Les entreprises du spatial bretonnes visent les étoiles
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Les entreprises du spatial bretonnes visent les étoiles

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La montée en puissance d’un spatial privé ouvre de nouvelles perspectives de marché aux entreprises. La Bretagne a depuis quelques années déjà décidé de structurer son écosystème fait de start-up, de laboratoires et d’industriels, pour peser et devenir une région du spatial, à l’image de l'Occitanie.

— Photo : © DR

Il n’y a pas que Toulouse qui compte dans le spatial. La Bretagne aussi veut se positionner sur ce marché, notamment avec l’avènement du "New space", l’industrie du spatial d'initiative privée, en plein développement. L’espace était d’ailleurs l’un des thèmes de la dernière "Sea Tech Week", qui s’est tenue à Brest et en ligne mi-octobre. L’occasion pour les acteurs de présenter la constellation Angels. Ces nano satellites, lancés en 2019, sont destinés à fournir des services d’Internet des objets (IoT) par satellite grâce à une nouvelle génération de l’instrument Argos (système de localisation par satellites).

Si la plupart des entreprises associées à Angels sont toulousaines, la rennaise Syrlinks (100 salariés, 14 M€ de CA), spécialisée dans le développement et la fabrication de produits de radiocommunication et de géolocalisation, fait partie du projet. « Nous avons pu apporter notre expertise dans le domaine des radiocommunications spatiales, du traitement numérique du signal, du logiciel ainsi que notre maîtrise du référentiel New Space, explique Guy Richard, PDG de Syrlinks. Le développement des charges utiles (parties qui permettent de remplir la mission pour laquelle le satellite a été conçu, NDLR) s’inscrit pleinement dans la stratégie de l’entreprise et nous permet de diversifier notre offre de produits de radiocommunication spatiale avec des fonctions plus évoluées. »

Boost, pionner du spatial entrepreneurial à Brest

Photo : © Isabelle Jaffré

« Historiquement, la compétence spatiale en Bretagne est davantage liée à la recherche et le domaine académique : photonique, signal, réseaux, océanographie, etc. Mais c’est de moins en moins vrai depuis quelques années avec l’émergence à partir des années 2000 de sociétés qui proposent des applications et services du spatial », note Philippe Monbet, directeur adjoint du Pôle Mer Bretagne Atlantique (PMBA), en charge du "booster" Morespace. Ce consortium est constitué de cinq partenaires bretons : le PMBA, le Pôle Images et réseaux, le groupement d'intérêt scientifique Bretel qui fédère les activités de recherche autour des activités de télédétection, la French Tech Brest + et la SATT Ouest Valorisation.

Et c’est justement pour favoriser l’émergence de telles entreprises qu’a été créé le Morespace en 2016. « L’État s’est aperçu que la France avait l’infrastructure satellitaire mais un déficit d’entreprises qui exploitait ces données », indique Philippe Monbet. Plusieurs boosters régionaux ont alors vu le jour, dont Morespace pour la Bretagne et les Pays de la Loire. Il affiche aujourd’hui 23 projets portés pour 15 millions d’euros de budget avec financements de l’Agence nationale de la recherche pour les plus axés sur la recherche, mais aussi Bpifrance pour ceux davantage applicatifs. « La difficulté pour les plus petits acteurs est de capter les informations et les financements, poursuit-il. Nous informons les acteurs de l’écosystème de ce qui se passe au niveau européen où se trouvent les financements, mais aussi au niveau national, régional, local. Notre rôle est d’accompagner la dynamique lancée en 2002 avec l'entreprise Boost et qui se poursuit avec Syrlinks, Ocean Data lab (R & D), Exwexs (prévisions météorologiques), Kermap (utilisations données satellites), e-Odyn (suivi des courants marins), etc. ».

Créé par Vincent Kerbaol, Boost a fait office de pionnier pour le spatial breton. La société a été vendue au toulousain CLS (opérateur d’Argos) en 2008, mais le site de Plouzané (Finistère) a été conservé et même renforcé en 2009 avec l’inauguration du radar Vigisat, première station collaborative mondiale du satellite Sentinel-1. Vincent Kerbaol, issu du monde de la recherche, a suivi avec attention l’arrivée de nouveaux acteurs autour de CLS à Plouzané : « L’installation de l’antenne a permis l’émergence d’autres entreprises car il y avait un savoir-faire présent », estime-t-il.

Une volonté politique

Une étude a été réalisée cet été auprès de structures liées au spatial : 104 acteurs ont répondu (lire par ailleurs). « Il y a 150 à 200 acteurs en Bretagne. Mais il est difficile de vraiment les identifier car, pour certains, il s’agit seulement d’un de leurs marchés. Ce que l’on peut dire c’est que tous les segments de la chaîne de valeur spatiale sont présents sur le territoire. Les développements d’applications et d’équipements utilisateur, ce qu'on appelle le secteur aval (utilisation des données satellites pour la météo ou le suivi des bateaux par exemple, NDLR) concernent la majeure partie des entités travaillant dans le spatial dans la région », indique l’ambassadeur du Centre National d'Études Spatiales (CNES) en Bretagne, Nicolas Bellec.

Bien conscient du potentiel pour les entreprises bretonnes dans le domaine spatial, la Région Bretagne a signé une convention de partenariat avec le CNES en 2019. « Cela témoigne d’une réelle volonté de structurer, de valoriser l’activité et de créer un environnement favorable au développement des technologies spatiales et de leurs applications », explique Nicolas Bellec.

« Le Pôle Mer Bretagne Atlantique, le booster Morespace, le technopôle Brest-Iroise, toute cette structuration est essentielle. Sans eux, ce ne serait pas judicieux d’être à Brest », témoigne Marc Lennon, patron d’Hytech Imaging à Plouzané (6 salariés, CA NC). Créée en 2016, la start-up utilise des données satellites pour mesurer les fonds marins avec pour application le suivi des algues, de l’érosion côtière, etc.

Pour les acteurs bretons du spatial, l’intérêt de la structuration ne tient pas vraiment dans le fait de préférer des partenaires bretons. « On travaille très bien avec des Toulousains ! », lance par exemple le patron de la start-up costarmoricaine Samea innovation (1 salarié, CA NC), Sébastien Amiot, qui a mis au point un traceur de géolocalisation. L’utilité se trouve plutôt dans la possibilité d’être davantage visible grâce au nombre. La jeune pousse de Pléneuf-Val-André a d’ailleurs intégré l’incubateur ESA-BIC Nord, de l’Agence spatiale européenne.

Spatial et mer, spécialité brestoise

Autre lauréate de cet incubateur piloté par le technopôle Brest-Iroise, e-Odyn (8 salariés, CA NC), basée à Plouzané, spécialiste du calcul des courants de surface à partir des données de géolocalisation AIS (Automatic Identification System) transmises par les navires via satellite. Pour son créateur, Yann Guichoux, « il est plus simple d’accéder aux grands groupes du secteur quand on est dans cet incubateur. On gagne en visibilité ». La start-up e-Odyn, créée fin 2015, fait partie de ces jeunes entreprises nées dans le sillage de l'entreprise Boost sur le marché de la surveillance maritime. « À la pointe bretonne, il y a une forte présence du spatial lié au maritime, notamment parce que l’on a des compétences dans le domaine avec des laboratoires, Ifremer… », souligne Yann Guichoux, voisin de bureau d’Hytech Imaging.

« Pour les entités issues de l’aval, près de 62 % sont spécialisées dans le service et le développement d’application utilisant les données satellites. Et la moitié d'entre elles travaille à partir de données d’observation de la Terre », confirme Nicolas Bellec, du CNES. On peut citer également Open Ocean, Quiet Ocean, Ocean Data Lab, etc. Une compétence maritime renforcée par Morespace qui s’est spécialisé dans les projets marins : « le nom est un jeu de mots avec 'mor', mer en breton, et 'space', espace en anglais », sourit Phillippe Monbet du PMBA.

L’enjeu du "new space"

Alors que Brest pèse côté mer, l’écosystème rennais semble, lui, bien présent sur le nouveau marché du "New space" avec Syrlinks, qui est déjà reconnu à l'international, mais aussi avec Unseenlabs, qui s’est fait remarquer mi-2019 en lançant son premier nanosatellite. L’entreprise de 14 salariés (CA NC) vise 20 à 25 nanosatellites dans les prochaines années. Ce nouvel opérateur a été créé en 2015 par Clément et Jonathan Galic, deux frères ingénieurs dans l’aérospatial à Toulouse pendant 15 ans. « Nous avons choisi Rennes parce que nous sommes Rennais d’origine », explique Clément Galic. Leur technologie intéresse les États pour la surveillance en mer, les producteurs d’énergie en mer et les organisations non-gouvernementales. Mais pas que : les acteurs bretons regardent aussi avec intérêt ce qu’ils font. « C’est clair que c’est intéressant avec une constellation moins coûteuse et qui colle à nos besoins », note Yann Guichoux, d’e-Odyn. Même CLS, qui a pour actionnaire le CNES, regarde tout cela de près. « Le marché du spatial s’appuie sur le "new space" aujourd’hui avec davantage de technologie et de capacité. Cela démocratise l'accès à l'espace », analyse Vincent Kerbaol.

Grâce au "new space", de nouveaux marchés vont donc s’ouvrir, pour les applications, mais aussi à l’amont de la filière. De quoi aiguiser l’intérêt d’industriels bretons qui travaillent parfois ponctuellement pour le spatial. Reconnue pour la construction de voiliers pour la course au large, le chantier vannetais Multiplast (100 salariés, 14 M€ de CA) s’est diversifié depuis plusieurs années. Outre l’industriel, l’aéronautique, l’éolien ou la défense, la PME a déjà travaillé pour le secteur spatial en réalisant notamment la coiffe de la fusée Ariane. Aujourd’hui, son directeur général, Yann Penfornis « se dit très intéressé par la structuration de l’offre en Bretagne, par l’existence d’un ambassadeur. Nous sommes bien sûrs prêts à nous positionner sur ces marchés. »

La Bretagne structure son écosystème spatial depuis quelques années. — Photo : © DR
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