Agnès Pannier-Runacher : "Dans le domaine de l’énergie, notre ambition est de prendre le leadership en Europe"
Interview # Industrie # Innovation

Agnès Pannier-Runacher ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie "Dans le domaine de l’énergie, notre ambition est de prendre le leadership en Europe"

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En déplacement à Nantes, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie, a accordé un entretien exclusif au Journal des Entreprises. Dans le contexte actuel de crise en Ukraine et de crise de l’énergie, elle fait part des inquiétudes des industriels, évoque le développement des filières énergétiques et parle des projets industriels conduits à l’échelle de l’Europe.

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie — Photo : David Pouilloux

Comment percevez-vous l’inquiétude des industriels dans cette période d’après Covid, pour l’Europe, mais de montée de l’épidémie du Covid pour la Chine ? D’autant que cette situation s’ajoute au contexte de guerre en Ukraine, qui entraîne crise énergétique et crise des matières premières ?

En effet, il y a tout d’abord des inquiétudes liées à des phénomènes mondiaux d’inflation des prix et de difficultés d’approvisionnements. Je crois pouvoir dire que les industriels ont le sentiment d’être entendus et accompagnés par le gouvernement dans cette période d’incertitude. Nous travaillons main dans la main sur ce sujet des tensions d’approvisionnement et l’inflation de prix. Les chefs d’entreprise reconnaissent pouvoir davantage compter sur l’État que leurs principaux concurrents d’autres pays européens. Par ailleurs, même s’il existe des difficultés, il y a un rebond très perceptible des projets industriels dans notre pays, avec des entreprises qui portent de nouveaux projets, qui accélèrent leur modernisation, leur innovation. Grâce au plan de relance, une entreprise sur trois en France a pu être accompagnée. Leur carnet de commandes est rempli. La principale difficulté dont me font part les entreprises, sur nos territoires, c’est le recrutement.

Pourtant, on constate une augmentation des défaillances d’entreprises depuis plusieurs mois ?

Cette situation était prévisible, et elle est normale. Pendant deux ans, on a eu une diminution tellement importante des défaillances d’entreprise, qu’à un moment, on observe un effet de traîne. Les entreprises qui auraient dû disparaître vont disparaître. Mais en dépit de cela, sous sommes très en dessous de la tendance de fond, qui est normalement de 50 000 défaillances d’entreprise par an. Là, nous sommes à 30 000 défaillances sur les 12 derniers mois.

L’un des sujets qui préoccupe le plus les Français, et les industriels en particulier, est la question de l’énergie. Comment s’articule le projet de notre pays pour les mois et les années à venir sur ce sujet ?

Ce projet comporte deux volets, un volet énergétique et un volet industriel. Il est porté à la fois par une vision territoriale, avec des territoires d’industrie. Il aide les PME et les ETI à grandir, se moderniser, et à investir dans l’automatisation et dans la transition écologique. C’est le cas, par exemple, dans la région nantaise, avec la filière des énergies marines renouvelables ou de l’hydrogène, avec des acteurs comme Lhyfe. De l’autre côté, sur le plan national, c’est une vision pour construire les filières industrielles du futur. Ces filières, ce sont dix "objets" portés par le plan France 2030. La moitié des investissements de l’État iront à la décarbonation de notre industrie : nucléaire, hydrogène bas carbone, nouvelle motorisation automobile, avion… Derrière cela, il y a l’idée de redevenir maître de notre destin, en travaillant sur la sobriété énergétique et sur le déploiement des énergies renouvelables. L’autre moitié ira vers les filières spatiales, santé et alimentation notamment. Ce sont des secteurs essentiels pour notre avenir, et notre souveraineté. Le contexte actuel et la pandémie de covid nous confortent dans cette direction.

"En France, nous sommes très en retard sur le déploiement de l’éolien, en raison de recours contentieux dont fait l’objet chaque projet"

Les Pays de la Loire sont très concernés par ce sujet avec l’installation de la première éolienne offshore sur le parc éolien de Saint-Nazaire, mi-avril. C’est un enjeu majeur pour le gouvernement ?

J’ai visité le parc éolien de Saint-Nazaire, avec le premier ministre Jean Castex, en août dernier. Il sera le premier livré à la fin de cette année. Dans les années à venir, pour notre pays, il y aura un très fort développement de notre parc éolien marin, avec un projet porté par le Président de la République à 50 parcs en mer à l’horizon 2050, avec 100 000 emplois à la clé. En France, avec des acteurs comme General Electric et Gamesa Siemens, nous avons des sites importants à Saint-Nazaire, au Havre, à Cherbourg, capables de produire les mâts, les nacelles, les pales. Nous serons même capables de livrer des champs éoliens marins aux États-Unis, et c’est une grande fierté. Mais en France, nous sommes très en retard sur le déploiement de l’éolien, en raison de recours contentieux dont fait l’objet chaque projet. Nous travaillons sur des mesures juridiques, une ordonnance, pour accélérer les procédures administratives de validation des installations classées.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, faut-il aller encore plus vite pour se libérer de la dépendance au gaz, pétrole et charbon ?

Bien avant la guerre en Ukraine, dans le plan France 2030, nous avions lancé un accompagnement pour accélérer cette sortie des énergies fossiles. L’objectif est d’arriver à produire de l’électricité à un prix compétitif, car c’est déterminant pour les industriels. L’autre objectif, c’est de savoir comment un industriel de la sidérurgie, du ciment, peut utiliser l’hydrogène bas carbone pour compacter ces émissions de gaz à effet de serre. Le continuum industriel est en place.

La force de la France se joue aussi au niveau européen. Quels sont les grands projets qui vont permettre à l’Europe de préparer son avenir industriel et énergétique ?

Les deux grands projets les plus emblématiques sont celui autour de la batterie électrique d’un côté et celui sur l’hydrogène bas carbone. Le projet pour les batteries électriques a démarré il y a deux ans et demi. Le continent européen doit rattraper son retard sur l’Asie, sur la Chine en particulier. Il y a 4 ans, on n’existait pas sur ce sujet. Aujourd’hui, on est le continent leader en termes d’investissements pour constituer un "Airbus des batteries électriques" avec plus de 3 milliards d’euros de l’Europe. S’ajouteront les investissements privés à hauteur de 9 milliards. L’autre grand projet concerne l’hydrogène vert, l’hydrogène bas carbone, celle qui est produite grâce aux énergies renouvelables. Nous avons lancé des appels à manifestation d’intérêt pour les entreprises. Sept milliards d’euros seront consacrés à cette filière, rien qu’en France. Dans le domaine de l’énergie, notre ambition est de prendre le leadership en Europe des investissements industriels sur les filières bas carbone et sur les technologies environnementales.

"C’est dans l’industrie que l’on va inventer les technologies pour transformer le monde, lutter contre le changement climatique et résoudre les problèmes de la planète"

La France peut-elle redevenir un grand pays industriel et peut-elle attirer les talents, les jeunes en particulier ?

Entre 1980 et 2016, on a détruit des emplois industriels, on a désindustrialisé la France. Depuis 2017, nous créons de l’emploi industriel dans notre pays. Nous avons plus d’usines qui se construisent que d’usines qui ferment. Nous avons les savoir-faire en France, les techniciens, les ingénieurs, les opérateurs, et les formations avec de belles carrières possibles pour nos jeunes, avec une variété de parcours et de métiers, ouverts à tous les talents, et à tous les niveaux de formations. Cela a du sens de travailler dans l’industrie. Car c’est dans l’industrie que l’on va inventer les technologies pour transformer le monde, lutter contre le changement climatique et résoudre les problèmes de la planète. En outre, ce sont des filières où les rémunérations sont supérieures de 25 % aux autres secteurs privés. C’est donc intéressant en termes de pouvoir d’achat. Aujourd’hui, les jeunes qui s’engagent dans l’industrie, choisissent leur entreprise, ce ne sont pas les entreprises qui les choisissent.

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