La crise sanitaire en Chine porte le cochon breton
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La crise sanitaire en Chine porte le cochon breton

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Touchée de plein fouet par la fièvre porcine africaine, qui a déjà décimé 50 % de son cheptel, la Chine doit importer en masse des cochons pour satisfaire sa demande intérieure. Les opérateurs bretons, des éleveurs aux transformateurs, entendent bien tirer parti de cette conjoncture favorable.

— Photo : @Cooperl-SachaDrouart

Officiellement, la perte annoncée par les autorités de Pékin n’est que de 30 %. Pourtant, tous les experts de la Chine s’accordent : la fièvre porcine africaine, qui touche le pays depuis plus d’un an, a déjà fait beaucoup plus de dégâts. Inoffensif pour l’homme, ce virus, pour lequel il n’existe aucun vaccin, aurait déjà conduit à l’équarrissage de 50 % à 80 % du cheptel chinois. « Quel que soit le chiffre retenu, c’est du jamais vu dans l’histoire mondiale du porc, confirme Jim Huan, conseiller Chine pour l’Ifip-Institut du porc à Paris. Ce recul historique de la production chez le premier consommateur au monde a ouvert une vaste période d’opportunités mais aussi d’incertitudes. On estime qu’il manquera 150 à 200 millions de porcs en fin d’année 2019. »

Le cours du porc s’envole

Huitième partenaire commercial de la Chine en matière de cochons exportés, la France, notamment la région Bretagne qui concentre 60 % du cheptel national, entend tirer profit de cette conjoncture favorable. De 100 000 tonnes en 2018, le commerce vers Pékin dépassera 150 000 tonnes à la fin de l’année 2019. « Le porc est la principale source de protéine du régime alimentaire chinois, confirme Guillaume Roué, président d’Inaporc, l’interprofession porcine. La demande en provenance d’Asie tire les cours vers le haut ce qui est bénéfique pour les éleveurs, notamment en Bretagne où les professionnels devaient faire face à des trésoreries très tendues. »

En un an, le prix du porc au marché du porc de Plérin est passé de 1,220 euros/kg à 1,549 euros/kg — Photo : @lejournaldesentreprises

La montée en gamme des exportations

Mieux encore, les pièces exportées vers la Chine montent en gamme. « Par tradition, la France se contente d’envoyer ses abats, ses pieds ou ses oreilles, très prisés des consommateurs chinois, ajoute Jan-Peter Van Ferneij, ingénieur d’études, spécialisé dans l’économique des filières au sein de l’Ifip. Désormais, la demande pour du jambon, de l’épaule et des carcasses entières monte en puissance. C’est une bonne chose même s’il ne faut pas s’emballer outre mesure. L’export vers la Chine est un marché très concurrentiel et s’effectue uniquement en viande surgelée, ce qui implique une organisation bien huilée et des coûts logistiques importants. »

« Le recul historique de la production en Chine, premier consommateur de porc au monde, a ouvert une vaste période d’opportunités mais aussi d’incertitude. »

Cette tendance haussière devrait s’intensifier dans les mois à venir. En effet, de nombreux petits exploitants - le modèle dominant en Chine - ont commercialisé toutes leurs bêtes au début de l’épizootie. « Les stocks dans les frigos sont sans aucun doute contaminés et, par leur importance, retardent mécaniquement la pénurie, précise Gilles Beyer, animateur sanitaire du groupement Porc Armor Évolution à Loudéac (Côtes-d’Armor), troisième opérateur français derrière les bretons Cooperl à Lamballe (Côtes-d’Armor) et Evel’Up à Landivisiau (Finistère). Les effets de la réduction du cheptel devraient se faire sentir encore plus nettement au début de l’année 2020. »

Les Chinois apportent des pièces de cochons de plus en plus nobles — Photo : @lejournaldesentreprises

Les salaisonniers, victimes collatérales

Du côté des salaisonniers/transformateurs, l’explosion du cours du porc, qui a pris 30 % en un an, est davantage une source d’inquiétude. Directeur général de la Cooperl Arc Atlantique, Emmanuel Commault juge « que cette hausse est une bonne chose pour les adhérents. Toutefois, nos stocks ne suffiront pas à contenir très longtemps une répercussion inévitable sur les prix à la consommation. » Prise en tenaille, la coopérative lamballaise s’attend s’attend d’âpres négociations avec ses clients distributeurs, sans certitude de pouvoir répercuter la totalité de surcoûts liés à la matière première.

Pour la Cooperl, comme pour Fleury Michon, qui a annoncé des résultats en forte baisse au premier semestre, l’enjeu est de taille. La crainte de voir leurs outils industriels tourner au ralenti et leurs marques boudées est forte. « Mécaniquement, les consommateurs risquent de se détourner de la viande de porc, jugée trop onéreuse estime Jan-Peter Vanferneu. On peut aussi voir, comme en Chine, une substitution du porc, dont la consommation recule d’année en année, pour d’autres viandes comme la volaille, beaucoup plus fortement importée. »

Président de Cooperl Arc Atlantique, leader français du cochon, Patrice Drillet a signé, en 2018, un accord avec Liu Chang, présidente du groupe New Hope Liuhe Co, pour construire à 50-50 une salaisonnerie dans la région de Pékin en Chine — Photo : @Cooperl

L’expertise française

Toutefois, la coopérative costarmoricaine avait, indirectement, anticipé cette potentielle mutation du marché mondial, bien avant l’arrivée de la fièvre porcine africaine. Pour développer ses volumes à l’export (30 %), notamment en Chine, la Cooperl finalise actuellement la construction d’une salaisonnerie dans la région de Pékin, cinq ans après avoir monté une ferme de sélection porcine sur place. « Il s’agit de l’investissement dans une société détenue à 50-50 avec un acteur majeur du cochon chinois, New Hope, précise Patrice Drillet, président de la Cooperl. Dans notre logique de montée en gamme, l’objectif est de fournir au marché chinois des produits de charcuterie haut de gamme issus des cochons élevés sans antibiotique. »

Prévenant, l’opérateur breton a, dès le départ, décidé que les pièces transformées en Chine seraient issues d’animaux élevés, abattus et découpés en Bretagne, puis transférés congelés. Cette stratégie prend aujourd’hui une véritable importance au regard du contexte sanitaire et des investissements réalisés par la Cooperl en Asie. « La France a une carte à jouer dans la relance de la filière chinoise, confirme Philippe Gréau, expert du marché chinois qui collabore avec de nombreuses entreprises françaises. Notre excellence technique est un véritable atout à l’international, et encore plus en Chine. Il faut juste s’organiser pour mieux la vendre. »

La Chine est devenue en 2019 le premier marché d'exportation du porc français, devant l'Italie et l'Espagne — Photo : @lejournaldesentreprises

La biosécurité comme rempart

Dans ce contexte d’opportunité commerciale qui ne se représentera sûrement plus jamais, tous les acteurs de la filière porcine s’accordent sur le fait que la biosécurité des élevages doit être érigée comme « la » priorité. « La trésorerie dégagée doit servir à renflouer les caisses mais surtout à moderniser et à sécuriser les exploitations, confirme André Bloc’h, directeur de Porc Armor Évolution. Je pense à la généralisation des sas d’entrée, à une optimisation des flux, etc. Notre groupement a, dans ce sens, mis en place des formations obligatoires depuis le début de l’année. On ne peut se permettre aucune erreur d’autant que la fièvre porcine a été détectée dans la faune sauvage, chez les sangliers, aux portes du territoire, dans les Ardennes belges. »

« La trésorerie dégagée doit servir à renflouer les caisses mais surtout à moderniser et à sécuriser les exploitations. »

Patron du groupe Olmix à Bréhand, bien implanté en Chine depuis plus de 10 ans, Hervé Balusson confirme un « ralentissement de ses activités depuis quelques mois » et entend rester prudent pour prédire l’avenir. « Il faut arrêter de faire croire aux éleveurs que cette crise est uniquement une chance car les cours repartent. Un seul cas déclaré et tous les marchés à l’export se referment aussitôt. Cette période est, en revanche, une opportunité unique pour monter en gamme et repenser ses pratiques et son modèle économique. »

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