Bretagne
La filière bois bretonne planche sur son avenir
Enquête Bretagne # Agriculture

La filière bois bretonne planche sur son avenir

S'abonner

La filière bois bretonne tente de s’en sortir sur un marché en forte tension. À court terme, les industriels cherchent à diversifier leurs approvisionnements. À long terme, la filière est consciente des besoins en renouvellement de la ressource en reboisant et en investissant dans de nouvelles usines.

Une peupleraie de Poder Bihan, à Plouégat-Guerand, dans le Finistère — Photo : Isabelle Jaffré

Aluminium, acier, plastique, verre… La crise générée par le Covid-19, accompagnée de changements géopolitiques dans le monde, provoque une pénurie des matières premières pour les entreprises. La filière bois en Bretagne n’y échappe pas, même si avec 400 000 hectares, soit 14 % du territoire breton contre 30 % au niveau national, la Bretagne n’est pas une région très forestière. Cependant, avec un chiffre d’affaires cumulé de plus de 2 milliards d’euros et représentant plus de 15 000 emplois, la filière bois bretonne est loin d’être négligeable. Et la crise d’approvisionnement qui se dessine actuellement impacte les PME et ETI régionales à l’image du morbihannais Briero. "Nous sommes face à une grosse pénurie et pris au dépourvu par ce qui se passe pour les bois résineux du nord de l’Europe qui partent en masse vers les États-Unis", indique Bertrand Briero, le dirigeant de l’entreprise basée à Mauron (30 salariés et 2,3 M€ de CA). Son entreprise est touchée de plein fouet par le sujet car elle évolue notamment dans la construction bois, la charpente et la couverture.

Capacité à 112 % des industriels du bois

"C’est la conjoncture qui provoque cette pénurie. Depuis la décision de Donald Trump, l’ancien président américain, de cesser de se fournir en bois au Canada, les États-Unis font appel à du bois européen pour leur plan de relance et mettent en tension le marché. Les Chinois aussi ont de fortes demandes", explique Olivier Ferron, délégué général d’Abibois. Cette association, basée à Rennes, regroupe 300 adhérents : des organisations professionnelles mais aussi des scieries, architectes, entreprises de bois énergies, négoces, exploitants forestiers, etc. Le constat de l’association est simple : "la filière connaît un dynamisme jamais vu jusque-là. Les niveaux d’activités moyens des entreprises, mesurés par Abibois au 1er trimestre 2021, sont de 112 % sur l’ensemble des activités et atteignent 115 % pour l’emballage industriel ou encore 113 % pour la première transformation."

Pour le groupe bretillien ISB, spécialisé dans le négoce de bois bruts et la transformation de bois raboté pour la construction (430 salariés, 411 M€ de CA en 2020) la demande a explosé, les rénovations et constructions de maisons étant en hausse. Techniquement, ISB pourrait donc produire plus pour répondre à cette demande, puisqu’elle est outillée pour. L’entreprise aimerait d’ailleurs pouvoir passer à trois équipes au lieu de deux sur ses usines, ce qui lui permettrait de poursuivre sa croissance. L’inconvénient, c’est qu’elle n’a pas assez de matières premières. "La pénurie est bien réelle, et elle nous limite dans notre stratégie de développement", affirme Benjamin Bodet, directeur général d’ISB. "Le Covid fait que les gens sont en télétravail, passent du temps chez eux et s’occupent de leur maison. On est dans un certain emballement au niveau des ventes. Nous avons un petit coup de pression que nous n’avions pas par le passé…", renchérit Patrick Duchaussoy, directeur commercial et marketing de Panaget (150 salariés, 28 M€ de CA en 2019), le spécialiste des parquets basé à Bourgbarré (Ille-et-Vilaine).

Diversifier les fournisseurs

Du côté de l’emballage aussi, on constate une tension sur le marché. "Je ne parlerais pas de pénurie, car le bois existe, mais il va ailleurs que chez nous. Surtout quand les Américains sont prêts à payer le double du prix !", fait remarquer Clément Samson, dirigeant de l’entreprise costarmoricaine Emballages Samson à Plancoët (260 salariés, 20 M€ de CA). Pour faire face, son entreprise peut cependant compter sur ses stocks.

Des cagettes pour l’agroalimentaire fabriquées en peuplier — Photo : Isabelle Jaffré

C’est aussi le cas de Briero. Pressentant la situation actuelle, Bertrand Briero a pu un peu anticiper. "Outre les coopératives d’achats ou les sociétés de négoce, nous travaillons aussi en local avec la scierie Hamon de Merdrignac, dans les Côtes-d’Armor. Les délais de livraison se sont allongés compte tenu de la demande." Le chef d’entreprise morbihannais collabore également avec une scierie du Jura qui peine à satisfaire la demande globale. Il ne sait pas aujourd’hui à quel prix il devra acheter ces stocks de bois sur lequel il s’est positionné. Si l’entreprise a ainsi pu constituer une réserve de bois pour assurer son activité jusqu’alors, le stock s’amenuise. "Si la pénurie se poursuit, nous entendrons parler de chômage partiel dans nos professions", s’inquiète-t-il. Panaget ne connaît pas non plus, pour l’heure, de difficultés pour son approvisionnement en chêne. La PME peut compter sur un réseau de scieries fidèles pour se fournir (une quarantaine de partenaires, de la Bretagne jusqu’aux Vosges). "Notre responsable des achats sillonne la France actuellement pour trouver de nouveaux partenaires et augmenter notre capacité d’achat en volumes", ajoute Patrick Duchaussoy.

Les partenaires historiques russes d’ISB, ont de leur côté continué de les fournir, mais en quantité identique. "Pour sécuriser notre capacité à nous approvisionner, nous devons trouver de nouveaux partenaires en plus." Un enjeu qu’ISB est en passe de réaliser, avec la signature imminente d’un partenariat confortant sa position d’importateur.

Reboiser

En attendant, ISB doit expliquer ses hausses de prix à ses clients. "Cette crise nous oblige à faire beaucoup de pédagogie, nous communiquons à outrance pour les informer et gérer cette crise de la pénurie", ajoute Philippe Samit, directeur marketing et stratégie d’ISB. Chez Legendre, le constructeur rennais (2 100 salariés, 630 M€ de CA en 2020), "on essaie de résister aux sirènes du moment sur des sujets comme le bois, explique Pascal Martin, directeur général du groupe. On assiste à un effet de mode sur le bois qui a contribué à avoir une demande énorme sur la construction. Cela conduit à une inflation très forte du coût du bois, donc du coût de la construction. Et, en plus, on arrive à un deuxième non-sens qui est qu’aujourd’hui certains, qui se sont engagés à construire en bois, vont le chercher en Estonie ou en Finlande alors qu’on est censé construire en bois pour améliorer le bilan carbone !"

Chez Emballages Samson, 40 % du bois (peuplier) vient de Bretagne, le reste arrive des régions françaises limitrophes et d’Europe. "J’aimerais pouvoir trouver davantage de bois en Bretagne, juge Clément Samson. Économiquement comme écologiquement, il est préférable d’avoir la matière première à 50 km plutôt qu’à 500 ! En ce moment, la Chine plante des peupliers par millions. S’il n’y a pas de politique forte en France pour replanter des bois, cela va être compliqué. On nous parle de la fin du plastique mais on n’en voit pas les effets. On ne prend pas de parts de marché au plastique aujourd’hui."

Clément Samson dirigeant d'Emballages Samson — Photo : Isabelle Jaffré

Pour agir, le dirigeant costarmoricain a participé au lancement d’un guide du populiculteur breton, élaboré par le CNPF (Centre régional de la propriété forestière). "Aujourd’hui, avec un cycle de vie plus court, 15 à 20 ans, quand d’autres essences demandent 30 ou 40 ans, une peupleraie fait sens économiquement", explique Arnaud Guyon, directeur du CRPF. Des aides de deux euros par plant sont également prévues pour favoriser le renouvellement de ce type de forêt. Car reboiser demande des investissements lourds. "Après avoir vécu sur un matelas des années 50 à 2000, moins d’arbres ont été replantés ces vingt dernières années. On en paye le prix aujourd’hui, rappelle le délégué général. Heureusement, en Bretagne, dès 2015-2016, on s’est aperçu du problème et Breizh Forêt Bois a été lancé." Grâce à ce programme du CNPF, en mars 2020, 1,2 million d’arbres étaient plantés sur 1 086 hectares de projets. L’objectif est d’atteindre 5 millions d’arbres en 2025.

Investir pour le futur

"Dans ce contexte, la pire des stratégies serait de juste gérer cette crise. Nous devons au contraire continuer à investir pour innover et nous équiper afin de pouvoir répondre quand la reprise sera possible", analyse Benjamin Bodet d’ISB, qui estime un retour à la normale "fin 2021 ou début 2022. Nous sommes dans un choc, mais les forêts sont en croissance, le bois a de beaux jours devant lui."

Olivier Ferron, délégué général d’Abibois (Fibois Bretagne) — Photo : Isabelle Jaffré

Une analyse partagée par Abibois, qui a interpellé les candidats aux régionales sur le sujet de la forêt et de son exploitation, sans recevoir beaucoup de réponses. "C’est pourtant un sujet qu’il faut penser sur le long terme et à l’échelle régionale. La demande forte va durer étant donné les réglementations sur la construction, la baisse du plastique", note Olivier Ferron.

Outre la situation actuelle, le dirigeant de Briero rappelle que "la France est la troisième forêt d’Europe", et qu’il faudrait songer à valoriser la filière bois. "Il faudrait aussi de belles usines pour travailler le bois comme cela se fait dans les pays d’Europe du Nord." Implanter une scierie nécessite environ 10 millions d’euros, d’après les estimations d’Olivier Ferron d’Abibois : "et c’est multiplié par trois ou quatre pour de la transformation multiple." L’autre enjeu est celui de la valorisation grâce à la R & D. "Là aussi, il faudrait investir, insiste Olivier Ferron. Nous avons du retard par rapport à des pays comme l’Allemagne sur les nouvelles utilisations du bois comme le bois béton ou pour l’isolation."

Bretagne # Agriculture # Industrie