L’apprentissage breton malmené par la crise
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L’apprentissage breton malmené par la crise

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Avec la crise sanitaire et économique liée à l’épidémie de Covid-19 et malgré les mesures incitatives du gouvernement, nombre d’incertitudes ont pesé cet été sur le nombre de candidats et de places en alternance dans les entreprises, instaurant le flou pour la rentrée de septembre. La situation inquiète de nombreux dirigeants bretons, pour qui l’apprentissage reste un levier essentiel pour accélérer la relance et assurer l’avenir de leur entreprise.

— Photo : © IFRIA-Ouest

« On a tellement entendu parler de la crise économique à venir que beaucoup de jeunes ou de parents se sont demandé comment ils allaient trouver une entreprise qui les accepte en stage », s’inquiétait début juillet Norbert Penvern, le directeur de l’Ifac-Campus des métiers de Brest, qui forme chaque année près de 1 900 alternants dans une soixantaine de filières distinctes : alimentation, assistanat, gestion, automobile, coiffure, commerce, vente, hôtellerie-restauration, santé… « On s’est donc retrouvé fin juin avec davantage d’offres d’entreprises que de candidats, notamment dans la partie alimentaire et commerce non-alimentaire », analyse celui qui, en temps normal, voyait déjà entre 100 et 150 offres non pourvues chaque année.

Même son de cloche du côté de l’antenne quimpéroise de l’Ifria-Ouest, qui forme chaque année près de 430 apprentis aux métiers de l’agroalimentaire. « Les grands groupes et les PME étaient en recherche d’apprentis dès la fin du mois de mai. Et comme chaque année, nous n’avons malheureusement toujours pas assez de jeunes pour répondre à la demande. Et la crise n’arrange pas les choses », soupirait celle qui n’arrive habituellement pas à satisfaire entre 200 et 250 offres par an.

Chute drastique des offres dans l’industrie

Une situation qui s’avère encore plus compliquée dans l’industrie. « Les entreprises qui ont le mieux travaillé au mois de juin ont peut-être atteint 80 % de leur chiffre d’affaires, quand les autres sont toujours limitées à 40 ou 50 % de leur activité normale », expliquait ainsi début juillet Katell Gillouaye, la présidente de l’UIMM 35-56. « Le recrutement d’apprentis intervient donc dans ce contexte difficile, où les plans d’action des entreprises et les investissements sont freinés ou à l’arrêt. Or, l’aspect économique entre aussi en ligne de compte lorsqu’il s’agit de signer des contrats d’apprentissage… », analysait celle qui dirige par ailleurs Gillouaye SAS à Guichen (35), une PME de 50 salariés spécialisée dans la construction de silos métalliques. Début juillet, l’UIMM 35-56 faisait ainsi état de 388 postes d’alternants à pourvoir contre 529 jeunes en recherche d’un contrat, et d’une chute de près de 30 % du nombre de contrats signés par rapport à la même période l’année dernière.

« Le risque, c’est que les jeunes se tournent vers la formation initiale »

Comme chaque année, Thierry Troesch, le cogérant de ST Industries (108 salariés, 10 M€ de CA) recrutera quant à lui entre 3 et 5 apprentis en septembre. Mais l’industriel se montre plus soucieux en ce début d’été quand il reprend sa casquette de président de la CCI Côtes-d’Armor et chef de file de Bretagne de France Industrie. « Nous nous inquiétons pour la rentrée, car les entreprises qui ont été touchées de plein fouet par une baisse de leur activité - je pense notamment aux secteurs de l’aéronautique et de l’automobile - ne sont évidemment pas dans une logique d’embauche. Bien sûr, les primes sont intéressantes et devraient avoir un effet d’accélérateur, mais encore faut-il avoir du travail à donner aux jeunes. Il est donc primordial que toutes les entreprises qui en ont les moyens soient au rendez-vous pour les embaucher afin qu’il n’y ait pas une génération d’apprentis sacrifiée du fait de la crise qui s’annonce », plaide-t-il.

Car la situation pourrait avoir des conséquences à plus long terme. « Face à la difficulté de trouver des contrats d’alternants, le risque est que les jeunes se retournent vers la formation initiale », abonde Katell Gillouaye, qui emploie deux à trois alternants chaque année. « Or, la branche reste convaincue que c’est avec ces publics que l’on fait les meilleurs recrutements. Et j’en suis convaincue moi-même en tant que cheffe d’entreprise. Les alternants grandissent bien dans l’entreprise, ils ont une meilleure connaissance de la conception des produits, ce qui leur permet de progresser rapidement à l’issue de leur alternance ».

Primordial pour assurer le maintien des compétences clés

Un avis partagé par Naval Group, qui embauche chaque année 60 à 70 nouveaux apprentis sur son site de Brest pour compléter son volant annuel de 110 alternants. « Après analyse, nous prendrons autant d’alternants en septembre que les années passées », assure le groupe, pour qui l’apprentissage est primordial « afin d’assurer le maintien de nos compétences clés et d’en développer de nouvelles en lien avec l’évolution des technologies et des métiers ». Au Crédit Agricole des Côtes-d’Armor, l’apprentissage est lui aussi devenu « un élément stratégique pour construire l’avenir de la caisse », confirme Chantal Larnicol, la responsable RH en charge de la soixantaine d’apprentis que la caisse embauche chaque année. Un vivier de talents qui représente aux alentours de 20 % des recrutements annuels.

Une philosophie que l’on retrouve également dans des entreprises de taille plus modeste. « L’apprentissage fait partie de notre histoire mais aussi de notre avenir », soutient ainsi Bertrand Briero, qui dirige l’entreprise de construction bois Briero (30 salariés, 2,50 M€ de CA) à Mauron (56). « Nous devons former aujourd’hui des apprentis car ils seront les compagnons de demain et les garants de la pérennité de savoir-faire », insiste celui qui compte quatre apprentis dans ses effectifs. Et s’il salue les mesures incitatives du gouvernement, il note lui aussi l’impérieuse nécessité d’une activité et d’une visibilité suffisantes pour s’engager dans le recrutement d’apprentis.

Agir plutôt que subir

Pour contenir l’hémorragie, - à l’image de nombreuses filières et dans le sillage de Muriel Pénicaud qui a pris son bâton de pèlerin fin juin pour promouvoir les mesures fortes du gouvernement en faveur de l’apprentissage -, la FFB 56 et la Capeb du Morbihan ont elles aussi choisi de passer à l’offensive. Au sein du CFA Bâtiment Morbihan comme sur le terrain, les deux structures multiplient ainsi les actions pour recruter des apprentis. « Cette crise sanitaire a créé de l’inquiétude. Nous avions peur de revivre 1998 ou 2008 : là tout s’était arrêté. Ce n’est pas ce que nous observons actuellement », rappelle Aude Le Vaillant, secrétaire générale de la FFB du Morbihan. « Notre organisation se fait le relais de la campagne nationale initiée en juin et intitulée « Vos futurs compagnons sont vos apprenti.e.s de la rentrée de septembre ». Associée aux aides du gouvernement (lire ci-contre), cette campagne augure plutôt de bonnes choses. Les carnets de commandes de nos entreprises sont relativement bien remplis. Reste la question des perspectives et du trou d’air annoncé alors que les entreprises ont des besoins de main-d’œuvre. Il va falloir conjuguer tout cela », résume-t-elle.

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