marchandises ? Nous avons le cas d’un fabricant qui devait livrer en Russie une machine, vendue à 2,5 millions d’euros. Pour l’instant, il a dû la garder en stock. Nous avons des questions d’ordre contractuel : comment me faire payer et en quelle monnaie ? comment faire jouer des clauses de force majeure et récupérer mes avances ou acomptes ? Des interrogations légales aussi : comment bénéficier des aides publiques ? comment mettre à jour mes prix ? quels sont les produits sous embargo avec la Russie ?

Justement, que dites-vous aux entreprises impliquées dans ce pays ?

Nous recommandons l’extrême prudence à celles qui commercent avec la Russie. Nous sommes des entrepreneurs, il faut prendre un risque mesuré. À celles qui ont des investissements là-bas, il faut suivre les recommandations de l’État. Après, chaque entreprise est souveraine dans son action. Mais n’oublions pas non plus que, derrière, il y a des femmes et des hommes, russes, ukrainiens ou français. Les patrons ont aussi une responsabilité envers eux.

« Je le dis clairement aux entreprises : le PGE n’est pas une subvention, c’est bien un prêt qu’il faut rembourser ! »

Parmi les difficultés rencontrées par les entreprises, l’endettement et le remboursement des prêts garantis par l’État ne sont plus un problème aujourd’hui ?

Cette inquiétude avait commencé avant la crise en Ukraine. La dette est forcément une solution de court terme, parce qu’il faut la rembourser. Je dis donc clairement aux entreprises : le PGE n’est pas une subvention, c’est bien un prêt ! À partir du moment où l’on demande des moratoires, ça vient entacher votre bilan, c’est presque un défaut de paiement.

CCI France ne plaide donc pas, comme d’autres, pour un allongement de la durée d’amortissement ?

Si. On aurait pu maintenir le calendrier initial si on en était resté au Covid-19. Mais quand vous enchaînez deux crises d’affilée comme aujourd’hui, il faut absolument trouver des solutions. Nous avons toujours été favorables à donner plus de temps à l’entreprise pour qu’elle puisse honorer sa dette. De mon côté, je suis pour, d’une part, allonger la durée de remboursement du PGE et, d’autre part, réfléchir à sa transformation en une dette qui remonterait plus haut dans le bilan et ne compterait donc pas dans l’endettement à moyen terme de l’entreprise.

En revanche, avec le nouveau prêt garanti du plan de résilience, mon message aux dirigeants est à la prudence : le recours à la dette, ça va un temps, mais il faut la rembourser. Et si vous rajoutez du prêt sur du prêt, vous augmentez aussi le risque de défaut de paiement.

En résumé, le tableau que vous dressez de la situation des entreprises n’est guère réjouissant…

Certes, mais nous avons des outils à notre disposition dans le plan de résilience, même s’ils doivent encore être améliorés. L’aide financière aux activités très dépendantes de l’énergie, par exemple. Sur le papier, elle est généreuse - jusqu’à 25 millions d’euros. Mais parmi les 300 000 entreprises avec lesquelles nous avons été en contact, aucune n’y a recouru. Nous avons donc prévenu les pouvoirs publics que cette mesure était très difficilement applicable, car trop compliquée, avec un respect des critères difficile à vérifier, notamment pour une PME.

« Je ne demande pas à l’État plus d’argent pour les CCI, seulement qu’il stabilise nos ressources. »

L’État mobilise aujourd’hui les CCI pour aider les dirigeants en proie à la crise russo-ukrainienne. Pourtant, il a raboté les ressources financières du réseau consulaire à plusieurs reprises ces dernières années. Avez-vous encore les moyens d’assumer cette mission, en plus des autres ?

C’est un sujet de préoccupation permanente. Pour rappel, en 2013, notre budget dépassait 1,3 milliard d’euros. En 2022, nous en sommes à 525 millions. Vous imaginez l’effort que nous avons dû faire ! Très peu d’établissements publics ont divisé leur budget par quasiment trois, comme nous. Les CCI ont donc contribué à faire en sorte que l’État fasse des économies.

Nos moyens doivent être maintenant stabilisés, pour au moins deux raisons. Premièrement, nous sommes arrivés à un plafond de facturation des entreprises. Nous offrons une base gratuite de services publics, désormais complétée par des prestations payantes, plus spécialisées. Or, on ne peut pas oser facturer plus qu’avant les entreprises, au moment où elles sont en difficulté financière ! Il faut plutôt les alléger de leurs coûts. Sinon, vous annulez les efforts de l’État qui, de l’autre côté, leur a accordé des dégrèvements.

Deuxièmement, le niveau de prestation avant et après crise a changé. Auparavant, nous proposions beaucoup d’accompagnement collectif et généraliste. Maintenant, entre le Covid-19 et l’Ukraine, chaque cas est spécifique, chaque dirigeant présente des problématiques différentes. Ce qui exige un accompagnement sur-mesure, plus consommateur en temps et en personnel. Je ne demande donc pas plus d’argent, mais je dis qu’il faut stabiliser la ressource des CCI, parce que les entreprises en face de nous ont besoin, aujourd’hui, d’une prestation de service tout aussi stable.

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