Loïc Hénaff : « Dire aux consommateurs : n'oubliez pas votre territoire ! »
Interview # Agroalimentaire # Réseaux d'accompagnement

Loïc Hénaff président de Produit en Bretagne Loïc Hénaff : « Dire aux consommateurs : n'oubliez pas votre territoire ! »

S'abonner

À la fois dirigeant de l’entreprise familiale de produits agroalimentaires Hénaff, président de Produit en Bretagne et membre de l’Association Bretonne des Entreprises Agroalimentaires, Loïc Hénaff n’a pas chômé pendant la crise du coronavirus. À l’heure de la reprise, il veut rester prudent, craignant de mauvaises surprises collatérales dans l’économie bretonne.

— Photo : Isabelle Jaffré

Le Journal des Entreprises : Vous avez de nombreuses casquettes, entre dirigeant d’une entreprise de l’agroalimentaire et président de Produit en Bretagne. Comment avez-vous vécu cette crise ?

Loïc Hénaff : Je l’ai plutôt bien vécue parce que j’ai autour de moi deux très bonnes équipes, à la fois chez Hénaff et chez Produit en Bretagne. Chez Hénaff d’abord, nous avons augmenté la fréquence de nos comités exécutifs, grâce aux visioconférences : 42 pendant ces deux mois et demi de confinement. J’ai appliqué ce qui s’appelle un management à rênes courtes, comme tout le monde, je pense. La difficulté, tout de suite identifiée, c’est que ça allait être un marathon et pas un sprint. Il fallait garder de l’énergie, se ménager un peu. Peu à peu, on a espacé les réunions qui, de quotidiennes les premières semaines, sont devenues hebdomadaires. On a clos cette période fin mai. De même chez Produit en Bretagne, j’ai beaucoup échangé en visioconférence avec Malo Bouëssel du Bourg, le directeur, qui lui-même avait ses équipes en ligne régulièrement.

Le rôle de Produit en Bretagne a-t-il évolué avec la crise sanitaire ?

Loïc Hénaff : Il ne faut pas nous demander ce que l’on n’est pas capable de faire. Nous ne sommes pas un syndicat d’une profession, pas les CCI ou le Medef. Produit en Bretagne est la somme des envies, des dirigeants et des salariés d’entreprises bretonnes (420 membres) de collaborer pour vivre et progresser. Nous n’avons été invités à aucune réunion officielle avec les préfets par exemple et c’est tout à fait normal. Nous ne sommes pas là pour nous substituer à des organismes officiels, mais pour être complémentaires. C’est aussi une liberté pour nous. Eux ont fonctionné pendant la crise pour accompagner les entreprises. De notre côté, nous facilitons les contacts entre les adhérents, notamment. Produit en Bretagne est un outil pour ce que les instances officielles ne peuvent pas apporter.

Le réseau a-t-il continué à fonctionner pendant le confinement ?

Loïc Hénaff : Nous avons continué d’avancer sur certains sujets bien évidemment. Nous avons, par exemple, lancé une collaboration que l’on souhaitait depuis longtemps - déjà il y a 3 ou 4 ans – avec la pêche, à l’image e ce que l’on fait avec les Agriculteurs de Bretagne. C’est enclenché avec Breizh Mer (outil de consolidation de la filière pêche bretonne, NDLR), même si cela reste à écrire. On souhaite non pas fusionner mais s’entrelacer. Nous avons aussi tissé des liens avec l’organisme Origine France Garantie pour fonctionner ensemble sans se marcher sur les pieds.

« Le rôle de Produit en Bretagne est d’apporter notre contribution à l’écosystème régional. »

Vous avez aussi beaucoup communiqué pendant et après le déconfinement, pourquoi ?

Loïc Hénaff : De façon historique, Produit en Bretagne communique beaucoup en mai. C’est une opération que nous réalisons depuis dix ans avec un prospectus commun à 93 produits de toutes marques dans différents magasins. C’est quelque chose qui n’existe nulle part ailleurs à ma connaissance. Pendant la crise, il était important de poursuivre cette démarche de mise en valeur des produits bretons. Les enseignes de la grande distribution ont d’ailleurs ont joué le jeu : Super U, Carrefour, etc. Ça a été exceptionnel.

Au début de la crise, nous avons également un peu joué les pompiers auprès des producteurs de fraises. Ils ont dû jeter des tonnes de fraises les premiers jours faute de débouchés ! Nous nous sommes mobilisés pour aider à faire passer le message aux consommateurs de manger des fraises. C’est un message que nous voulons continuer à faire passer : ne pas oublier son territoire, même dans cette période particulière. C’est cela notre rôle : apporter notre contribution à l’écosystème régional.

Et pas seulement dans l’agroalimentaire, dites-vous ?

Loïc Hénaff : Les entreprises de l’agroalimentaire sont minoritaires dans l’association. Depuis le 1er juin, nous communiquons sur différents supports (presse, réseaux sociaux, etc.) sur les entreprises de services, de l’industrie de Produit en Bretagne. L’idée est de mettre en valeur ces entreprises de services par des vidéos de présentation.

« J’ai un peu changé d’avis sur le télétravail dans mon entreprise. »

La crise a engendré beaucoup de bouleversements dans la manière dont les entreprises fonctionnent. Y a-t-il des pistes de réflexion pour Produit en Bretagne ?

Loïc Hénaff : C’est encore un peu tôt pour le dire. Mais les commissions ont continué à travailler. Une chose que je souhaite voir perdurer, ce sont les conférences en visio que nous avons commencées. Par exemple, fin mai, nous étions une cinquantaine de personnes connectées un lundi soir à 18 heures pour écouter l’éclairage du géographe Jean Ollivro sur la crise. C’est quelque chose de nouveau, qui permet de participer à ce genre d’échange depuis son bureau, sans avoir à faire le déplacement. D’autant que nous sommes tous devenus des spécialistes en outils de visioconférence désormais !

Et dans votre entreprise, Hénaff, qu’est-ce que la crise a changé ?

Loïc Hénaff : Il y a beaucoup plus de télétravail ! Je n’y étais pas vraiment favorable avant. Je trouvais qu’il y avait un risque de démobilisation, des problèmes de coordination et que cela pouvait créer des fractures dans l’entreprise. Même si j’étais conscient des avantages comme le fait d’éviter de longs trajets, que cela rendait l’entreprise plus attractive. Nous avions d’ailleurs signé un accord d’entreprise sur le sujet en fin d’année dernière.

La crise du coronavirus m’a fait un peu changer d’avis. Nous avons été jusqu’à 68 travailleurs en télétravail. Nous avons fait une enquête et 87 % des gens étaient satisfaits. C’est le cas aussi parce que nous avons été forcés d’accélérer sur le choix des outils. On a également instauré des pauses-café en visio pour éviter l’isolement des salariés.

Pour ce qui est de l’atelier, les changements ont été moins radicaux car il y avait déjà beaucoup d’hygiène. Nous fonctionnons en niveau d’hygiène par cercle concentrique. On va sans doute garder les masques qui n’étaient jusqu’alors pas obligatoires dans les cercles les plus extérieurs. Nous avons également eu moins de visites du site et nous nous y sommes habitué.

Hénaff fait partie des 13 entreprises pilotes du système Agil’agro qui permet le prêt de main-d’œuvre entre entreprises. Qu’en avez-vous pensé ?

Loïc Hénaff : Au début de la crise, nous avions 16 % d’absentéisme, pour garde d’enfants ou autre, alors que nous continuions à produire. C’est notre DRH, Christelle Ageneau, qui nous a dit : « on a l’outil ! Il est prêt. » Nous ne l’avions simplement pas encore utilisé. Nous sommes donc passés à l’action. Et des salariés de Globe Export et de la chocolaterie Robinet sont venus travailler chez nous. Les circonstances de la crise ont permis de davantage faire les choses, de faire en sorte que les choses arrivent.

Comment envisagez-vous les mois à venir ?

Loïc Hénaff : C’est très compliqué de se projeter. Je pense qu’on ne mesure pas encore complètement la crise. D’autres mauvaises surprises peuvent arriver, comme la fermeture un temps envisagée de la Fonderie de Bretagne du Groupe Renault. La Bretagne peut s’en sortir grâce à son esprit solidaire et sa culture du « faire ensemble ». Ce qui me marque dans cette crise, c’est qu’elle est très injuste. Une entreprise en pleine lancée peut se trouver d’un seul coup en difficulté. Je vois aussi d’autres externalités négatives, comme pour les apprentis qui ont actuellement du mal à trouver des entreprises. C’est également très injuste pour ces jeunes. Il faut faire attention à cette fracture.

# Agroalimentaire # Réseaux d'accompagnement # Conjoncture