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Tribunal de commerce de Brest : « Le manque de visibilité est problématique »
Interview Brest # Juridique

Dominique Magueur président du tribunal de commerce de Brest Tribunal de commerce de Brest : « Le manque de visibilité est problématique »

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Le président du tribunal de commerce de Brest s'inquiète de la faible activité de sa juridiction trois semaines après le déconfinement. Il redoute que les demandes de mise sous protection n'affluent à partir du 10 août, date de la reprise de l'obligation pour les entreprises concernées de se déclarer en cessation de paiements.

— Photo : © Jean-Marc Le Droff / Le Journal des entreprises

Avez-vous reçu beaucoup de demandes de mise sous protection depuis la fin du confinement ?

Dominique Magueur : Non. L’activité reste réduite, notamment du fait des dispositions qui nous demandent de ne pas traiter autre chose que de l’urgence. Pour vous donner un ordre d’idée, avant la crise, nous prononcions en moyenne une vingtaine de liquidations ou de redressements chaque mois. Depuis mi-mars, nous n’en avons traité qu’une dizaine. Dans leur grande majorité, elles concernent des entreprises qui avaient déjà des difficultés, et pour lesquelles la crise a été la goutte d’eau de trop, en plus de la réduction de l’activité mais aussi l’épuisement des dirigeants qui se projettent mal sur un combat qui consistera uniquement à boucher des trous.

La suspension jusqu’au 10 août de l’obligation de déposer le bilan dans les 45 jours suivant l’état de cessation de paiements est probablement une bonne mesure, car elle permet de préserver le tissu économique à un moment où les entreprises ne peuvent pas honorer toutes leurs créances pour la simple et bonne raison qu’elles ne fonctionnent pas normalement. À l’heure actuelle, les obliger à déposer le bilan au moindre retard de paiement aurait naturellement été un non-sens. En revanche, ce manque de visibilité est très problématique. Par exemple, on ne sait toujours pas quand certains secteurs vont pouvoir rouvrir, ni dans quelles conditions ou encore à quelle vitesse la reprise va se faire. Je pense notamment aux secteurs du tourisme ou de la culture, dont dépendent un très grand nombre d’entreprises. Certaines d’entre elles sont certes sous "perfusion" grâce à certaines échéances qui ne sont pas prélevées, mais la difficulté sera pour après car il faudra bien les rembourser un jour ou l’autre.

En parallèle, le fait que l’État ait donné des consignes à l’Urssaf pour ne pas assigner les entreprises qui n’arrivaient pas à payer durant la crise est aussi une bonne chose en soi. Mais le revers de la médaille, c'est que ces assignations étaient aussi un moyen pour nous de les identifier le plus tôt possible afin de déclencher des prises de conscience et de trouver des solutions.

Vous vous inquiétez aussi du manque de visibilité des entreprises sur leur propre comptabilité ?

D.M. : En effet, car les cabinets comptables ne peuvent pas être aussi présents qu’il le faudrait aux côtés des dirigeants, tout simplement car ils ont dû, eux aussi, prendre des mesures d’activité partielle alors qu’ils étaient en pleine période d’arrêt des comptes. Certaines entreprises n’ont donc pas de visibilité chiffrée depuis leur bilan du 31 décembre 2018 !

Continuez-vous d'avoir des sollicitations ?

D.M. : Oui, quelques entreprises, dont certaines de taille significative, ont pris conscience des difficultés auxquelles elles allaient devoir faire face dans les mois à venir. Elles sont venues vers nous pour qu’on prenne des mandats ad hoc, qui permettent de lancer des procédures amiables et confidentielles afin de les aider à traverser la crise. Mais cela me semble encore peu représentatif au regard du tissu économique de notre territoire. Un territoire qui reste par ailleurs très exposé à la saisonnalité, et l’on sait d’ores et déjà que les établissements liés au tourisme, à l’hôtellerie-restauration ou à l’événementiel ne pourront pas fonctionner normalement cet été. Nous sommes vraiment dans une zone de flou. Une phase durant laquelle il ne se passe pas grand-chose… Mais l’on sait malheureusement qu’elle n’est que temporaire.

Quid des procédures lancées avant la crise ?

D.M. : Nous avons effectivement quelques affaires de contentieux ou des procédures collectives en cours, mais là encore nous ne pouvons pas procéder à toutes les audience habituelles ou encore aux points d’étape que nous faisons régulièrement avec les mandataires. Tout cela nous empêche de savoir exactement à quel niveau de difficulté les entreprises concernées se situent. Et certaines d’entre elles risquent malheureusement de disparaître car le retournement ne sera plus possible faute d’avoir pu agir à temps et dans les bonnes conditions pour les accompagner.

Quel est votre message pour les dirigeants en difficulté ?

D.M. : Qu’ils n’hésitent pas à venir s’informer auprès du tribunal de commerce, car il existe des procédures amiables et confidentielles qui ont de bons taux de réussite. Et ces procédures sont d’autant plus efficaces qu’elles sont engagées le plus en amont possible.

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