Coopératives de croissance : Les dessous de l'affaire

Coopératives de croissance : Les dessous de l'affaire

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La mise en examen de Jean-Jacques Defaix, président des coopératives de croissance, fondateur de l'association d'aides contre les abus bancaires a secoué le petit monde de la finance dans le Finistère. Une affaire complexe, qui risque de durer. Explications.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Quel est le principe des coopératives de croissance fondées par Jean-Jacques Defaix? Investir directement dans les entreprises locales quand on est un particulier, c'est l'idée qui sous-tend ces coopératives financières. Les entreprises adhérentes sont aidées via des prêts à des taux élevés: 12, 15 voire 20%. Ce sont souvent des sociétés à qui les banques ont refusé de prêter. Aux épargnants, il est promis un taux rémunérateur alléchant: 6%. Les placements sont présentés comme défiscalisants (aide aux entreprises), sécurisés (fonds de garantie auquel cotisent les entreprises) et liquides. Le problème intervient quand il y a davantage d'argent récolté que redistribué. Il est alors plus difficile de payer les intérêts malgré des taux de prêts élevés (cf. infographie).

Comment était récolté l'argent?
Le plus souvent par des intermédiaires. Ces mandataires, se payent en commissions sur les sommes récoltées. Dans un compte-rendu d'assemblée générale de 2009, il est noté que 461.019€ leurs ont été payés pour «frais de collecte». Ces mandataires sont parfois des conseillers en investissements financiers (Cif), profession réglementée (cf. interview). Ont-ils vendu ces produits financiers sciemment ou les ont-ils commercialisés en ignorant le mécanisme? C'est l'enquête qui devra le déterminer. L'argent était ensuite distribué dans les différentes coopératives. Elles sont 28 en tout, car le nombre de souscripteurs est limité à 99 par la loi. Le tout était réuni en coopératives de coopératives de deux types: de croissance et des petites entreprises.
Qui sont ces mandataires?
Ils seraient une quinzaine dans le Finistère. Dans l'édition de septembre2009 du Journal des entreprises, deux des fondateurs de l'Européenne de Croissance, Claude Guéna du cabinet brestois Excel Finance, et Pascal Thomas, avançaient leur coopération avec la structure de Jean-Jacques Defaix. Claude Guéna et Pascal Thomas* ont depuis quitté cette coopérative, qui a été récemment mise en redressement judiciaire. Joint au téléphone, Pascal Thomas n'a pas souhaité s'exprimer. Claude Guéna, présenté dans un compte rendu d'AG de la coopérative des petites entreprises comme «le chef de réseau des mandataires», dément ce titre. «Il n'y avait pas de réseau, nous étions tous en direct avec les coopératives.Plusieurs fois, nous avons écrit à Jean-Jacques Defaix pour avoir des informations. Il répondait que tout allait bien.»

Pourquoi cette affaire?
Jean-Jacques Defaix a été mis en examen fin novembre pour «abus de biens sociaux, abus de confiance et escroquerie en bande organisée», entre autres. «Des chefs d'inculpations dont certains ne tiennent pas. Il n'y a pas eu d'enrichissement personnelpar exemple», souligne Me Courrège, son avocate. À l'origine de l'affaire, une alerte auprès de Tracfin (cellule française anti-blanchiment) du Crédit Mutuel de Bretagne sur des fonds transférés en Chine pour la construction d'un «village vitrine du savoir-faire des PME françaises». Déjà 4M€ ont été investis là-bas. Le site n'est pas totalement terminé. Si la justice s'intéresse au dossier, c'est qu'elle soupçonne un système ?pyramidal?: les intérêts des premiers souscripteurs seraient payés avec l'argent des derniers épargnants, et non par les remboursements des prêts. L'instruction est en cours, elle devrait durer deux à trois ans.
Combien d'épargnants, pour quel montant?
En juin2009, les deux coopératives ?mères? affichaient plus de 10M€ collectés. Avec 339 souscripteurs pour les coop de croissance, 378 pour les coop des petites entreprises. À la fin de cette même année, elle annonce plus de 4M€ collectés par la coop de croissance et entre 10 et 15M€ par la coop des petites entreprises.
Qui choisissait les entreprises aidées?
C'est l'une des grandes inconnues du système. Une ébauche de statuts parle d'une commission constituée de commerçants, d'industriels,etc. Mais dans les faits, c'est beaucoup plus flou (lire témoignage ci-contre). À fin 2009, on parle de 38 entreprises aidées (1,8M€ au capital social; 6M€ au compte-courant associé) sur 140 dossiers étudiés.
Y a-t-il des assurances?
Oui mais... Il en existe de deux types. La responsabilité civile et celle de représentation des fonds. La coopérative a contracté la première. Reste à savoir si elle pourra fonctionner. Pour cela, il faut que la faute soit civile. Or,

si des fautes pénales sont reconnues dans le futur, la compagnie d'assurance pourrait ne pas avoir à payer. Quant à l'assurance de non-représentation des fonds qui permet aux épargnants d'être remboursés, aucune trace pour l'instant.


Quelles conséquences pour les entreprises et les épargnants?
Les fonds sont pour l'instant gelés. Si les épargnants peuvent espérer les récupérer, ce ne sera de toute façon pas avant de nombreuses années. Quant aux entreprises aidées, elles devront rembourser leur prêt selon les contrats passés.

Quel était le contexte?
Créées en 2007, les coopératives ont connu un vrai succès à partir de la crise de 2008. La méfiance envers les banques et le fait que la Bretagne soit une terre de coopérative
s ont joué en leur faveur et contribué à leur développement rapide. Trop rapide, peut-être.

* Pascal Thomas est aujourd'hui gérant d'un cabinet à Brest. Son homonyme de Lorient, également gérant d'un cabinet en gestion de patrimoine, Bretagne Finances, n'est pas concerné par l'affaire.