Les producteurs de cidre bretons et normands en quête de la bonne formule
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Les producteurs de cidre bretons et normands en quête de la bonne formule

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Marqués par un net recul des ventes en 2020, les producteurs de cidre bretons et normands entendent accélérer la diversification de leurs activités. Mais entre les garants d’une certaine tradition et les start-up pleines d’ambition, la bonne alchimie reste à trouver.

La consommation de cidre, produit majoritairement en Bretagne et Normandie, recule doucement tous les ans — Photo : Guillevic

Les cidres bretons et normands sont en crise. La situation n’est pas nouvelle tant la consommation de cette boisson alcoolisée, produite à partir de jus fermenté de pommes, recule doucement, mais indéniablement, depuis plusieurs années. La crise du Covid-19 est venue accélérer le phénomène.

La fermeture des bars et restaurants accélère la crise

Selon une étude menée par la maison cidricole de Bretagne, les producteurs bretons ont ainsi accusé une perte de chiffre d’affaires moyen de -43 % en mars 2020, portée à -71 % en avril. Pour certains acteurs, dépendants majoritairement des cafés, hôtels et restaurants, la chute frôle -90 %. Pendant le premier confinement de 2020, même les ventes en grande distribution ont reculé.

"Le cidre est, par nature, une boisson festive", analyse Nicolas Poirier, président de la Maison Cidricole de Bretagne et producteur de cidre dans le Morbihan. L’association, qui regroupe 200 producteurs de pommes et près de 60 ateliers de cidre, s’inquiète déjà pour 2021 face au marasme ambiant. "L’année est mal engagée, soupire le président. Nous avons besoin de la réouverture des cafés, hôtels et restaurants, qui représentent 30 % de nos débouchés."

"Nous pouvons rester confiant sur nos capacités de rebond collectif"

Même son de cloche chez le voisin normand où la filière cidricole est lourdement impactée par la crise du coronavirus. Le chiffre d’affaires consolidé accuse une baisse de plus de -50 %. "Si le coup a été très rude pour certains d’entre nous, on peut rester confiant sur nos capacités de rebond collectif, tempère Philippe Musellec, directeur des Celliers Associés (45 millions d'euros de chiffre d'affaires, 110 salariés), qui développe la marque Val de Rance dans ses deux usines de Pleudihen-sur-Rance (Côtes-d’Armor) et Condé-sur-Vire (Manche). En grandes et moyennes surfaces, les ventes en volume de cidre reculent de -6 %, mais celles de champagne affichent -36 % et celles de la catégorie crémants/mousseux -26 %."

Aide à la destruction

Pour faire face à cette mauvaise passe, la filière a, heureusement, bénéficié, en 2020, d’une aide à la destruction. Cinq millions d’euros ont été mis sur la table par le gouvernement pour méthaniser les pommes et les volumes invendus. C’est la solution pour laquelle a opté la Cidrerie Nicol à Surzur (Morbihan). "Sans cette alternative, nous ne rachetions pas la même quantité de pommes que d’habitude et cela mettait en difficulté les producteurs", précise Jean-Michel Nicol.

Cette valorisation de crise ne résoudra pas tout, notamment, si la fermeture des cafés, hôtels et restaurants (CHR) se poursuit. "J’ai peur que ce ne soit pas suffisant, regrette Nicolas Poirier, de la Maison Cidricole de Bretagne. De toute façon, nous ne voulons pas détruire, mais vendre !" Cidriers depuis trois générations, les frères morbihannais Nicol pensaient pourtant avoir sécurisé leurs ventes avec un portefeuille de 2 000 clients crêpiers et revendeurs établis partout en France. "Nous lissions ainsi la saisonnalité de littoral avec des clients urbains le reste de l’année et les stations de ski l’hiver. Rien ne laissait penser qu’un jour, la filière des CHR fermerait."

Appellations et grands restaurants

De manière plus profonde, la crise du coronavirus est venue casser l’élan des filières cidricoles bretonnes et normandes. "Depuis plusieurs années, nous travaillons sur la qualité et l’image du cidre, explique le président de la maison cidricole de Bretagne. L’idée est de quitter l’image vieillotte des années 80 et 90 pour monter en gamme, grâce à des appellations comme l’indication géographique protégée "cidre de Bretagne" ou encore le cidre royal Guillevic en label rouge." En Normandie, la filière compte elle aussi trois IGP et huit AOP/AOC, dont le petit dernier, le Cidre du Perche, qui a obtenu son AOP en octobre 2020.

Pour ne pas rester cantonné à une consommation de saisonnalité et festive (Chandeleur, Épiphanie, etc.) ou lors de dégustations de galettes et crêpes, le cidre tente, par exemple, de se faire une place sur les tables prestigieuses des grands restaurants. Mais aussi sur celles de tous les jours. "C’est un produit noble qui se rapproche du vin, confirme Timothée Lecoq, cofondateur de la marque Le Coq Toqué, à Rouen (Seine-Maritime), spécialiste des jus de fruits et cidres premium. L’objectif de l’interprofession et des entrepreneurs est de remettre le cidre au goût du jour, de le revaloriser."

Montée en gamme et nouveaux formats

Pour assurer cette montée en gamme, certains professionnels misent sur plusieurs cartes, dont la mixologie (art du cocktail), permettant d’être référencés dans des hôtels ou bars prestigieux. Un parcours déjà emprunté par le cognac qui a su ainsi s’imposer à l’export, notamment aux États-Unis, sous l’impulsion des univers du rap et de la pop culture. "Le cidre est un produit riche qui s’associe en dessert, avec des plats salés, et en cocktails sous forme de long drink, souligne le dirigeant du Coq Toqué. Ce volet export reste à développer pour le cidre français premium, notamment sur les marchés anglo-saxons mâtures et en recherche de qualité."

"Les consommateurs attendent de la qualité et de l’authenticité. Pas des colleurs d’étiquettes qui se contentent de faire du marketing avec des volumes rachetés."

Dans le Morbihan, la cidrerie Nicol réalise ainsi 3 % de ses 2 millions d’euros de chiffre d’affaires en Suisse, Canada, Suède, Angleterre mais aussi en Chine et au Japon. Chez Val de Rance, la part à l’export représente 25 % de l’activité. "Depuis deux ans, nous restons sur un plateau de 10 millions d’euros, précise Philippe Musellec, directeur des Celliers Associés. Si le cidre se démocratise ailleurs qu’en France, il est concurrencé par les 'ciders' (boisson fermentée à base de concentré de jus de pomme très consommé par les Anglo-Saxons, NDLR) qui ne répondent pas aux mêmes cahiers des charges, notamment l’obligation d’être fabriquée à 100 % avec des pommes. Dans cette logique, avec nos confrères espagnols et allemands, nous travaillons sur la mise en place d’un règlement européen pour protéger le cidre."

Des formats nouveaux inspirés par la bière

La question du format est aussi regardée de très près. "Certains producteurs ont adopté des bouteilles de 33 cl, proche du format bière, au lieu de la traditionnelle bouteille de 75 cl", note Nicolas Poirier. Objectif : séduire, toujours et encore, de nouveaux consommateurs en s’adaptant à différentes habitudes de consommation. C’est le chemin emprunté par Pierre-Henri Agnès, cofondateur de "La Chouette, le cidre perché" qui a vu le jour en 2014 dans la baie du Mont-Saint-Michel (Manche).

À l’instar de Maison Sassy, basée à Boischampré (Orne), qui a voulu prendre le contre-pied des acteurs cidriers traditionnels en misant sur un packaging épuré avec des bouteilles en verre blanc, La Chouette entend également donner un "coup de jeune" à la boisson. "Il a fallu se réinventer, justifie Pierre-Henri Agnès. Nous proposons un packaging unique, de 33 cl, et des recettes accessibles au grand public via un travail axé notamment sur l’effervescence." L’entreprise se veut innovante dans ses canaux de distribution puisqu’elle réalise 85 % de son chiffre d’affaires à l’export (30 % en Asie) en proposant son cidre dans des établissements dits bistronomiques qui "défendent la gastronomie française" à l’étranger, mais aussi dans les réseaux bio et vegan.

Infographie sur le marché du cidre en 2020 en France — Photo : Le JDE

Gare aux "colleurs d’étiquettes"

Pour le président de la Maison cidricole de Bretagne, si le discours est louable, il appelle à se méfier de certaines start-up du cidre. "Des colleurs d’étiquettes, regrette Nicolas Poirier. Si ces sociétés modernisent l’image du cidre, elles n’ont souvent pas de production en propre et se contentent de faire du marketing avec des volumes rachetés. Selon moi, les consommateurs attendent plutôt de la qualité et de l’authenticité. Je loue notamment les efforts des nouvelles générations de producteurs pour créer des "cuvées" de cidre."

Rajeunir l’image du jus de pommes fermenté, c‘est aussi le pari qu’a fait en 2017 Jean-Philippe Coquelin en lançant sa marque Saint-Fernan à Châteaugiron (Ille-et-Vilaine). "Je ne voulais pas faire un énième cidre. Beaucoup de producteurs locaux le font très bien", plaide-t-il. Pour séduire une clientèle urbaine et jeune, il propose "d’autres moments de consommation en sortant du triptyque galette-crêpe-bolée". Jean-Philippe Coquelin a travaillé sur un goût différenciant, "moins rustique, avec des recettes actuelles aux notes acidulées et fraîches." Et cela fonctionne. La société Virtus Foods, qui porte la marque Saint-Fernan, a commercialisé 190 000 bouteilles en 2020 et compte six salariés. Elle a rapidement été sollicitée par la grande distribution. "Nous avons lancé une gamme dédiée à ce marché, baptisée Gaby", indique Jean-Philippe Coquelin. Un choix salvateur qui permet à la PME de moins souffrir des fermetures de CHR. Saint-Fernan a même été retenu pour intégrer le très sélectif wagon-bar des TGV Inoui. "Il n’y avait pas de cidre à la carte jusque-là !", se réjouit le dirigeant, qui y voit une reconnaissance, même s’il attend la réouverture de ces wagons, pour l’instant fermés…

Des innovations plus ou moins performantes

Chez le costarmoricain Val de Rance, on mise également sur le goût avec un cidre premium, Perle de Cidre, qui surfe sur les codes des prosecco italiens. "Nous lançons également en 2021 deux cidres issus chacun d’une mono-variété, Gala et Granny Smith, précise le PDG Philippe Musellec. On espère que ces innovations vont trouver leur place en rayon à l’image du cidre rosé, lancé il y a moins de dix ans et qui représente désormais 7 % de nos volumes commercialisés. "

L’opérateur breton confirme toutefois qu’innover dans un univers attaché à un certain respect de la tradition n’est pas chose facile. "On ne bouscule pas les codes de la profession et surtout les habitudes ancrées des consommateurs comme cela. Val de Rance a été le premier opérateur à tester le cidre aromatisé ou à conditionner son cidre en canettes dans un esprit snacking. Aucun des deux produits n’a trouvé sa place et ils ont aujourd’hui disparu." Pour autant, Philippe Musellec estime que l’innovation reste l’une des clés pour élargir le panel de consommateurs. "Quand un lancement fonctionne, on assiste à une sur-performance commerciale en dehors de la Bretagne et de la Normandie. Cela démontre bien que nous avons, collectivement, entre les mains un produit d’exception et d’avenir."

De nombreux industriels du cidre, comme Loïc Raison et Val de Rance, orientent une partie de leurs pommes vers la fabrication de jus — Photo : Virtus Foods

Jus de pommes et bière pour se diversifier

Sur le terrain de la diversification, le jus de pomme et la bière font partie des pistes creusées par tous les opérateurs. Val de Rance a développé une marque de bière régionale 100 % normande. Stratégie similaire pour les cidriers Nicol dans le Morbihan. En 2019, ils se sont lancés dans la fabrication de bière avec la brasserie Venète’s. "Nous avions du matériel et des cuves ainsi que la chaîne d’embouteillage qui nous ont permis de nous lancer rapidement", note Jean-Michel Nicol. Avec un atout en tête : la bière affiche une croissance à deux chiffres et se fabrique en trois semaines, quand il faut huit à dix mois pour faire du cidre.

Diversification également chez Loïc Raison, qui prévoit le lancement cette année de sa marque propre de jus de pomme, avec le soutien de son actionnaire la coopérative normande Agrial. Du côté de Val de Rance, qui dispose déjà de son estampille "Sous le Pommier", on mise davantage sur l’accompagnement des marques de distributeurs dans leur demande de création de gammes véhiculant des valeurs sociétales fortes. "L’origine France, le non-traité, le zéro résidu, le bio ou la mention Haute Valeur Environnementale ont le vent en poupe dans les linéaires des grandes surfaces, confirme Philippe Musellec. Ce sont des tendances fortes que l’on retrouve dans le cidre et qui sont autant de relais de croissance."

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