Paul Friedel : Chercheur à l'esprit d'entreprise

Paul Friedel : Chercheur à l'esprit d'entreprise

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Paul Friedel a pris la direction de Télécom Bretagne. Chercheur de formation, il est surtout un homme d'entreprise qui tente de concilier recherche fondamentale et innovation industrielle. Isabelle Jaffré
— Photo : Le Journal des Entreprises

Être chercheur et travailler en entreprise est une chose. Être chercheur au service de son entreprise en est une autre. Polytechnicien (promo 1976), docteur en physique des solides, Grand prix de l'électronique «Général Férrié» (1996), Paul Friedel, le nouveau directeur de l'école Télécom Bretagne, est un chercheur, sans aucun doute. Mais c'est dans l'industrie qu'il a choisi de travailler. Avec en tête, l'idée que la recherche doit servir l'entreprise. «Dans le labo d'AT & T Bell Labs (New Jersey, États-Unis) où j'effectuais mon année post-doctorale, les meilleurs scientifiques couraient après le prix Nobel, se souvient-il. C'est très bien. Mais cela me posait un problème: ils travaillaient pour un labo industriel. Or, leurs recherches ne bénéficient pas forcément à leur employeur.»




Recherche et industrie

Cette quête d'équilibre entre recherches fondamentale et appliquée sera le fil rouge de sa carrière. En 1987, Paul Friedel rejoint le cabinet du directeur de la Recherche de Philips, à Eindhoven. En grimpant dans la hiérarchie ? directeur du développement à Philips Électronique grand public en 1994, président du laboratoire d'électronique et de physique appliquée (LEP) en 1997?, il se penche sur le lien entrerecherche et le développement de produits industriels. Chez Philips, le choix se porte sur la contractualisation de la recherche. «70% étaient consacrés à la recherche pour les divisions, 30% restaient libres.» Pourtant, pour Paul Friedel: «Le contrat de recherche n'est pas la bonne solution. Mais la recherche déconnectée non plus.» En 2005, directeur de recherche et de la stratégie d'Orange Labs R & D, c'est un autre système qui est tenté. «Cette fois, les chercheurs et responsables industriels se rencontrent annuellement avec ensuite des points d'étape. Objectif: définir l'orientation d'Orange Labs. Pas de veto possible mais des discussions sur les débouchés potentiels des recherches. «Et les demandes des responsables du groupe sont prises au sérieux par ceux de la recherche». Un dispositif qui ne le satisfait pas complètement non plus. «Aujourd'hui, selon moi, on n'a toujours pas trouvé la solution adéquate. Les scientifiques doivent chercher sur les sujets qui leur plaisent. Mais sans délaisser le côté marketing. Il faut savoir ?vendre? sa recherche.» Parallèlement à ces problèmes autant managériaux que scientifiques, Paul Friedel n'en oublie pas le coeur de son métier: l'innovation. Chez Philips, il prend part au lancement de la télé numérique au début des années 90. Non sans mal. «En partie parce que Philips était très fort en analogique, personne dans la société n'y croyait. Sauf nous.» Pendant quatre ans, Paul Friedel se «bat contre un dogme» qui veut que le numérique ne soit pas faisable. Pour des questions techniques, le choix se porte sur le satellite plutôt que la TNT ou le câble. «Il fallait réfléchir au business model. Et ce, dès le début, explique Paul Friedel. On a cherché un partenaire qui pourrait financer le tout.Ça a été Canal+». Paul Friedel s'approche ensuite un peu plus du monde industriel. Il supervise la fabrication des décodeurs dans l'usine de 400 personnes, à Louviers (Eure). C'est là qu'il réalise qu'en innovant, il faut aussi penser à donner du travail aux salariés qui fabriquent. Car plus les décodeurs se simplifient, moins Philips a besoin de main-d'oeuvre. L'usine a finalement fermé. «C'est un autre sujet de réflexion. Je pense qu'il ne faut pas laisser tomber l'industrie en France.»




Liens avec l'enseignement

Une autre fermeture a également marqué Paul Friedel. Celle du labo qu'il dirige chez Philips, suite à la catastrophe financière de 2000. «C'est encore le sujet d'une grande souffrance pour moi. C'est terrible d'avoir dû fermer un labo en France», confie-t-il. Il rejoint ensuite Diebold. Pour une très courte période, que le directeur de Télécom Bretagne qualifie pudiquement «d'intéressante». La firme de l'Ohio (États-Unis) est spécialiste des systèmes de sécurité. Le Français souhaite les faire tester par le MIT*. «Ils n'ont pas compris que je fasse appel à des intervenants extérieurs pour connaître la fiabilité des systèmes. Au final, je n'y suis resté qu'un an.» Son arrivée à la tête de l'école d'ingénieurs brestoise Télécom Bretagne, il l'explique comme une opportunité. «J'ai toujours eu des liens avec l'enseignement supérieur: Isen de Toulon, des jurys de thèse,etc. Et puis, je m'étais toujours dit que c'était exactement le genre de poste que j'aimerais occuper en fin de carrière... Même s'il me reste encore quelques années!»




MIT* Massachusetts institute of technonoly, l'une des meilleures universités américaines.