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Les PME bretonnes en quête de haut débit
Enquête Bretagne # Informatique # Infrastructures

Les PME bretonnes en quête de haut débit

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L’accès à l’internet très haut débit en Bretagne passe par la fibre optique. 100 % de la péninsule devra être raccordée à fin 2026, a fixé la Région. Le maître d’ouvrage, Mégalis, met les bouchées doubles. En attendant, les entreprises bretonnes, particulièrement en zone rurale, recherchent des solutions alternatives pour accéder au haut débit. Un enjeu essentiel à l’heure des logiciels de gestion en ligne et de la dématérialisation.

Un technicien en train de déployer la fibre en Côtes-d’Armor — Photo : Mégalis Bretagne

Objectif 2026. C’est la date fixée par la Région pour que 100 % de la Bretagne soir raccordée à la fibre optique pour un accès à l’internet très haut débit. Pour y parvenir, le maître d’ouvrage, Mégalis, met les bouchées doubles : 300 chantiers sont en cours dans les zones rurales. Les grandes villes, elles, sont gérées par les opérateurs télécoms.

Car la Bretagne a du retard, beaucoup de retard. En septembre 2021, la Cour des comptes pointait dans un rapport que "la moyenne nationale des zones moins denses d’initiative publique couvertes en fibre était de 20 % au quatrième trimestre 2019 (12 % en 2018), la Bretagne est non seulement moins couverte mais elle déploie plus lentement son réseau." Au premier trimestre 2020, selon les données ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques), le territoire couvert par Mégalis ne comptait que 1 206 000 foyers dont 6,2 % couverts par la fibre.

Nouveau prestataire pour Mégalis

"Quand on regarde la carte de l’ARCEP, toutes les zones en France où le déploiement de la fibre a été confié à Orange sont en retard. En Bretagne, c’est incompréhensible au regard d’une géographie assez peu complexe comparée à des zones de montagnes par exemple", fait remarquer un connaisseur du dossier, dirigeant d’une PME de télécommunications hors de Bretagne. "Du fait de la demande en haut débit, qui a explosé depuis la crise sanitaire, cela ralentit le développement économique de votre territoire", poursuit-il.

Mégalis avait confié en 2015 la gestion de son réseau et le raccordement final des usagers à THDB (très haut débit Bretagne), filiale à 100 % d’Orange, pour une durée initiale de 17 ans. Au vu, notamment, du retard accumulé, Mégalis a signé, au printemps 2019, un nouvel accord avec, cette fois, le groupement Axione - Bouygues Énergies & Services pour accélérer la construction du réseau. "Il y a beaucoup à faire. 1,4 million de prises sont à construire (pour fibrer 1 100 communes), alors qu’il n’y en a que 100 000 achevées à fin mars 2022. Nous sommes sur un rythme de 4 000 prises par semaine. Globalement, en zone rurale, on fait ce qu’il y a de plus dur. Ce n’est pas pour rien que les opérateurs d’infrastructures comme SFR ou Orange ne sont pas allés fibrer ces zones", rend compte Quentin Pichard, en charge de la communication chez Mégalis. "Nous avons parfois des zones où il faut déployer 150 mètres de fibre pour une seule habitation. Ça multiplie par 10 le travail, quasiment…"

Un technicien soude deux fibres optiques — Photo : Orange

Vers un FTTH pour les "pro"

Tout le monde s’accorde à le dire, le déploiement de la fibre optique dans toute la Bretagne est un enjeu crucial pour l’attractivité des zones rurales et pour la bonne marche des entreprises. 80 % d’entre elles, sur le plan national (chiffres Arcep), utilisent aujourd’hui le réseau FTTH (celui des particuliers) pour se connecter à l’internet très haut débit. Et vont continuer de le faire, pour des raisons de coûts maîtrisés. "L’outil numérique devient de plus en plus stratégique dans la production des entreprises, avec des nécessités d’interconnexion, de sauvegarde et de sécurisation de leurs données, explique Yann Uguen, responsable des services opérateurs chez Mégalis. On va sans doute voir émerger un FTTH de Monsieur et Madame Tout le monde mais pour les professionnels, avec un haut niveau de services et une ingénierie plus sécurisée." Mégalis sortira d’ailleurs, d’ici l’été, un petit guide explicatif à l’attention des entreprises.

Car, en attendant la fibre, les entreprises doivent trouver des solutions alternatives. Le réseau FTTO (fibre jusqu’au bureau) en fait partie. "Sur le FTTH, dont l’acronyme est "Fiber to the home", on raccorde des logements et par extension des locaux professionnels. C’est l’artisan, le commerçant, ou la toute petite entreprise. C’est différent du FTTO (acronyme de "Fiber to the office"), qui est du réseau dédié à l’entreprise, explique Olivier Mallégol, directeur réseaux chez Orange Grand Ouest. Si Legendre (le promoteur rennais, NDLR) demande à Orange d’assurer un raccordement très haut débit de l’ensemble de ses sites, nous amenons une fibre dédiée sur chacun de ses sites et il aura son infrastructure dédiée d’un point à point."

Mais avec un prix d’installation pouvant représenter plusieurs milliers d’euros, selon le zonage, et des offres entre 700 et 800 euros/mois, selon le niveau de services. C’est dix fois plus cher que le FTTH. Une mauvaise surprise pour les entreprises qui veulent passer à la fibre, à l’image d’Agencement Paul Champs (70 salariés, 23M€ de CA) à Guipavas (Finistère), il y a environ 4 ans. "Nous sommes allés voir les prestataires habituels : SFR, Bouygues, Orange, se souvient Stéphane Dautresire, responsable du bureau d’études. On s’est vite trouvé devant une problématique : le coût exorbitant pour être raccordé dans notre zone d’activité."

Des antennes en attendant la fibre

À la recherche d’une solution alternative, les équipes de la PME ont trouvé l’entreprise finistèrienne Xankom (14 salariés, 1,2 M€ de CA). "Xankom nous a permis d’avoir accès à une solution fibre dédiée à un coût plus raisonnable. En attendant d’être raccordé, ils ont même mis en place une antenne radio grâce à laquelle nous avons pu avoir du haut débit en une semaine. Aujourd’hui, elle sert de réseau de secours quand la fibre est en panne", explique Stéphane Dautresire, qui apprécie aussi le côté local de son prestataire. "Ils sont, comme nous, basés à Guipavas. Quand nous avons une question, un souci, on a un interlocuteur tout de suite. C’est un gros avantage", note le responsable.

Installation d’une antenne internet par Xankom — Photo : Xankom

Car Xankom, l’un des trois opérateurs bretons membres de l’AOTA (Association des opérateurs télécoms alternatifs) avec Izzycom à Quimper et Netensia à Saint-Avé (Morbihan), s’est en partie spécialisé dans le raccordement des zones blanches en Bretagne. Une véritable mission pour Gabriel Francheteau, dont l’aventure a commencé en 2009. En une dizaine d’années, l’opérateur a raccordé plus de 800 entreprises et particuliers bretons à internet. L’entreprise a récemment ouvert une agence à Pontivy pour couvrir le Morbihan et le centre Bretagne. En novembre 2021, l’entreprise Sanders est devenue un relais internet Haut Débit grâce à l’antenne qui culmine à 110 m de hauteur sur la tour du site industriel de Saint-Gérand (Morbihan).

Une antenne qui profite maintenant à d’autres entreprises du secteur, en attendant la fibre. Implantés à Saint-Gonnery, en limite du Morbihan et des Côtes-d’Armor, les Transports Postic (300 salariés, 28,1 M€ de CA en 2020) est de celles-là. La PME connaît par cœur le sujet des zones blanches internet. "Nous sommes en plein dedans", résume Javier Avila, directeur informatique du groupe de transport. Pour le transporteur frigorifique et logisticien, internet est un casse-tête avec des connexions anciennes et avec un seul opérateur comme interlocuteur : Orange. Alors que la fibre qui alimente l’hôpital passe à deux pas de la société, celle-ci n’y a pas accès. La fibre arrive aussi dans le bourg voisin mais les travaux finaux pour connecter l’entreprise seraient à sa charge pour un coût de 30 000 à 40 000 euros. "Nous fonctionnons grâce à l’antenne sur le site de Sanders. C’était primordial. Le siège social de l’entreprise est ici et nous sommes multisite. Nous avons notamment un établissement secondaire à Servon-sur-Vilaine mais tout est piloté, notamment les applications, depuis le Morbihan", poursuit Javier Avila.

Volonté politique

Pour d’autres entreprises, le manque de haut débit vire parfois au cauchemar. "Ça a été un jeudi noir pour Pythagore." Nicolas Perrine, dirigeant du spécialiste des plans de travail de cuisine Pythagore (70 salariés, 9 M€ de CA) à Bon-Repos-sur-Blavet (Côtes-d’Armor), a vécu des moments difficiles lorsqu’il a, après une année de développement de son nouvel ERP, "appuyé sur le bouton". "Nous ne nous étions pas posé trop de questions ni n’avions effectué de mesures de débit. Et là, rien ne fonctionnait : on ne pouvait même pas effectuer les actions les plus simples." Contacté, son fournisseur d’accès lui propose… de lui installer une box supplémentaire. "Nous avons dû mettre en stand-by notre projet, qui consistait à installer des solutions SAS." Une déception pour le chef d’entreprise et ses équipes, dont le travail aurait été simplifié et l’échange d’information permis instantanément grâce au cloud, par exemple entre les installateurs et les concepteurs des plans de travail.

L’entreprise Pythagore (Côtes-d’Armor) réalise des plans de travail, a dû retarder un projet de nouvel ERP faute de haut débit — Photo : Matthieu Leman

Ce n’est qu’un an plus tard, en 2021, que la solution a été trouvée. À la suite d’une réunion avec Mégalis, qui a appris au chef d’entreprise que le secteur de Bon-Repos-sur-Blavet ne serait raccordé qu’en… 2030, Nicolas Perrine est entré en contact avec plusieurs fournisseurs alternatifs dont Xankom. Ce dernier lui a d’abord offert une solution provisoire pour mettre en place les principales fonctions de son ERP, avec un système d’agrégation de lignes avec des clés 3G en soutien. Surtout, le fournisseur finistérien propose une solution pérenne d’internet à haut débit, qui passe par l’installation d’une antenne sur le château d’eau de Rostrenen.

Soutenu par la Communauté de communes du Kreiz-Breizh, le système hertzien pourrait potentiellement fournir le haut débit à une centaine d’entreprises dans un rayon de 20 kilomètres autour de Rostrenen. "La volonté politique est essentielle dans ce domaine. Nous ne demandons pas d’aides directement, mais les projets qui ont bien fonctionné sont ceux où les entreprises et les particuliers ont, eux, reçu des aides pour se connecter. Cela permet notamment de rendre le territoire plus attractif", insiste Gabriel Francheteau, le gérant de Xankom. Quinze à vingt entreprises se seraient déclarées intéressées par le projet costarmoricain. Nicolas Perrine le premier, d’autant qu’il investit dans l’automatisation de son outil de production. Un investissement entre 1,2 et 3 millions d’euros qui n’aurait pas été possible sans cette promesse du haut débit.

CALENDRIER DE DÉPLOIEMENT DE LA FIBRE EN BRETAGNE — Photo : Source : Arcep / Mapbox / OpenStreetMap
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